lundi 22 janvier 2024

CULTURE : BAUDELAIRE ÉTAIT PLUS RÉACTIONNAIRE QUE SYLVAIN TESSON ! ( PATRICE JEAN )

 

Patrice Jean : « Les pétitionnaires savent-ils que Baudelaire était plus réactionnaire que Tesson ? »

Charles Baudelaire par Gustave Courbet, vers 1848.

Par  Patrice Jean. 

 

Cette tribune est parue dans Le Figaro de ce matin. (22 janvier). 

Nous n’avons rien à y ajouter si ce n’est que Patrice Jean y dénonce avec pertinence et vigueur un événement médiatique qui ne fait que mettre en lumière cette montée vers un néo totalitarisme à quoi tend notre démocratie, aussi bien du côté d’une certaine extrême-gauche évidemment sectaire que de la technostructure gouvernementale tentée d’exclure tout ce qui n’est pas elle et pourrait lui résister. 

 

TRIBUNE – Pour Patrice Jean*, la pétition publiée par Libération et signée par plus de 1 200 poètes, visant à empêcher Sylvain Tesson de parrainer l’édition 2024 du Printemps des poètes, est un lynchage symbolique.


 Les pétitionnaires savent-ils que Baudelaire était plus réactionnaire que Tesson ? 

Qu’il existe de grands écrivains réactionnaires ? »

La tribune contre Sylvain Tesson (et son parrainage du Printemps des poètes) s’ouvre sur une référence au second mandat de Macron qui glisserait vers l’extrême droite ; ensuite, les pétitionnaires glissent vers Tesson, accusé à son tour, d’être d’extrême droite. 

Le texte se termine par un éloge de la poésie, laquelle «est une parole fondamentalement libre.» 

Il y a là une contradiction : si la poésie est une parole « fondamentalement libre », elle est libre, aussi, de ne pas se soumettre aux injonctions progressistes. 

 En réalité, cet éloge de la liberté est totalement hypocrite. 

Non, les pétitionnaires n’aiment pas la liberté : ils s’aiment eux-mêmes, et ils détestent tout ce qui ne leur ressemble pas.

Sylvain Tesson serait une «icône réactionnaire»

C’est possible, même si le côté réactionnaire n’est pas le tout de ses livres.

 Les pétitionnaires savent-ils que Baudelaire était plus réactionnaire que Tesson ?

 Qu’il existe de grands écrivains réactionnaires : Chateaubriand («un réactionnaire de charme», selon Gracq), Balzac qui écrivait à «la lueur de deux Vérités éternelles : la Religion, la Monarchie», Flaubert et ses railleries sur la révolution de 1848, Barbey d’Aurevilly, Bloy, Céline, Bernanos, etc. 

Les surréalistes Breton et Aragon, pour progressistes qu’ils fussent, avaient lu Barrès. 

Les auteurs de la tribune, parce qu’ils sont engagés (et engagés chez les gens bien, c’est leur côté «bourgeois»), imaginent que tous les écrivains sont comme eux, obsédés par les prises de position politique.

 Ils introduisent le militantisme dans la littérature. 

Mais s’il n’est plus possible de lire Sylvain Tesson, tous ces censeurs, s’ils veulent rester cohérents, devront aussi renoncer à la lecture des auteurs cités plus haut, et même à d’autres comme Dostoïevski ou Pessoa (peut-être est-ce le cas, mais alors, quel appauvrissement !). 

Ils ne liraient dès lors que ceux qui partagent leurs idées ? 

Ignorent-ils que le négatif est nécessaire à la pensée ?

 Et qu’à lire uniquement le Même on se condamne à une pensée consanguine et stérile ? 

J’ai toujours lu des écrivains qui ne m’étaient pas proches politiquement ou philosophiquement, pour essayer de les comprendre. 

Ne pas se laisser surprendre par un écrivain témoigne d’une grande frilosité et d’un repli sur soi contestable.

Que se passe-t-il dans la tête d’un écrivain quand il vient d’apposer son nom à la tribune contre Tesson ? 

A-t-il conscience d’avoir commis une petite saloperie ? 

 Ou bien se sent-il fier, très fier, de combattre le fascisme, ou ce qu’il prend pour du fascisme (car, ne nous leurrons pas, dans la tête du progressiste, un réactionnaire est un mode d’être du fascisme) ? 

Ou bien se sent-il grave et concerné, « on ne lâche rien ! » ? 

