vendredi 15 décembre 2023

ÉDUCATION NATIONALE : LE PLAN " ATTAL " PEUT-IL LA DÉBLOQUÉE ....... ANALYSE !

 



Le plan Attal peut-il débloquer l’Éducation nationale ?

On se trompe d’objectif en favorisant la mixité sociale et la réduction des inégalités plutôt que le niveau de connaissances

 
Source : Wikimedia Commons
 
Publié le 15 décembre 2023 
 
 
L’Éducation nationale se trompe d’objectif en favorisant la mixité sociale et la réduction des inégalités plutôt que le niveau de connaissances. 
 
En effet, la dégradation du niveau général est nuisible à tout le monde et réduit l’égalité des chances en nivelant par le bas.

Depuis la publication en avril de mon article « L’éducation nationale se trompe d’objectif », sont arrivés les résultats de la dernière enquête PISA, qui confirme la catastrophe, et le plan Attal qui tente d’y pallier.

Ce plan vient tout juste d’être annoncé, on n’en connaît pas encore toutes les dispositions concrètes, et encore moins sa mise en œuvre par les enseignants.

Je rappellerai d’abord les résultats de cette enquête, puis l’analyse qu’en font les différents acteurs. Ensuite nous verrons ce que prévoit le plan Attal, et ce qui pourrait le compléter.

 

Une réalité catastrophique

Il y a trois regards sur l’Éducation nationale : celui des observateurs extérieurs, celui des employeurs, et celui des parents d’élèves.

Des observateurs extérieurs sévères

Les observateurs extérieurs sont ceux qui élaborent l’enquête PISA. On peut critiquer tel ou tel point de ces classements, mais l’accumulation pendant des décennies de données catastrophiques montre que le déclin ne peut plus être nié.

La dernière version de PISA a été menée en 2022 auprès de 690 000 adolescents de 81 pays. L’enseignement principal pour la France est la chute importante du niveau de mathématiques (-21 points) et de compréhension de l’écrit (-19 points). 

Ce déclin touche maintenant tous les élèves, y compris la proportion des élèves les plus performants (12,9 %), tandis qu’augmente la proportion des élèves les plus en difficulté.

Un élève de quatrième a aujourd’hui les connaissances de l’élève de cinquième en 1995. 

Le Conseil Scientifique de l’Éducation nationale a alerté en septembre 2023 sur l’incompréhension totale des fractions et des nombres décimaux mesurée à l’évaluation nationale des élèves à l’entrée en sixième : la moitié ne sait pas combien il y a de quarts d’heure dans trois quarts d’heure !

Et c’est là qu’apparaît une césure dans les médias que nous retrouverons souvent. Certains, en général à gauche, insistent sur la persistance des inégalités, alors que les médias conservateurs ou libéraux insistent sur le fait que la chasse aux inégalités amplifie le déclin français, déjà sensible depuis des décennies.

Le constat des employeurs

Les employeurs sont navrés du niveau de français de leurs nouveaux embauchés, à qui ils doivent souvent offrir une période de mise à niveau, comme en témoigne la floraison d’entreprises de services en la matière. 

De même en mathématiques, ce qui est dramatique pour l’économie et la carrière des élèves.

Je pense notamment au retour au nucléaire dont il faut reconstituer les équipes, suite à l’abandon de cette filière depuis François Hollande sous la pression des écologistes français, mais aussi allemands. Pour cette filière nucléaire et la réindustrialisation en cours de la France, il faudrait que nos grandes écoles forment 20 000 ingénieurs de plus par an.

Le législateur peut trouver que telle discipline est utile (résister au harcèlement, éducation à la sexualité, protection de l’environnement…), mais on oublie qu’il faut alors rogner sur les horaires des fondamentaux que sont les mathématiques et le français. 

De même pour les langues étrangères : l’anglais est intégré aux programmes scolaires dès le primaire (au lieu de la sixième auparavant) et la deuxième langue dès la cinquième (au lieu de la quatrième).

En 2022, les élèves ont ainsi perdu, primaire et collège additionnés, 522 heures de français par rapport aux horaires de 1968, fois deux années de formation.

La réaction des parents d’élèves

Je vais évoquer ceux qui se soucient concrètement de l’avenir de leurs enfants, et donc s’efforcent de leur trouver les meilleurs établissements possibles, publics ou privés.

Nous touchons là à une hypocrisie : il est de bon ton de protester publiquement contre les inégalités dans l’enseignement, mais en privé on fait tout pour les aggraver.

 Ce qui est naturel : mettre en place des règles obligeant les parents à laisser leurs enfants dans des établissements jugés mauvais pousse à des stratégies de contournement.

