vendredi 26 janvier 2024

CES HANDICAPS STRUCTURELS QUI ENTRAVENT L' ÉCONOMIE FRANÇAISE ! ANALYSE ) ( CLAUDE SICARD )

 

Ces handicaps structurels qui entravent l’économie française

« Notre secteur industriel ne représente plus que 10 % du PIB alors que sa contribution à la formation du PIB devrait, pour le moins, se situer à 18 % »

 
Source : Flickr
 
Publié le 26 janvier 2024
 

Le FMI a publié ses prévisions pour l’année 2024 : 2,9 % pour la croissance mondiale, et 1,2 % pour la zone euro, avec un net recul de l’inflation.

« So far, so good ! »  a commenté, non sans humour, Alfred Kammer, le directeur du Programme Europe de l’organisme international.

 C’est en effet un peu mieux que ce que l’on pouvait craindre, sachant que la plupart des économies européennes sont fortement affectées par la guerre en Ukraine.

En France, nos dirigeants n’ont pas devant eux une page blanche, loin s’en faut. 

Des niveaux records ont été atteints, aussi bien en dépenses publiques et sociales qu’en prélèvements obligatoires. 

Ajoutez à cela un déficit du commerce extérieur et un endettement qui ne cessent de croître d’année en année, et on comprend ainsi mieux pourquoi le pays fait figure de vilain petit canard concernant le respect des règles du Pacte de Stabilité et de Croissance imposées à la zone euro.

Ces règles, suspendues pendant la crise du Covid-19, ont été rétablies le 20 décembre dernier, avec toutefois un adoucissment de leur application, sur demande du ministre de l’Économie Bruno Le Maire.

Ainsi, en 2023, le déficit budgétaire de la France était de 4,7 % du PIB, et elle devra le réduire de 0,5 % point chaque année. 

La dette extérieure, actuellement à 111,7 % du PIB, devra progressivement être réduite de 1 % chaque année.

Cette obligation de résultat va nécessiter des efforts considérables, toutes ces dérives à corriger étant le fruit d’une économie qui accumule les mauvaises performances depuis de longues années.

Pour rappel, le dernier budget en équilibre remonte à 1974 ! La dette extérieure du pays, qui n’était que de 20 % du PIB en 1980, est aujourd’hui supérieure au PIB lui-même.

 

La France, mauvais élève de l’Europe

D’une manière stupéfiante, nos dirigeants ne semblent pas s’être aperçus que depuis plusieurs décennies, l’économie française réalisait des performances bien inférieures à celles des autres pays européens. 

C’est ce qu’a montré une étude de la Division de la statistique des Nations unies, publiée en 2018, qui a examiné comment l’évolution des économies des pays sur une période donnée.

 Les statisticiens de l’ONU ont pris tout simplement comme indicateur le PIB/capita des pays, et leur étude a porté sur la période 1980-2017.

Nous reproduisons ci-dessous les résultats de cette étude pour quelques pays européens, en prolongeant les séries jusqu’à la période actuelle, et en ajoutant le cas d’Israël qui est remarquable :

Si la France avait multiplié son PIB/capita par 4,2, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, on constaterait que ses taux de dépenses publiques et de dépenses sociales, par rapport au PIB, sont normaux.

À quoi tiennent ces contreperformances de l’économie française ?

 

La sociologie, une grille de lecture indispensable pour expliquer les faits économiques ?

Dans les processus économiques, les éléments sociologiques jouent un rôle déterminant.

Dans son livre La grande transformation (Gallimard, 1983) Karl Polanyi, économiste et anthropologue austro-hongrois, affirme « qu’il n’y a pas de relations économiques sans relations sociales ».

Dans son ouvrage L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (Librairie Plon, 1905), Max Weber a montré que la différence profonde de performances économiques entre les pays du nord de l’Europe et ceux du sud tient au fait que les uns sont protestants, alors que les autres sont catholiques.

En France, la sociologie du monde du travail a été forgée par l’orientation du mouvement syndical décidée au Congrès d’Amiens, en 1906. 

La motion très dure de Victor Griffuelhes adoptée au cours de cette assemblée a donné au syndicalisme le rôle de transformation de la société par l’expropriation capitaliste.

 Elle énoncait que le syndicalisme se suffisant à lui-même doit agir directement, en toute indépendance des partis politiques, avec comme moyen d’action la grève générale.

Était précisé dans cette motion : « Le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, demain groupement de production ». 

Ainsi, la Charte d’Amiens a-t-elle constitué l’ADN du syndicalisme français, et ce jusqu’à une période récente.

Le monde du travail a été confronté à un syndicalisme à caractère révolutionnaire : les chefs d’entreprise ont été, en permanence, entravés dans leurs actions par l’hostilité des syndicats.