Comme il faut être sûr de soi, être persuadé d’avoir raison, pour oser s’en prendre, collectivement, à un écrivain !

 Le collectif, ici, ressemble à un lynchage, symbolique certes, mais lynchage quand même (et ce ne sont pas les progressistes qui ont sans cesse la « violence symbolique » à la bouche qui pourront minimiser cette violence). 

Rien que pour cette raison : 1200 signataires contre un seul homme (Muray aurait écrit « Tous contre seul »), on reste abasourdi face à ce qui ressemble à une folie.

 Tesson, faut-il le rappeler, n’est pas un homme politique, n’a pas tripoté de fesses interdites, ni tué personne : il écrit des livres. 

 Il a du style, du panache. 

Ce type de tribune n’aurait de sens que pour condamner un criminel, un violeur, un vrai fasciste. 

Emportés par leur lyrisme en écriture inclusive (comme on dit « en toc »), les auteurs et les signataires de cette tribune ont perdu le sens de la mesure, ils ont repeint un écrivain avec leurs angoisses, leurs peurs, leurs vanités, leur bêtise, ils l’ont condamné avec la même rigueur scientifique qu’on brûlait, jadis, les sorcières.

 Pourtant, depuis Mona Chollet, les progressistes les aiment bien, les sorcières ! 

Cette pulsion qui consiste à sacrifier, régulièrement, une femme, un homme, est inscrite dans la psyché humaine. 

Toute l’histoire de l’humanité nous apprend que le Mal s’est fait au nom du Bien. 

 

J’invite les pétitionnaires à réfléchir à leur faute morale. 

Il n’est pas trop tard pour enlever votre nom, pour l’effacer, si vous ne voulez pas apparaître, au tribunal de l’histoire, pour des brûleurs de sorcières.

Ultime observation : une pétition pareille à celle contre Tesson, mais dirigée contre un écrivain flirtant avec La France insoumise, est-elle envisageable ? Je ne pense pas. 

Nous pouvons donc en conclure, d’une manière objective, que la tolérance est passée à droite. 

J’entends déjà les protestations : hors de question de tolérer l’intolérable. 

Restons sérieux ! Il n’y a rien d’intolérable chez Tesson. 

Écrit-il qu’il faut brûler les enfants ?

 Que l’on doit emprisonner tous les opposants à Macron ? 

Que l’on doit empêcher, par tous les moyens, un écrivain non conforme de parrainer le Printemps des poètes ? 

Au reste, c’est le seul point que je lui reprocherais : que diable allait-il faire dans ce Printemps des poètes ?

 Il aurait dû se méfier, on ne poétise pas en groupe, avec des potes poètes.

 La poésie est partout sauf dans les marchés de poésie, de même que l’élégance, pour être véritable, ne peut proclamer son élégance, et la modestie sa modestie.

 

 Pour le reste, je l’assure de ma totale solidarité face aux gardes rouges du printemps et des cent fleurs.     ■  

* Patrice Jean est écrivain. Dernier livre paru : Kafka au candy-shop (Éditions Léo Scheer).

Par

 

Source et Publication :   https://www.jesuisfrancais.blog/2024/01/22/patrice-jean 

 

ET AUSSI

« Dans les forêts de Sibérie ». Le récit de Sylvain Tesson adapté en bande dessinée

En 2010, pour fuir la société occidentale, l’écrivain Sylvain Tesson part s’isoler, pendant six mois, en Sibérie, dans une cabane au bord du lac Baïkal.

 Il y arrive en plein hiver. Par -30°C, en patin à glace, traversant les neiges silencieuses, il découvre la nature entourant sa cabane, située à 120 km du village le plus proche. 

S’éloignant du lac gelé, il rend visite à ses amis russes, des forestiers amoureux de la Sibérie. Informés par la radio des événements du monde, ils ne comprennent pas la montée de l’insécurité et de l’islam en France. 

Au printemps, à la fonte des glaces, il part à l’aventure en kayak.

 Mi-juin, ne supportant plus cette séparation, sa compagne restée en France lui annonce qu’elle le quitte…

Vivre de la lenteur…

De cette quête intérieure et contemplative, Sylvain Tesson en tire un récit, paru en 2011.

