La Russie n’aurait pas dû envahir
l’Ukraine, la cause est entendue.
Mais comment en est-on arrivé là ?
De
nombreux diplomates et d’anciens ministres considèrent que les pays
occidentaux, les États-Unis en premier lieu, ont joué, durant ces trois
dernières décennies, une partition géopolitique navrante vis-à-vis des
dirigeants et du peuple russes qui se sont sentis humiliés par des États
pensant les avoir réduits à faire de la figuration sur la scène
internationale après la chute de l’empire soviétique.
On l’a oublié
mais, aussi incroyable que cela puisse paraître aujourd’hui, Boris
Eltsine (en 1994) puis Vladimir Poutine (en 2000) évoquèrent avec le
président américain Bill Clinton la possibilité d’une adhésion de la
Russie à l’OTAN.
Tergiversations, barrage des pays de l’ex-bloc
soviétique eux-mêmes demandeurs de la protection américaine et craignant
un impérialisme new-look de la Russie, soupçons des pays de l’Europe de l’Ouest – selon l’historien britannique d’origine russe Sergey Radchenko, « en étant trop réaliste et pas assez idéaliste à un moment où il aurait pu faire une différence, Bill Clinton a peut-être contribué à faire de la résurgence impérialiste de la Russie une prophétie autoréalisatrice ».
L’Europe s’américanise d’un côté et s’islamise de l’autre
Nous sommes en 2021.
Seize ans après
un nouvel agrandissement de la zone d’influence américaine en Europe de
l’Est (entrée dans l’OTAN de la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la
Lituanie et la Roumanie), se souvenant que les Américains avaient déjà
proposé en 2008 l’intégration de la Géorgie et de l’Ukraine dans l’OTAN
et que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel s’étaient opposés à cette idée
en promettant toutefois d’y revenir plus tard,
Vladimir Poutine
s’enquiert auprès des diplomaties occidentales sur la relance d’un
projet d’intégration de l’Ukraine à l’OTAN, ce qui serait pour lui un casus belli.
Sur France Culture, lors de l’émission Répliques du
2 mars, Pierre Lellouche, ex-président de l’Assemblée parlementaire de
l’OTAN, a rappelé comment la Russie avait officiellement demandé à la
mi-décembre 2021 que soit entérinée, en échange du maintien de la
souveraineté ukrainienne et de l’ouverture de négociations pour sortir
de la crise du Donbass, la non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.
Américains et Européens décident alors d’humilier les Russes en ignorant
purement et simplement leur requête, en n’y répondant pas et en
laissant planer le doute.
Hubert Védrine parlera d’une « provocation dangereuse ».
Le 24 février 2022, les troupes russes pénètrent en Ukraine.
Un mois
après le début des hostilités, alors que Volodomyr Zelensky se dit prêt à
négocier directement avec Vladimir Poutine, le petit télégraphiste de
Washington, Boris Johnson, se rend à Kiev pour demander au président
ukrainien de ne rien négocier du tout, l’assurant du soutien
inconditionnel, en armes et en argent, des Américains et des
Britanniques.
Dès le début, les Américains voient dans ce conflit un
moyen radical pour séparer l’Europe occidentale, surtout l’Allemagne, de
la Russie.
Tous les moyens sont bons.
Y compris le sabotage des
gazoducs Nord Stream – le 6 février 2022, Joe Biden, lors d’une
conférence de presse avec Olaf Scholz, avait prévenu : « Si la Russie envahit l’Ukraine, Nord Stream 2 n’existera plus. Nous y mettrons fin. »
À la question : « Comment ferez-vous ? », Biden avait répondu : « Je vous promets que nous serons en mesure de le faire. »
Les Américains ont encouragé les Ukrainiens à poursuivre une guerre
qu’ils savaient perdue d’avance.
En même temps qu’ils espèrent affaiblir
militairement la Russie, ils comptent ébranler l’Allemagne et ses
prétentions d’extension économique : la charge financière que représente
l’achat du gaz américain, quatre fois plus cher que le gaz russe, est
en train d’étouffer l’industrie allemande.
Au passage, ils vendent leurs
avions et hélicoptères militaires aux Allemands et aux Polonais qui
chantent l’Europe de la Défense mais achètent américain.
La Finlande, à
peine entrée dans l’OTAN, débloque 1,7 milliard d’euros pour l’achat de
matériel militaire… américain.
