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Pierre Vermeren : « Les sondages ou les suffrages démontrent que l’idéologie immigrationniste n’a plus le vent en poupe »
À ceux qui considérerent que dans l’ordre de l’importance et de l’urgence l’immigration de masse, ou de peuplement, n’est pas la plus grave menace pesant sur la France historique, la lecture de cette analyse nous semble orientée dans le sens opposé. Par delà leurs soucis « alimentaires » bien réels, les Français en sont de plus en plus conscients. JSF [Entretien dans Front Populaire du 3.10.2024]
Nicolas Granié, Pierre VERMEREN.
ENTRETIEN.
L’immigration est devenue au gré des ans un sujet incontournable du débat public ; un sujet à propos duquel les électeurs français sont en demande croissante de fermeté de la part des pouvoirs publics – demande généralement déçue.
Pour l’historien Pierre Vermeren, l’immigration est une question sérieuse qui requiert autre chose que des postures idéologiques pétrifiées.
Front Populaire : « L’immigration n’est pas une chance, ni pour les migrants qu’on ne peut pas accueillir décemment, ni pour les Français », a affirmé le ministre de l’intérieur il y a quelques jours.
Cela lui a valu bon nombre de critiques de la part de la gauche et de la Macronie.
Comment analysez-vous le constat fait par Bruno Retailleau et les réactions qui ont suivi ?
Pierre Vermeren : C’est d’abord une réponse, quarante ans après sa publication, au livre de feu Bernard Stasi, homme politique de centre-droit, L’immigration, une chance pour la France (1984).
Si l’homme politique parlait d’abord de sa famille (on parle toujours de soi), il est devenu pendant quarante ans le maître à penser de la politique française en la matière, tant à droite qu’à gauche.
A l’époque, cette assertion n’était ni l’avis des communistes, ni celui des droites, et François Mitterrand venait de se rallier à ce slogan pour des raisons politiques, ayant échoué à appliquer le programme économique d’union de la gauche, mais recherchant un nouveau mantra pour combattre ses adversaires de gauche et de droite.
La pensée de Bernard Stasi – peut-être aussi largement inspirée par le patronat qui avait besoin de main d’œuvre et de consommateurs –, est devenue l’idéologie officielle de la République et des hommes et femmes politiques de sa génération.
J’imagine que la phrase du ministre de l’Intérieur, que l’on peut considérer – sans l’injurier – comme un notable et un baron de la droite sénatoriale, vise à siffler la fin d’une ère qui semble désormais exaspérer les Français, selon toutes les études d’opinion.
Cela est d’autant moins vain dans une démocratie, que les Français n’ont jamais été consultés pour valider ou non une politique migratoire qui a changé le peuple français et son histoire.
Quant aux réactions suscitées, elles sont à la hauteur du tournant politique annoncé : deux générations durant, tout l’appareil idéologique de l’État a tiré dans la même direction, il est bien normal qu’un tel revirement suscite une bronca.
Mais les sondages ou les suffrages démontrent que cette idéologie n’a plus le vent en poupe.
FP : Peut-on faire une équivalence entre l’immigration d’aujourd’hui et celle du début du XXe siècle ?
PV : Toutes choses égales par ailleurs, l’immigration déplace des populations pauvres en quête d’une vie meilleure vers les pays riches.
C’est globalement toujours vrai, mais cela n’épuise pas le sujet.
En effet, le monde actuel est un village, puisque tout se sait et tout se voit à travers les médias audiovisuels et les réseaux sociaux.
Les immigrés communiquent aujourd’hui au jour le jour avec leur famille restée au pays, suscitant leur jalousie et leur envie de les rejoindre par le récit de leurs aventures souvent enjolivé.
Par ailleurs, le sujet étant extrêmement complexe, une nouveauté est le « désenchantement national » (terme forgé par une grande intellectuelle tunisienne) des étudiants et des élites de nombreux pays du sud, qui vivent dans des États corrompus, pauvres et népotiques, et qui n’ont aucune chance de réussir dans leur société.
Plutôt que de se battre en vain pour la réformer (peut-être ont-ils tort ?), ils tentent eux aussi leur chance ; dans cette population, les femmes sont aussi nombreuses que les hommes, car c’est une immigration aisée – le passage coûte des milliers d’euros/comme l’inscription dans les universités et la vie d’étudiant – et diplômée dont l’Occident a besoin, même si cela aggrave encore plus les maux du sud, et lui interdit à long terme de se développer.
Enfin, on aurait aussi tort de sous-estimer l’impact des sites pornographiques (qui cumulent un tiers des flux d’Internet dans le monde), qui mettent principalement en scène des femmes occidentales.
Des millions de jeunes hommes du sud peuvent penser que l’Occident serait un « paradis sexuel »…
Il y a là un angle mort que les chercheurs qui travaillent sur les migrations ne peuvent nommer ni peut-être imaginer : mais quand vous êtes un jeune homme pauvre du sud, sans espoir ni argent, ni aucune perspective sexuelle ou matrimoniale raisonnable, le mirage joue à plein.
Pourquoi tant de jeunes hommes parmi les clandestins : où sont les femmes ?
Même si c’est un angle mort, dans l’histoire des migrations, la quête de femmes a toujours été aussi importante que la quête de pain.
FP : Lucie Castets (NFP) s’est dite « plutôt favorable » à la régularisation de « tous les sans-papiers », qu’ils travaillent ou pas, avant de rétropédaler.
