vendredi 26 janvier 2024

AGRICULTEURS : LES RAISONS DE LA COLÈRE ! ENTRETIEN !

 


[Entretien] 

« Lorsque la FNSEA est reçue à Matignon, ce ne sont pas les paysans »

La colère paysanne s'étend partout en France ; les blocages se multiplient et les tracteurs se rapprochent de la région parisienne.

 Pascal Marie est éleveur laitier en bio. Dans le passé, il a pris part aux manifestations « grève du lait » en 2009 et connaît bien les rouages du syndicalisme agricole. 

Auprès des lecteurs de BV, il témoigne des réelles difficultés de sa profession et porte un regard critique sur la FNSEA qui paraît capter les revendications.

 

 

Sabine de Villeroché. Quelles sont les raisons de la colère des agriculteurs ?

Pascal Marie. Les agriculteurs manifestent pour plusieurs raisons : en premier lieu, ils dénoncent la paupérisation de leurs revenus depuis des décennies qui est due à bon nombre de facteurs, dont la concurrence déloyale de nos voisins européens qui produisent avec des normes non contraignantes et la répartition inéquitable des marges entre les producteurs, la transformation et la distribution.

 Pour résumer de façon éclatante cette spoliation de valeur ajoutée : sur 100 euros du panier de la ménagère, seuls 6,5 euros reviennent au producteur. 

Notons que la bonne rentabilité d'une activité permettrait de régler bon nombre de problèmes sous-jacents tels que la complexité administrative en embauchant une secrétaire et la surcharge de travail liée à l'activité en embauchant du personnel.

Il y a d'autres revendications comme les réglementations environnementales ubuesques parachutées majoritairement de Bruxelles et la pression fiscale sur les revenus avec, entre autres, l'imposition confiscatoire sur les revenus exceptionnels (les agriculteurs craignent l'abandon de la détaxation du GNR). 

S'ajoutent à cela la multiplication des contrôles et, bien sûr, le manque de considération de la paysannerie par les autorités.

 

S. d. V. Ce mal-être n'est pas récent. Depuis des années, de façon sporadique, la France connaît des manifestations d’agriculteurs. 

 Rien n'a donc été fait ?

P. M. Les raisons des difficultés de la profession remontent en réalité à 1992, année où ont été établies les primes PAC (politique agricole commune qui représente un tiers du budget européen chaque année) : des aides directes distribuées par l’Europe aux agriculteurs en fonction d’un certain nombre de critères et de calculs savants. 

Ce jour-là, le paysan a perdu son indépendance car il est devenu dépendant de Bruxelles et des normes environnementales imposées. 

 C’est comme si tout avait été fait pour éradiquer la paysannerie, cette population par nature conservatrice.

Aujourd’hui, le revenu moyen d’une ferme est constitué à environ 80 à 90 % par les primes PAC (toutes spécialités confondues, élevage, exploitations céréalières, etc.).

 C’est ainsi que l’Europe tient les paysans qui sont devenus dépendants. 

C’est un système malsain pour eux car ils sont soumis à des règles imposées par des techniciens éloignés de la réalité. 

Ce devrait être au paysan - qui fait de l’écologie sans le dire - que reviennent des décisions agronomiques liées à son territoire propre. 

C’est l’essence même de son métier de savoir ce qu’il doit cultiver sur ses terres, le paysan n'a nul besoin des petits hommes gris de Bruxelles !

 

S. d. V. Au mois de décembre, les panneaux renversés de nos communes témoignaient de cette grogne qui aujourd'hui éclate. 

Puis l'Allemagne s'est enflammée

A-t-on affaire à un mouvement spontané ? 

Quel est le rôle des syndicats ?

P. M. Je pense que, bien sûr, le mouvement français fait écho à ce qui se passe dans l'Est, mais il est assez spontané et surtout très virulent, tellement la situation est tragique. 

La FNSEA qui, comme à son habitude, a été discrète sur l'Allemagne et la Pologne, n'a pas d'autre choix que de s'approprier le soulèvement. 

Elle va essayer de le maîtriser au mieux par son habileté politique coutumière. 

 Bien sûr, elle obtiendra quelques avancées significatives pour calmer les petits soldats : comme les reports de cotisations en tous genres, des dégrèvement d’impôts, des simplifications administratives, des reports des annuités en fin de tableau et, sans doute, un petit chèque pour acheter la paix sociale.