L’Europe, qui ne sait plus où elle
habite, qui s’américanise d’un côté et s’islamise de l’autre, qui achève
son agriculture après avoir bradé son industrie, est anéantie par une
organisation corrompue dirigée par une Allemagne vassale des États-Unis,
l’impératrice Ursula et ses sbires fédéralistes et atlantistes.
Les
États-Unis, à la recherche de nouveaux marchés et d’un raffermissement
stratégique et géopolitique dans la partie la plus orientale de
l’Europe, ne voient pas d’un si mauvais œil la continuation du conflit
russo-ukrainien.
En même temps, ils anticipent l’inévitable après-guerre
en envoyant des représentants en Ukraine afin de discuter d’ores et
déjà de la reconstruction de ce pays ruiné et de garantir aux
entreprises américaines une place de choix lors des futurs appels
d’offres dans le cadre de cette reconstruction qui sera essentiellement
financée par… l’Union Européenne.
Business is business.
Macron consterne les chancelleries occidentales
Le 25 février dernier, le New York Times a
révélé le financement américain, dès 2014, de 12 bases militaires
ukrainiennes de renseignement établies tout le long de la frontière
russe.
Investissement juteux : en 2015, le chef du renseignement
militaire ukrainien livre à la CIA des informations importantes sur les
sous-marins nucléaires russes.
Malgré les réticences des Américains, les
services secrets ukrainiens assassinent des leaders russes ou
séparatistes. 2014, c’est aussi l’année du coup d’État de Maïdan à Kiev
soutenu (fomenté ?) par les Américains afin de chasser un gouvernement
considéré comme trop pro-russe.
Soulignons encore que ces bases sont
installées au moment où les accords de Minsk (Minsk I en septembre 2014
puis Minsk II en février 2015), supervisés par la France et l’Allemagne,
sont signés entre l’Ukraine et la Russie afin de tenter de résoudre le
conflit entre Kiev et les séparatistes pro-russes du Donbass.
Ces
accords ne seront jamais véritablement appliqués.
L’Ukraine ne
respectera pas le point prévoyant une réforme constitutionnelle pour
introduire un nouveau statut d’autonomie des deux Républiques
séparatistes.
Les élections qui devaient avoir lieu sont annulées, les
russophones du Donbass sont régulièrement humiliés par le gouvernement
ukrainien, des troupes miliciennes ukrainiennes font régner leur loi.
« Porochenko d’abord, puis Zelensky ont accepté les principes de l’accord mais ne l’ont finalement jamais appliqué »,
affirmera l’ancien ambassadeur de France à Moscou, Jean de Gliniasty.
Mais ces accords avaient-ils réellement pour objectif de régler les
différends entre Kiev et Moscou ?
L’ex-chancelière allemande, Angela
Merkel, vend la mèche dans un entretien donné à Der Spiegel le 24 novembre 2022 : « Les accords de Minsk ont servi à donner du temps à l’Ukraine. […] Il était évident pour nous tous que le conflit allait être gelé, que le problème n’était pas réglé, mais cela a justement donné un temps précieux à l’Ukraine. »
François Hollande confirmera les propos de l’ex-chancelière.
Aveuglé
par les nombreux discours officiels d’Angela Merkel insistant sur le
fait que la levée des sanctions contre la Russie était conditionnée à la
mise en œuvre des accords de Minsk, Vladimir Poutine n’a visiblement
pas vu le coup venir ; celui-ci est d’autant plus rude que les relations
entre l’ex-chancelière allemande et le président russe avaient toujours
été excellentes et ont profité aux deux pays, en particulier à
l’Allemagne – le gaz russe, abondant et peu cher, a longtemps fait le
bonheur des industriels et des ménages allemands.
Soutien à l’Ukraine : un débat vicié
Dirigé par un histrion incompétent et
égocentrique, la France est en train de s’échouer sur les rives arides
de la politique étrangère et des relations internationales.
Au pays de
Talleyrand, la nomination de Stéphane Séjourné au ministère de l’Europe
et des Affaires étrangères serait du plus haut comique si elle n’était
pas le reflet du délabrement total de l’État français.
Au milieu du
désastre, Narcisse 1er gonfle son petit torse et convoque les
dieux de la guerre qui rient de voir ce nain se prendre à la fois pour
Jupiter et Mars.
Les chancelleries occidentales sont consternées et
commencent à se demander si le tourbillonnant président français a toute
sa raison.
Par pur réflexe, le président russe rappelle qu’il possède
l’arme atomique – en réalité, la tarasconnade de notre divin ridicule a
dû amuser Poutine, l’homme aux douze cancers guéris par les plantes.