 

L’avis des enseignants

Les enseignants se plaignent d’abord et surtout d’une rémunération insuffisante, d’une part par rapport aux autres pays européens ; et d’autre part parce que cela entraîne un manque de candidats aux concours, et donc un recrutement insuffisant, tant en quantité qu’en qualité. 67 % des élèves sont scolarisés dans des établissements manquant de personnels.

Depuis la réforme Haby de 1975, les enseignants français se plaignent également d’avoir à gérer l’hétérogénéité, avec la massification de l’enseignement secondaire. 

 Depuis une dizaine d’années, les milieux conservateurs accusent également l’immigration, en oubliant qu’elle touche aussi les autres pays européens dans lesquels les immigrés ne connaissent pas la langue du pays.

 Alors qu’avec notre immigration assez largement francophone, nous avons un problème de moins que, par exemple, l’Allemagne.

Certains enseignants, en général les plus diplômés, répandent des discours alarmants sur la baisse de niveau des connaissances les plus élémentaires, mais leurs propos sont en général taxés d’élitisme.

Bref, les observateurs extérieurs, les employeurs, et les parents attentifs, sont extrêmement sévères quant à la chute du niveau, tandis que les enseignants et leurs syndicats ont une attitude très classiquement plus corporatiste, ce qui accroît la difficulté du dialogue.

 Ce dernier est encore compliqué par le fait que, jusqu’à présent, l’objectif proclamé par l’Éducation nationale n’est pas le niveau des connaissances, mais la réduction des inégalités.

 

La priorité à la réduction des inégalités

Le poids de l’héritage de Pierre Bourdieu

Dans son livre Les Héritiers co-écrit avec Jean-Claude Passeron, il affirme, en résumé, que l’école est une instance de reproduction sociale : les inégalités sociales sont transformées en inégalités scolaires, et redeviennent ensuite des inégalités sociales à la sortie. Bref, elle légitime les inégalités par des diplômes censés correspondre à des mérites personnels.

Bourdieu estime notamment que l’enseignement transmet les codes culturels des classes supérieures, volontairement abscons pour les autres élèves.

 Ce discours semble imprégner une bonne partie des enseignants, de leurs syndicats et de leur hiérarchie, et parfois l’ensemble des gouvernants.

J’ai même personnellement été harcelé dans des réseaux professionnels, puis exclu, pour ne pas avoir participé à ce véritable culte. Remarquons que ce discours semble confondre codes sociaux et niveau scolaire, et fait bon marché de toutes les promotions sociales par l’école, qui ont été massives depuis deux siècles.

On pourrait ajouter que le problème est pris à l’envers : il ne faut pas adapter le niveau aux moins favorisés, mais au contraire le relever pour donner à chacun les meilleures chances de promotion. 

On retrouve la césure politique dans les raisons proclamées de cet échec.

Les causes citées à gauche

À gauche, on insiste sur la faiblesse des salaires des enseignants.

 Pourtant, ce n’est pas lié au manque de moyens, la France dépensant toujours plus pour l’Éducation nationale, en pourcentage du PIB et en comparaison avec les autres pays.

Comment fait-on en France pour dépenser davantage de budget pour l’éducation tout en payant moins qu’ailleurs les enseignants ?

Une première remarque est, qu’outre les 800 000 enseignants, il y a 400 000 fonctionnaires non enseignants.

C’est à mon avis le prix de la centralisation et de l’uniformité : plus une institution est importante, plus il existe d’échelons hiérarchiques et de services centraux. 

Par ailleurs, il est compréhensible d’un point de vue syndical de tenir à cette centralisation et à cette uniformité : une fédération nationale est plus puissante que des syndicats dispersés.

 La faiblesse syndicale dans les PME explique leur crainte de la décentralisation, et les syndicats protestent d’avance contre toute autonomie qui pourrait mener à une privatisation de fait ou de droit, ce qui est un tabou politique.

Une autre explication de l’importance du poids financier de l’Éducation nationale est le coût des retraites, qui se prennent plus tôt en France.

 Le passage de 62 à 64 ans sera progressif et n’a donc pas encore joué. 

Surtout, il ne résoudra pas tout : on est plutôt vers 67 ans dans le reste de l’Europe.

 

Les causes citées à droite ou par les libéraux

La droite conservatrice prend comme référence le passé, qui, dans ce cas, est effectivement meilleur que le présent.

Les libéraux mettent l’accent sur l’autonomie et la responsabilité.

 

Le corporatisme

Pendant longtemps, la gestion des carrières a été largement décidée par les syndicats qui ont privilégié des augmentations à l’ancienneté plutôt qu’au mérite, dont l’appréciation serait selon eux arbitraire (mais qui est pourtant le cas général dans les entreprises).

Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais la priorité de l’ancienneté demeure dans l’évolution des rémunérations, et surtout l’attribution des postes, les plus difficiles étant confiés aux débutants. 

On cite souvent comme exemple de corporatisme l’organisation du temps scolaire pensée pour les enseignants et non pour les élèves. 

Les libéraux rêvent bien sûr d’une rémunération davantage axée sur le mérite et l’efficacité.

 

La prévalence du pédagogisme dans la création des programmes

Les conservateurs sont frappés par le renversement de l’autorité pédagogique, illustrée par le slogan mettre l’élève au centre.

C’est le pédagogisme : préférer l’épanouissement de l’enfant à l’effort d’acquisition des connaissances. 

Par exemple, en s’opposant à l’évaluation-sanction ou en poussant au bac pour tous avec les consignes pressantes de relever des notes. 

C’est ainsi que la part de bacheliers dans une génération est passée de 29 % en 1985 à 82,8 % en 2022, malgré la baisse de niveau !

De ce fait, on a vu la multiplication des cours de rattrapage avant d’entrer dans le supérieur. Résultat : les employeurs qui jadis recrutaient des bacheliers exigent maintenant Bac+3, voire Bac+5.

Une volonté, non pas d’égalité mais d’égalitarisme

L’égalité constitutionnelle est celle du citoyen face à la loi, et non une revendication d’égalité des résultats.

 Pourtant, cette dernière est devenue dans les discours une priorité qui passe avant le maintien ou l’élévation du niveau. 

Cela irrite évidemment les libéraux qui mettent l’accent sur l’originalité de chaque individu, et donc le respect du mérite.

La dérive assez naturelle est alors d’égaliser les résultats en étant moins exigeant, avec comme conséquence un nivellement par le bas.

 En témoignent les pressions subies par les correcteurs d’examen afin de relever leurs notes.

 Ces derniers s’indignent et s’en plaignent sur les réseaux sociaux professionnels, par exemple celui des Clionautes, association de professeurs d’histoire-géographie.

 

Le plan Attal

La majorité des Français étant très concernée par ce problème, une énième réforme vient d’être lancée par le ministre Gabriel Attal, qui semble plus profonde que les précédentes.

 Il commence par afficher vouloir « augmenter le niveau du fait de l’urgence nationale ».

 On retrouve bien notre analyse ci-dessus.

Les textes détaillés ne sont pas encore connus, mais la presse note :

  • l’allégement des programmes du primaire
  • un effort sur le soutien personnalisé
  • des groupes de niveau flexibles
  • un examen de mathématiques en première pour obliger à un travail sur cette matière très importante pour l’emploi
  • le retour des redoublements, qui seront décidés, non plus par les parents mais par les enseignants, ce qui renforcera leur autorité
  • des manuels scolaires aux méthodes scientifiquement prouvées comme efficaces
  • une refonte du brevet, rendu obligatoire pour entrer au lycée
  • la fin du correctif académique remontant les notes des examens
  • une réforme de la formation initiale des enseignants, et leur formation continue, qui est beaucoup moins fréquente que dans les autres pays européens

 

Je remarque que presque tous ces points vont renforcer les enseignants. 

Par exemple, il faudra mieux les écouter pour réussir le brevet et l’examen de mathématiques en première.

Mais on revient rapidement aux clivages politiques comme l’illustre le quotidien Libération dans son numéro du 6 décembre. 

Le journal y expose la réaction du SNES FSU qui accuse le ministre de vouloir « institutionnaliser le tri social », et du SNUIPP qui explique que la simplification dans le primaire va creuser des inégalités, les parents favorisés pouvant faire une formation complémentaire.

Le journal reprend également la vieille attaque contre les groupes de niveau qui vont stigmatiser ceux qui iront dans les moins bons.

 Bref, les critiques restent axées sur les inégalités, et non sur le niveau.

 

Comment aller plus loin ?

Renverser les a priori idéologiques

D’abord, pourquoi un redressement du niveau serait-il inégalitaire? C’est un a priori idéologique.

En effet, l’amélioration du niveau mène à de meilleurs emplois.

 Combiné à la disparition ou la transformation des emplois anciens et la multiplication des nouveaux, il rétablit l’égalité des chances.

 

L’adéquation des matières au monde du travail également. 

Ce dernier point a longtemps été considéré par le corps enseignant comme contraire à son exigence de culture générale.

 Or cette dernière, qu’elle soit littéraire ou scientifique, est justement recherchée par les employeurs.

