
Mathieu Thomasset / Hans Lucas via AFP
Loi Duplomb : "Le Conseil constitutionnel doit concilier préservation de l’environnement et intérêt général"
Tribune
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Le Conseil constitutionnel doit rendre ce jeudi 7 août sa décision concernant la loi Duplomb sur l’agriculture, qui réautorise notamment des pesticides néonicotinoïdes.
Pour Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, la souveraineté et la compétitivité doivent primer dans la décision.
Déposée en novembre 2024 par 185 sénateurs pour répondre aux besoins de l'agriculture française – comme aux revendications exprimées par les agriculteurs au printemps 2024 –, la proposition de loi « Duplomb-Ménonville » a été adoptée à une large majorité au Parlement.
Elle a pour objectif de « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » dans le respect de la législation européenne, qui est la plus protectrice du monde.
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Embrayant sur la cabale obstructionniste organisée à l’Assemblée nationale par les groupes de gauche (laquelle a conduit la majorité des députés à voter une motion de rejet préalable non pas pour esquiver le débat, mais – comme il est arrivé maintes fois dans l’histoire de la Ve République – pour ne pas le laisser s’enliser), la pétition contre la loi Duplomb dénonce en ce texte ni plus ni moins qu’un « acte dangereux pour l’humanité entière ».
Peu importent les études scientifiques et la situation de l’agriculture française.
Peu importe que la France ne produise plus que 36 % des fruits qu’elle consomme, contre 60 % il y a vingt ans.
Un cas de surtransposition des normes européennes
C’est maintenant devant le Conseil constitutionnel que se porte la contestation.
Elle prend la forme de trois recours exploitant toutes les ressources contentieuses offertes par la Charte de l’environnement (loi constitutionnelle du 1er mars 2005) telle qu’interprétée par le Conseil.
La loi Duplomb permettrait notamment de réintroduire, dans des conditions très encadrées, un insecticide néonicotinoïde, l'acétamipride.
Accusé par les militants écologistes de causer des cancers et de provoquer un « holocauste parmi les insectes » – ce qui n’a pas peu contribué au succès de la pétition – cette molécule reste autorisée, en usage agricole, dans l'ensemble de l'Union européenne, où son homologation a été récemment renouvelée jusqu'en 2033.
En France même, elle n’est pas interdite en usage domestique, puisqu’elle y est présente dans 95 produits biocides.
Beaucoup moins toxique que les néonicotinoïdes plus anciens, l’acétamipride a subi des tests d'homologation sévères et rien à ce jour ne démontre qu'il ait des effets néfastes s’il est utilisé dans les strictes conditions prescrites par la loi Duplomb.
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La volonté d’éliminer les produits phytosanitaires, au-delà même de réglementations européennes déjà très restrictives (cas typique de surtransposition des normes européennes, pour des raisons ici idéologiques), a conduit à mettre en péril des filières entières.
Ainsi, le retrait du diméthoate a fortement affecté la production française de cerises, lesquelles continuent d’être importées de partout et notamment de pays européens.
L’interdiction totale des usages agricoles de l'acétamipride (aujourd’hui sans substitut pour protéger la culture des betteraves sucrières et des noisettes) est une exception française.
Situer l'intérêt général
La loi Duplomb menace-t-elle, comme il a été allégué dans les débats, dans la pétition et maintenant dans les saisines, la santé des abeilles et des humains ?
Sans être expert, on peut trouver étrange que nous soyons les seuls en Europe à interdire purement et simplement des produits dont une utilisation précautionneuse (telle que celle prévue par la loi Duplomb) sauverait certaines cultures très sensibles aux pucerons, favoriserait notre souveraineté alimentaire et rééquilibrerait notre balance des biens agricoles.
Voulons-nous importer tout ce que nous consommons pour ne pas détériorer la santé et l’environnement, tout en laissant les autres leur porter dommage ?
Il est dramatique que des questions comme celles de l’usage agricole des pesticides et de l’eau stockée – dont la discussion devrait faire appel à la recherche patiente et raisonnée de l’intérêt général – en arrivent à devenir des marqueurs idéologiques.