 Il démontre que la fuite de la société moderne lui a permis de découvrir les besoins vitaux : se nourrir, couper du bois pour faire du feu…

 Il justifie simplement son choix : « Je suis parti parce que la vie m’étouffait comme le col d’une chemise trop serré. Je voulais vivre de la lenteur, de la simplicité et de l’émerveillement. Ne garder que l’essentiel ».

Cette longue isolation lui laisse tout le temps de lire les livres qu’il affectionne (Michel Déon, Céline, Drieu la Rochelle…). 

Sylvain Tesson livre le fruit de ses réflexions. 

Il révèle son admiration pour le peuple russe, revendique les bienfaits du tabac et de l’alcool et, surtout, dénonce le monde moderne athée.

 La fin du récit l’amène à comparer le monde qu’il a quitté et celui qu’il a découvert : « Qui a raison ? 

Le moujik autarcique qui remet son âme au ciel mais ne pénètre jamais dans un magasin ? Ou le moderne athée, affranchi de tout corset spirituel, mais qui est contraint de téter les mamelles du système et de se plier aux injonctions imposées par la vie en société ?

 Faut-il tuer Dieu, mais se soumettre aux législateurs, ou bien vivre libre dans les bois en continuant à craindre les esprits ? ».

Pour sa première bande dessinée, Virgile Dureuil adapte ce récit de Sylvain Tesson. 

Sur plus de 100 planches, le texte de l’écrivain est inséré dans des bulles.

Virgile Dureuil révèle qu’il s’est « fixé sur un style relativement réaliste, une ligne claire, avec un travail sur l’épure et les aplats de couleur ». 

Certes, on regrette que dans des cases manquant parfois d’envergure, la beauté des paysages sauvages de la Sibérie peine à transparaître. 

Mais le dessin semi-réaliste soigné convient bien à ce récit.

 Il restitue l’état d’esprit de l’écrivain.

Cette bande dessinée permet de découvrir l’œuvre de Sylvain Tesson, pour ceux qui ne la connaissaient pas encore. 

Cet écrivain voyage la plupart du temps par ses propres moyens, en totale autonomie. 

Ses expéditions sont financées par des conférences et par la vente de ses récits. 

En 1991, il découvre l’aventure lors d’une traversée à vélo du désert central d’Islande, puis d’une expédition spéléologique à Bornéo. 

Puis, en 1993-1994, il fait le tour du monde à bicyclette. 

En 1997, il traverse l’Himalaya à pied, en passant clandestinement par le Tibet. En 1999-2000, il traverse également les steppes d’Asie centrale à cheval. En 2001 et 2002, il participe à des expéditions archéologiques au Pakistan et en Afghanistan.

 De mai 2003 à janvier 2004, il reprend l’itinéraire des évadés du Goulag en suivant le récit de Sławomir Rawicz (The Long Walk), traversant la Sibérie, la Chine et l’Inde. 

En 2010, il va vivre en ermite dans une cabane au sud de la Sibérie et relate cette expérience solitaire dans son journal Dans les forêts de Sibérie

 Fin 2012, il entreprend un voyage de Moscou à Paris afin de refaire, à moto, le trajet de la retraite de Russie menée par Napoléon.

Sylvain Tesson publie des reportages dans Le Figaro Magazine

À la fin des années 1990, il anime sur Radio Courtoisie, en collaboration avec Alexandre Poussin, une émission consacrée à l’aventure

Il obtient le prix Goncourt de la nouvelle en 2009, pour Une vie à coucher dehors et le prix Médicis essai en 2011 pour Dans les forêts de Sibérie

Il analyse L’Iliade et L’Odyssée dans Un été avec Homère, qui sera l’essai le plus vendu en 2018. 

Il est l’auteur le plus vendu en 2019 en France grâce à son roman La Panthère des neiges, qui obtient le Prix Renaudot.

 Par  Kristol Séhec

Dans les forêts de Sibérie, 106 pages, 18 euros. Éditions Casterman.

Illustrations : DR
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Sylvain Tesson
Sylvain Tesson

Écrivain voyageur français

 

 

 

 

 

 

Sylvain Tesson, né le à Paris, est un écrivain voyageur et essayiste français. 

Sylvain Tesson est le fils de Philippe Tesson (1928-2023), journaliste et patron de presse, et de Marie-Claude Millet (1942-2014), médecin spécialisée en rhumatologie et en médecine tropicale, qui ont fondé ensemble "Le Quotidien du médecin" en 1971, après quoi Philippe Tesson fonda "Le Quotidien de... wikipedia.org

 

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