En
revanche, l’ex-KGBiste et président actuel d’un pays où la propagande
politique est considérée depuis plus d’un siècle comme un art à part
entière, a certainement apprécié à sa juste valeur la puissance de la
propagande occidentale après l’annonce de la mort d’Alexeï Navalny :
devenu une icône intouchable, Navalny a miraculeusement échappé aux
investigations des journalistes occidentaux qui auraient pu rappeler le
passé plus que douteux de cet ultra-nationaliste réputé pour son
racisme, pour sa xénophobie, pour un clip dans lequel il préconisait la
« déportation » des migrants et pour une vidéo dans laquelle il
expliquait, gestes à l’appui, comment exterminer les mouches, les
cafards et les… musulmans tchétchènes.
Si le monde occidental s’est
prosterné devant la dépouille de Navalny, il n’en a rien été à Kiev – et
pour cause : les Ukrainiens ont souvenir de quelques déclarations de
Navalny qui leur restent en travers de la gorge, en particulier celles
sur un « monde russe » plus large que la Russie et une politique étrangère russe devant par conséquent viser« au maximum l’intégration avec l’Ukraine et la Biélorussie ».
Les Occidentaux accusent Vladimir Poutine d’avoir harcelé Alexei
Navalny jusqu’à le faire mourir mais se soucient assez peu du sort de
Julian Assange.
Poursuivi par les l’États-Unis, isolé dans une prison de
haute sécurité au Royaume-Uni, très affaibli physiquement et
psychologiquement, le lanceur d’alerte australien est dans l’attente
d’une possible extradition vers un pays qui l’a d’ores et déjà condamné à
175 ans d’emprisonnement pour avoir révélé les exactions des services
secrets et militaires américains.
Curieusement (ou pas), les médias
occidentaux s’épanchent depuis des années sur le cas de Navalny mais
restent relativement discrets sur celui d’Assange.
Dans un entretien récent donné au Figaro, Jean-Pierre Chevènement souligne l’incohérence politique et l’amateurisme géopolitique d’Emmanuel Macron.
« Les intérêts vitaux de la France ne se situent pas en Ukraine »,
rappelle-t-il.
L’ancien ministre de la Défense souhaite, au sujet de
l’engagement de la France dans le conflit russo-ukrainien comme au sujet
d’une « européanisation de la dissuasion nucléaire », un débat
au parlement, débat qui aurait dû avoir lieu depuis longtemps s’il
existait une véritable opposition parlementaire pour le réclamer.
Ce
débat sur l’engagement de la France en Ukraine doit enfin se tenir à
l’Assemblée puis au Sénat cette semaine.
À trois mois des élections
européennes, le vote parlementaire qui suivra ce débat est un piège
grossier reposant sur un simplisme manichéen et strictement politicien,
au plus mauvais sens du terme : soit vous votez pour le plan de soutien
de la France à l’Ukraine – et alors, bravo, vous êtes dans le camp du
Bien – soit vous votez contre – et alors, rien à faire, quels que soient
vos arguments, vous devenez un suppôt de Poutine, un traître, un espion
à la solde du régime russe, un anti-démocrate en puissance.
Une grosse
claque électorale étant annoncée, la stratégie macronienne pour les
élections européennes se résume à « faire barrage au RN » et,
conjointement, à pousser sur le devant de la scène le conflit en Ukraine
afin d’escamoter les sujets primordiaux que sont l’immigration, la
sécurité, l’énergie, l’agriculture, le rôle de la Commission, du
Parlement européen, l’avenir des traités, etc.
Les électeurs seront-ils
dupes ?
Sur France Culture, face à un Bernard Guetta hoquetant une argumentation chétive sur l’air de « Poutine est stupide », Emmanuel Todd a affirmé que « de fait, les Russes ont gagné la guerre ».
Le mieux que la France puisse faire, a déclaré de son côté Pierre
Lellouche, est de tenter de prendre part aux prochaines négociations qui
ne manqueront pas d’avoir lieu lorsqu’il apparaîtra que l’Ukraine,
économiquement, démographiquement et militairement exsangue, ne peut
tout simplement pas gagner cette guerre.
Négociations qui s’avéreront
difficiles, qui ne devront humilier aucune des parties, qui demanderont
par conséquent beaucoup de doigté diplomatique ainsi qu’une parfaite
connaissance de l’histoire intriquée des pays belligérants et des enjeux
géopolitiques de toute la région.
Autant dire que la France, si elle
est représentée par Narcisse 1er et M. Séjourné à ce moment-là, fera tapisserie. ■
Par Didier Desrimais