 Ils sont soumis à un Code du travail très lourd et dissuasif imposé par une puissance publique qui a littéralement bridé leur dynamisme.

À l’inverse, en Allemagne, la collaboration des syndicats avec la Sozialdemokratie a permis de déboucher sur la cogestion des entreprises ; en Suisse, elle a conduit à un accord avec le patronat : La paix du travail

Un consensus prévoyait alors de régler les conflits par des négociations, et non plus par des grèves ou des lock-out.

Compte tenu de la position adoptée par la CGT au congrès d’Amiens, la France est restée bloquée à la sempiternelle « lutte des classes », et ce mauvais climat social a fortement nui au bon fonctionnement de l’économie.

 

Des anomalies structurelles entravent l’économie française

Avec ces innombrables luttes menées contre le pouvoir central et le patronat, les Français ont obtenu des « acquis sociaux » importants inscrits dans la législation du pays, un Code du travail volumineux et très rigide, nuisible à la bonne marche des entreprises.

Le mode de fonctionnement de l’économie française se caractérise par le tableau qui suit. Les pays scandinaves et la Suisse sont pris comme références pour définir des pays où l’économie est prospère et dynamique :

 

Ainsi, dans le cas de la France : taux de population active anormalement bas, durée de vie active plus courte, nombre d’heures travaillées/an inférieur à celui des pays du Nord ou de la Suisse, propension à recourir à la grève particulièrement élevée.

 Ce sont là les résultats des combats menés par les syndicats, auxquels s’ajoute un droit du travail particulièrement protecteur pour les salariés.

La population active de la France est aujourd’hui de 31,6 millions de personnes (données de la BIRD) : si ce taux était de 55 %, on atteindrait 37,2 millions d’actifs, ce qui signifie qu’il manque au travail 5,6 millions de personnes, soit à peu de choses près le chiffre des inscrits à Pôle Emploi : 5 404 000 personnes en novembre 2023 (toutes catégories confondues), dont 2 818 000 en catégorie A.

Il faudrait rallonger la durée de la vie active de 4 ou 5 années, mais on a vu combien cela est difficile avec la dernière tentative du gouvernement de réformer notre régime des retraites.

Il faudrait rallonger de 200 heures le nombre d’heures travaillées par an, ce qui représente, au plan national, un déficit d’environ 6 milliards d’heures, chaque année, c’est-à-dire un peu plus de 60 milliards d’euros, si on valorise ces heures au tarif du Smic.

De tous ces handicaps résultent des performances économiques très inférieures à celles des pays scandinaves et de la Suisse, d’autant que la France est devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, la Grèce mise à part.

Le secteur industriel ne représente plus que 10 % du PIB alors que sa contribution à la formation du PIB devrait se situer au moins à 18 %, comme c’est le cas pour l’Allemagne ou la Suisse (autour de 23% ou 24 %).

Dans le tableau ci-dessous figure le classement des pays selon leur ressenti du bonheur (World Hapiness Report de l’ONU, année 2019). 

Malgré toutes ses dépenses sociales, la France est classée seulement en 24e position, entre le Mexique et le Chili.

Les Français ont le sentiment que le pays est en déclin, avec une économie à la traîne. 

En 2018, la crise des Gilets jaunes avait pour origine les difficultés des Français à finir le mois, et la désertification du territoire.

Réformer, une nécessité

La France a un immense besoin de réformes, mais nos dirigeants sont très loin de s’atteler à cette tâche. 

Le prochain président de la République devra présenter aux citoyens un diagnostic réel de la situation, ce qu’Emmanuel Macron n’a pas fait : les Français ne parviennent pas à prendre conscience que notre PIB par habitant est bien inférieur à celui de nos voisins du Nord.

Emmanuel Macron paraissait doté de tous les talents pour mener à bien le redressement de notre économie, d’autant qu’il avait été ministre de l’Économie. 

Malheureusement, ces espérances ont été déçues. 

La crise liée au covid a révélé la désindustrialisation du pays, et ce n’est que le 13 octobre 2021 qu’a été lancé le Plan France 2030, visant à « faire émerger les futurs champions technologiques de demain et accompagner les transitions de nos secteurs d’excellence […] favoriser l’émergence d’innovations de rupture ».

Rien n’est prévu pour corriger les distorsions structurelles qui plombent l’économie du pays, et pas davantage pour s’affranchir de la tutelle de la Commission européenne qui gouverne le pays.

 Et à quoi peut-donc servir le nouveau Commissariat au Plan dirigé par François Bayrou ?

 Cet allié politique est totalement muet alors qu’il avait pour mission d’« éclairer les choix collectifs que la nation aura à prendre pour maintenir ou reconstruire sa souveraineté ».

 

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