En Europe, de plus en plus de partis de gauche exigent des mesures strictes pour endiguer les flux migratoires.
Pourquoi la gauche française reste-t-elle profondément immigrationniste ?
N’y a-t-il pas une contradiction majeure avec le fait de combattre le patronat, qui lui se montre si demandeur de main-d’œuvre étrangère ?
PV : Cette idéologie dominante depuis quarante ans, dont je parlais, est capitale pour la gauche, puisqu’après l’abandon de la rupture avec le capitalisme, elle a adopté le récit de substitution de la société multiculturelle.
Après le paradis économique sur terre, le paradis multiculturel.
On ne change pas de récit ni d’utopie comme cela, il faut souvent y être forcé.
Ce qui est étrange, c’est que des tels discours et de telles attitudes préparent l’arrivée au pouvoir de la force politique que ces militants honnissent le plus au monde.
On finit par se demander si ce n’est pas leur inconscient qui parle, et si ce n’est pas au fond ce qu’ils désirent ?
Quant au patronat, je crois qu’il y en a deux : le petit patronat de l’agriculture, de la restauration ou des abattoirs, qui a besoin de main d’œuvre importée faute de travailleurs volontaires (ou assez payés) ; et le grand patronat des grandes chaînes et des grands réseaux de distribution, qui a besoin de consommateurs.
Je ne suis pas sûr que Mme Castets, si éloignée de ce monde économique, soit consciente de ces réalités : on vit encore parfois, dans nos mentalités, sur les schémas anachroniques des Trente Glorieuses.
FP : L’ancien Premier ministre Manuel Valls s’est montré favorable au rétablissement du délit de séjour irrégulier, qu’il avait lui-même supprimé en 2012.
Quelles ont été les décisions majeures depuis une cinquantaine d’années qui ont grandement favorisé l’immigration légale et illégale ?
PV : La liste serait trop longue, même s’il faut quand même souligner des paradoxes.
Alors que l’immigration du travail a été officiellement stoppée en 1975, et jamais rétablie jusqu’à Emmanuel Macron, on a quand même vécu depuis 50 ans sur le mythe que les immigrés sont des travailleurs, alors que depuis des décennies, regroupement familial, étudiants, vrais et faux réfugiés, demandeurs d’asile, mineurs isolés, etc., constituent l’écrasante majorité des immigrés.
Ils sont désormais les consommateurs en devenir dont le patronat a besoin pour écouler ses produits et ses services de base.
Autre paradoxe, on n’a cessé de rendre l’immigration plus difficile par des dizaines de lois, et elle n’a jamais cessé de croître.
Comme l’immigration n’est pas un phénomène climatique ni naturel, et que des pays comme le Japon ou ceux du Maghreb parviennent à la contenir dans d’infimes proportions, c’est bien que tout cela a été une vaste comédie.
On a fait semblant de répondre aux demandes du peuple, à idéologie immigrationniste constante.
J’ajoute que l’Europe, de ce point de vue, n’a jamais caché son jeu, très favorable à l’immigration.
De fait, si un habitant du monde, de quelque pays qu’il soit, parvient, par tout moyen (souvent par l’aide des mafias de passeurs) à rejoindre la France, il est presque assuré d’y terminer son existence s’il le désire, fût-ce dans des conditions très médiocres.
De la part des gouvernants, ce fut un véritable choix de société.
FP : Malgré les contraintes juridiques et administratives, l’État peut-il encore renverser la table ? La fermeté et l’humanité sont-elles conciliables en matière migratoire ?
PV : Tout dépend de la définition que l’on donne au mot humanité, et au mot fermeté.
Si le mot humanité signifie respecter les hommes et leur bien-être, les sociétés d’arrivée et de départ, et les choix démocratiques des citoyens, il faut à tout le moins fortement ralentir l’immigration.
C’est le choix de l’Australie ou du Danemark : peu d’immigrés mais bien traités et bien intégrés.
Si l’humanité consiste à ouvrir la porte à tous les hommes et à tous les migrants du monde, de manière inconditionnelle comme semblent le vouloir le Pape François et Lucie Castets, alors la fermeté devient indigne.
Et la vie dans des cartons sur les trottoirs des grandes villes n’est pas un problème.
Et qu’est-ce que la fermeté ?
Si l’immigration est perçue comme l’équivalent d’un phénomène climatique, à la manière dont la conçoit le sociologue François Héran, il est inutile de bouger : telle une vague, elle submergera tous les pays riches, qui deviendront pauvres, c’est une question mécanique de nombre (je rappelle par exemple qu’en Afrique et au Maghreb, plus de la moitié des jeunes veulent émigrer).
Si au contraire on la considère comme un phénomène humain, circonstancié, qui obéit à des modes, à des idéologies et à un puissant phénomène mimétique, voire fantasmatique, alors la politique est justement là pour traiter ce phénomène, pour le contenir, l’endiguer, le réorienter ou y mettre fin.
Les petits Français du milieu du XXe siècle étaient élevés dans la peur de la submersion chinoise : mais les Chinois sont pour l’essentiel restés en Chine, et maintenant leur population décroît.
Il ne faut pas succomber à toutes les modes ni à toutes les fantasmes, mais sonder le monde et faire de la politique. ■
PIERRE VERMEREN
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