Voici mon témoignage :

Il y a plus de 20 ans, étant en charge d’une grande école, j’ai eu en face de moi un activiste persuadé du mépris des employeurs pour la culture générale.

 Je l’ai donc chargé des relations avec ces derniers, et il en est ressorti avec un renversement de ses préjugés.

En effet, la culture générale est nécessaire pour s’adapter aux changements techniques et économiques de plus en plus rapides.

 Et le rodage aux mathématiques permet de s’adapter rapidement à une société informatisée.

 Comme l’ont longtemps pensé certains enseignants, il ne s’agit pas de travailler pour les employeurs, mais pour les élèves.

L’autonomie scolaire

On n’enseigne pas de la même façon à Louis-le-Grand et dans un établissement moins favorisé. 

C’est une évidence dont on ne tire pas les conclusions.

 On a essayé au contraire de gommer cette inégalité, avec notamment l’obligation par le précédent ministre de l’Éducation d’échanger des élèves entre  établissements « différents ».

Plutôt que de vouloir gommer cette inégalité, pourquoi ne pas respecter une plus grande liberté éducative à chaque lieu d’enseignement ?

 On offrirait ainsi à chaque équipe enseignante des marges de manœuvre permettant de faire des choix stratégiques essentiels pour le devenir des élèves, comme l’a proposé par exemple le Sénat.

Cette idée paraît évidente aux personnes issues de l’entreprise, ce qui est mon cas.

 Je précise toutefois que j’ai été également enseignant du soir pendant 30 ans, puis un enseignant classique pendant 20 ans supplémentaires, et encore aujourd’hui. 

Cette pratique de l’autonomie est répandue dans les pays de l’OCDE, où elle donne des résultats convaincants.

Ce constat est à l’origine de l’expérience marseillaise d’autonomie scolaire menée conjointement par Emmanuel Macron et le maire socialiste de Marseille. 

Elle a donné lieu à une levée de boucliers côté syndical, pour des raisons que j’ai mal comprises.

Faut-il y voir la crainte d’avoir sur le dos un patron proche, le chef d’établissement ? 

Cela alors qu’on accuse la hiérarchie, pourtant plus lointaine, de tous les maux, et notamment de la passivité dans la défense des enseignants dans les domaines disciplinaires liés à la laïcité ou au harcèlement. 

Passivité dont je témoigne personnellement.

Un autre blocage idéologique est celui de la crainte que l’autonomie ne mène à la privatisation. 

Cette crainte est assez logique, même si elle n’est pas envisagée pour des raisons politiques.

Elle est avivée par la croissance de la demande pour le privé, lequel est freiné par le contingentement à 20 % du nombre de ses enseignants.

 Ce contingentement découle du conflit de l’époque Mitterrand, entre les partisans du tout public et ceux du secteur privé, soutenus par une énorme manifestation. 

C’est à mon avis un obstacle purement idéologique, qui devrait être supprimé pour laisser une plus grande liberté de choix aux parents.

 

Le renouveau de l’apprentissage

Nous avons enfin tiré des leçons de la réussite suisse et allemande dans ce domaine. 

Je regrette toutefois que ce soient surtout des étudiants du supérieur qui en ont tiré profit.

La réforme en cours du lycée professionnel devrait s’appuyer davantage sur l’apprentissage, notamment en améliorant  la connaissance des entreprises et l’orientation, ce qui est actuellement en débat.

 

Du pragmatisme !

Il faut abandonner toute approche idéologique face à l’importance du problème, qu’elle concerne la privatisation, l’autonomie, l’égalitarisme, le pédagogisme et les exemples étrangers (chèque éducation, école à charte, école publique indépendante…), ou, en France, les écoles de production…

Par contre, contrairement à mes amis libéraux, je reste assez opposé à l’école à la maison pour des raisons de socialisation, mais aussi et surtout parce qu’elle favorise l’endoctrinement islamiste.

 Il faut privilégier l’élitisme dans tous les domaines, aussi bien manuels qu’intellectuels, techniques ou théoriques, car c’est lui qui donne ses meilleures chances à ceux qui n’ont pas de base sociale.

Il y a des moyens pour cela : filières d’excellence, bourses, concours externes, implication des enseignants. 

Bref, il faut revenir à la mission première : faire acquérir des connaissances aux élèves, et cela dès le plus jeune âge ; donc mettre l’accent sur la maternelle et le primaire. 

D’autant plus que c’est là que démarrent et se creusent certaines inégalités.

Dans cette optique, le plan Attal est une étape importante.

 

 Reste à le mettre en place malgré les oppositions déjà déclarées, et à aller plus loin.

Vous pouvez retrouver cette analyse sur le blog d’Yves Montenay

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