 

S. d. V. On entend en effet beaucoup la FNSEA, et les JA (Jeunes Agriculteurs), sa branche jeune. Pourquoi être critique sur leurs actions? 

P. M. FNSEA et JA sont, hélas, liés à la grande distribution. 

Et surtout très pro-européens, aux antipodes de ces manifestants qui brûlent les drapeaux européens.

 La FNSEA est pour la mondialisation qui tue notre agriculture et son président, Arnaud Rousseau, est lui-même président du groupe Avril, un complexe agroalimentaire présent à l'international, présent en l'Ukraine et en Pologne. 

Ce semblant de défense paysanne sonne faux lorsque l'on sait que la FNSEA est liée à l'agroalimentaire et les coopératives via le COPA et la COGECA, basées à Bruxelles, dont Christiane Lambert est devenue la présidente après avoir dirigé la FNSEA.

Lorsque la FNSEA est reçue à Matignon, ce ne sont pas les paysans mais bien l'agroalimentaire et l'agro-industrie !

 

S. d. V. Pourtant, la FNSEA, dans le passé, s’est tenue aux côtés des agriculteurs...

P. M. Pour vous donner une exemple des actions de la FNSEA, il faut remonter dans le temps des jacqueries paysannes. 

Celle de 2009 bien connue du grand public avec, comme point d'orgue, l'épandage du lait dans la baie du Mont-Saint Michel

Ce soulèvement lancé par l'APPLI (Association des producteurs de lait indépendants), aidé par la Coordination rurale, aurait pu être un vrai succès si la FNSEA avait soutenu avec vigueur le mouvement dès le début.

 Plutôt timorée au début, sentant que cette grève du lait pouvait réussir, elle s'est contentée, vers la fin du mouvement, de ne plus donner de consignes à ses adhérents.

 Aussi, faute d'un encouragement massif de la profession, les plus déterminés se sont essoufflés et ont dû renoncer à continuer. 

Un fiasco, lorsqu'on sait que quelques jours de plus suffisaient à créer la pénurie !

En son for intérieur, la FNSEA sait qu'elle est fragilisée, elle est constituée de généraux sans troupes. 

La nature ayant horreur du vide, la FNSEA va faire en sorte, grâce à sa communication bien huilée, que les autres syndicats ne captent pas trop l'Audimat™.

 

S. d. V. Tous les agriculteurs souffrent-ils des mêmes maux ?

P. M. L’agriculture est multiple, et c’est d’ailleurs ce qui rend la profession difficilement défendable. 

Le quotidien d’un éleveur du centre de la France n’a absolument rien à voir avec celui d’un céréalier du Bassin parisien. 

Ce n’est ni le même standing ni le même métier. 

L’un est astreint à s’occuper matin et soir de ses bêtes et gagne un salaire de misère, tandis que l’autre, entre les semis de l’automne et du printemps et la récolte de l’été, peut se permettre de partir aux sports d’hiver.

Bruxelles rêve de faire de l’agriculteur de demain un manager. 

Un paysan éloigné des réalités naturelles.

 Cette course en avant sera-t-elle un gage de bonheur dans le futur ?

 
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Sabine de Villeroché

Journaliste à BV,      https://www.bvoltaire.fr 
ancienne avocate au barreau de Paris   
 
 
 ET AUSSI

#AgriculteursEnColere : L’extrême gauche veut noyauter le mouvement

La gauche ne manque pas d’air. 

Après avoir exprimé sa plus grande méfiance vis-à-vis de la révolte du monde paysan et appelé à une plus grande répression des actions de blocage, la voilà qui retourne sa veste. 

Le soutien massif des Français au mouvement #AgriculteursEnColere - évalué, dans un sondage, à plus de 80 % - n’y est sans doute pas pour rien… 

Les élections européennes approchent et il ne s’agirait pas de s’aliéner une fois de plus le vote populaire.

Alors, après quelques jours de flottement, l’opération récupération a enfin été lancée.

 L’attitude méprisante a été mise de côté et les éléments de langage sont fin prêts. Marges excessives des grandes surfaces, dérives du « néo-libéralisme », absence de « prix planchers »… le discours est déjà bien rodé.

 Wokisme oblige, LFI a pris soin de se choisir une « concernée » pour figure de proue, la très discrète Mathilde Hignet.