Or rarement, depuis le début de cette étrange législature, le clivage droite-gauche ne se sera affirmé avec autant d’intensité qu’à propos de la loi Duplomb.
Pauvre raison républicaine !
Elle devrait pourtant inciter, en la matière, non à tout interdire ou à tout laisser faire, mais à chercher à concilier (comme le fait au demeurant la loi Duplomb) des objectifs pareillement légitimes, quoique mutuellement contradictoires.
Voilà la noblesse du politique, avec un sous-produit : l'apaisement des conflits.
Le Conseil constitutionnel peut y contribuer en faisant prévaloir la raison et l’intérêt général.
Mais il peut aussi ajouter à la confusion en fixant les exigences constitutionnelles (que ce soit celles du « devoir de toute personne de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement » ou celles du « principe de précaution ») à un niveau déraisonnablement élevé eu égard à l’imprécision des textes, à son absence d’expertise technique et aux réalités socio-économiques.
Jurisprudence en faveur de la loi Duplomb
Sa jurisprudence lui permettrait de faire revenir à la raison et de calmer les esprits.
Par sa décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020, il a en effet jugé conforme à la Constitution, compte tenu de l'ensemble des garanties dont elle était assortie, la possibilité de déroger à l'interdiction d'utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes.
Le législateur, juge le Conseil dans cette décision, lorsqu’il assouplit les normes environnementales, ne doit pas « priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l'article 1er de la Charte de l'environnement ».
Il ne peut non plus délier chacun de son devoir « de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement mentionné à l'article 2 de la Charte », sauf à concilier ce devoir – de façon proportionnée à l'objectif poursuivi – avec d’autres exigences constitutionnelles ou avec des motifs d'intérêt général.
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En 2020, le Conseil a reconnu l’intérêt général de la dérogation eu égard à la gravité des dangers menaçant, dans certains cas, les cultures, faute de pouvoir utiliser les produits en cause (infestations de pucerons vecteurs de maladies virales) et à la nécessité de préserver les capacités de production du secteur.
Quant au caractère proportionné de la dérogation, il résulte, juge-t-il, du cantonnement de l’emploi de ces produits à des dangers « ne pouvant être maîtrisés par d'autres moyens raisonnables », du formalisme des autorisations, du contrôle de leur mise en œuvre et du fait que les possibilités de dérogation ne seront ouvertes « que le temps que puissent être mises au point des solutions alternatives ».
La non-pulvérisation n'est pas rédhibitoire
Ces solutions alternatives n’étant toujours pas au point aujourd’hui pour certaines cultures, et compte tenu des précautions à nouveau prises par la loi Duplomb, la solution de 2020 paraît transposable en 2025, la limite temporelle uniforme prévue en 2020 (1er juillet 2023) étant remplacée par un réexamen triennal des décrets de dérogation.
Il est vrai que, dans sa décision de 2020, poussant fort loin son contrôle, le Conseil constitutionnel relève que « les dispositions contestées n'autorisent que les traitements directement appliqués sur les semences, à l'exclusion de toute pulvérisation, ce qui est de nature à limiter les risques de dispersion de ces substances ».
Mais voir dans la non-pulvérisation une condition nécessaire de la constitutionnalité du dispositif serait oublier que, lorsque le Conseil énumère des raisons dont l’ensemble lui fait dire qu’une disposition présente de suffisantes garanties au regard d’exigences constitutionnelles, ce qui lui arrive fréquemment, il n’y a pas lieu de considérer que chacune de ces raisons est indispensable à la constitutionnalité du dispositif.
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Si la loi Duplomb passe l’épreuve de constitutionnalité, demeurerait pour elle un dernier obstacle à franchir pour entrer en vigueur : que le président de la République la promulgue sans la renvoyer au Parlement pour « nouvelle délibération », comme le lui permet l’article 10 de la Constitution et comme le réclament près de deux millions de pétitionnaires.
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