 Un atout de poids, à gauche, où l’on ne juge plus les personnes sur leurs idées mais sur leur identité. « 

L’élue insoumise, ancienne ouvrière agricole, est également fille et petite-fille d’agriculteurs », jubile Libération, comme si cette généalogie faisait de la députée un puits de science incontestable.

 

Vers une « gilets-jaunisation » du mouvement agricole ?

Comme elle l’avait fait avec les malheureux gilets jaunes, l’extrême gauche tente de se greffer sur le mouvement de rébellion agricole pour mieux le dénaturer et le pervertir.

 « Avec les blocages des agriculteurs, c’est le moment de se lancer tous ensemble dans le conflit, pour le blocage des prix, nos salaires, les services publics, contre la précarité, le capitalisme destructeur… telle une saison 2 de la bataille des retraites, pour gagner cette fois », appelle ouvertement Philippe Poutou

La CGT, évoquant une « convergence » des luttes pour « élargir la mobilisation », a également appelé ses militants à se joindre au mouvement.

 

Cette récupération conduirait évidemment à une radicalisation violente du mouvement, à sa répression policière et à sa fin.

 Invité sur CNews, Michel Onfray a justement exhorté les agriculteurs en colère à ne pas céder « aux sirènes de la NUPES »

« La grande erreur des gilets jaunes est d’avoir entendu les sirènes jacobines, rappelle le philosophe.

 Au départ, Coquerel avait été extrêmement méprisant.

 Quelques semaines plus tard, ils ont récupéré le mouvement […] 

Les gilets jaunes se sont laissés avoir, avec quelques-uns qui ont été politisés, des grandes gueules qu’on a installées sur les plateaux de télévision, et d’un seul coup, les gilets jaunes ont perdu leur substance, à cause de quelques-uns qui avaient été récupérés par cette gauche-là. »

 

L’imposture des escrologistes

C’est sans doute chez les Verts que la récupération est la plus décomplexée. 

Quelques jours, à peine, après avoir appelé le gouvernement à sévir contre le mouvement agricole, Sandrine Rousseau a totalement changé de ton. « Ça devient intéressant », commenta-t-elle après la publication de la vidéo d’un McDonald's dévasté par des agriculteurs à Agen. 

« Nous devrions les rejoindre sur les barricades », estima également Marine Tondelier. 

Chiche ! On a hâte de voir l’accueil qui leur sera réservé.

https://twitter.com/marinetondelier/status/1750087192259514828

 

Les écologistes de salon ont beau publier des textes affirmant qu’ils « ne sont PAS responsables de la situation actuelle » et qu’ils refusent d’y être associés, une grande partie de la colère des paysans leur est néanmoins destinée.

 Ce n’est pas pour rien si Pascal Canfin est, aujourd’hui, la tête de Turc des syndicats agricoles. 

 Avec ses alliés écologistes, l’eurodéputé a été l’artisan du « Green Deal », cet énorme paquet de législations environnementales imposé par le Parlement européen au grand dam de la paysannerie. 

C’est cette écologie punitive qui a précarisé nos éleveurs et contribué à leur malheur. 

La gauche porte donc une lourde responsabilité. 

Comptons sur les agriculteurs pour le lui rappeler et ne pas se laisser récupérer.

 
 
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Par Jean Kast

Journaliste indépendant, culture et société
 
 

  
 
 

[Vidéo] 

Les agriculteurs manifestent à Bruxelles, Marion Maréchal à leur côté

Dans le cadre de la mobilisation exceptionnelle des agriculteurs venus porter leurs revendications jusqu’à Bruxelles, la candidate et vice-présidente du parti Reconquête est venue à leur rencontre.

Au micro de BV, de nombreux agriculteurs disent leur colère face à la technocratie bruxelloise : trop de contrôles, de normes et de produits importés de l’étranger par des pays ne respectant pas nos règles.

Les manifestants demandent un report de leurs prêts et des intérêts repris par l’État, un temps d’adaptation prolongé aux normes imposées et moins de contrôles, une meilleure rémunération et davantage de considération.

Tout comme le député RN de Gironde Grégoire de Fournas, que nous avons également pu rencontrer et interviewer, Marion Maréchal entend porter leur colère le 9 juin lors des élections européennes.

 
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Par Jordan Florentin

Journaliste à BV      https://www.bvoltaire.fr
 
 

 
 
 

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