mardi 22 avril 2025

RELIGION / VATICAN : QUE RESTERA-T-IL DES RÉFORMES DU PAPE FRANÇOIS ?

TRIBUNE LIBRE !

Christophe Dickès : « Que restera-t-il des réformes du pape François ? »

Le pape François salue les pèlerins à son arrivée pour diriger l’audience générale hebdomadaire sur la place Saint-Pierre, au Vatican, le 4 décembre 2024. FILIPPO MONTEFORTE / AFP

Par Christophe Dickès.

 

Cette tribune d’un auteur qui a consacré de nombreux travaux et publié plusieurs ouvrages très documentés sur les sujets religieux, est parue dans Le Figaro de ce matin (22.04.2025). 

Dans l’ordre politique où le pape François n’a pas craint d’intervenir continument pour imposer sa marque, Christophe Dickès nous paraît avoir raison de signaler combien « les élections de Donald Trump, de Giorgia Meloni, de Viktor Orban ou encore de Javier Milei«  révèlent « le fossé entre les conceptions politiques du pape, notamment en matière de migrations« , et la « réalité du résultat des urnes. »

 Est-ce un signe ? La dernière haute personnalité politique que le Souverain Pontife ait reçu, à la toute dernière extrémité de sa vie,  a été J.D. 

Vance, catholique étatsunien, dont il savait l’opposition ouverte à sa politique. 

      

 

 

FIGAROVOX/TRIBUNE – Décédé ce lundi 21 avril au petit matin, le pape argentin s’est inscrit en rupture vis-à-vis de ses prédécesseurs, analyse l’historien.

*Auteur de nombreux ouvrages, Christophe Dickès a récemment publié Pour l’Église.

 Ce que le monde lui doit (Perrin, 2024) et Notre-Dame de Paris. Pages d’histoire (Salvator, 2024).

En prenant le nom de François le 13 mars 2013, le cardinal Jorge Bergoglio révélait au monde sa volonté de recentrer l’Église dans sa mission évangélique et sociale en marchant dans les pas du povorello d’Assise. 

Assez rapidement, le monde médiatique en fit un pape révolutionnaire quand, dans la longue histoire de l’Église, on préfère utiliser le terme de réformes.

En effet, le cardinal Bergoglio a d’abord été élu par le conclave afin de réformer la curie qui, depuis plusieurs décennies, était gangrenée par divers scandales financiers et luttes de pouvoir. Benoît XVI, son prédécesseur, avait entrepris un travail dans ce sens mais la tâche était trop titanesque pour celui qui, las, renonça à sa charge. 

À son tour, le pape François mit du temps afin de mener à bien la tâche. 

Il s’agissait tout d’abord de nettoyer les écuries d’Augias de la fameuse banque du Vatican, ce qui fut fait non sans risques.

 En effet, dès les premiers mois du pontificat, un procureur révéla les menaces de la mafia qui pesaient sur l’homme en blanc.

Toute autre était la question de la réforme structurelle de la curie.

 Le pape opéra sur ce sujet une véritable rupture en vidant de sa substance le pouvoir de son secrétaire d’État – équivalent de notre premier ministre – au profit même du pouvoir pontifical.

 Autrement dit, il retira à son secrétaire d’État le pouvoir financier en créant un secrétariat pour l’Économie dépendant directement du pouvoir pontifical.

Une œuvre réformatrice

La nouvelle Constitution apostolique sur la curie romaine, Praedicate evangelium, promulguée en 2022, donna aussi une structure plus missionnaire à la curie.

 Il s’agissait pour cette dernière d’être au service des Églises particulières. En somme, de mettre fin à la centralisation romaine. 

Un des symboles forts de cette réforme fut la relégation au second plan de la Congrégation pour la doctrine de la foi, au profit du dicastère pour l’Évangélisation. 

Ce qui fut, là aussi, une rupture : il s’agissait de mettre l’accent sur la mission de l’Église plutôt que sur le contrôle doctrinal, de passer d’une « autorité-pouvoir » à une « autorité-service » d’inspiration jésuite.

De manière générale, le pontificat de François a voulu lutter contre le cléricalisme, un terme qui devint très vite dans l’Église un mot-valise aux contours incertains. 

C’est au nom de la lutte contre le cléricalisme que le pape a promu la synodalité dans l’Église. 

De fait, l’œuvre réformatrice du pape François se distingue avant tout par cette volonté de renverser le vieux schéma grégorien d’une Église pyramidale même si, paradoxalement et de l’avis de l’ensemble des connaisseurs du Vatican, le pape François était un homme autoritaire qui acceptait fort peu la contradiction.

 

L’avenir dira si sa volonté de revoir la constitution hiérarchique de l’Église par le biais de la synodalité et de la collégialité s’imposera

Le problème est que cette volonté de changement alla de pair avec un sentiment de culpabilité entretenu au sein même de l’institution et qu’un éditorialiste parisien traduisit par ce titre choc : « François, le pape anticlérical ». 

Alors que Jean-Paul II et Benoît XVI avaient été les papes de l’identité de l’Église, redonnant une fierté aux catholiques dans un monde occidental déchristianisé qui ne leur épargne rien, le pape François demandait à l’Église de se corriger créant de facto des attentes démesurées sur sa gauche et des craintes sur sa droite. 

D’où l’idée d’une insatisfaction latente tout au long du règne.

 

Un entourage progressiste

À cet égard, le synode sur la famille des années 2014-2015 révéla l’importance de l’entourage progressiste du souverain pontife, entourage qui n’a cessé d’agir afin d’imposer un agenda en rupture avec les deux pontificats précédents.

 Ce programme atteignit son acmé avec la fin de la libéralisation de la messe en latin (motu proprio Traditionis custodes, 2021) et, surtout, la déclaration Fiducia supplicans  (18 décembre 2023) sur la bénédiction des couples homosexuels, publiée par le dicastère pour la Doctrine de la foi.

Ce dernier texte créa une crise d’une ampleur inédite, posant la question de l’universalité du message évangélique. 

Comment en effet, peut-on accepter une pratique dans un diocèse allemand ou belge et la refuser dans un diocèse breton ou polonais ?

 En outre, la crise révélait au grand jour les oppositions protéiformes qui s’étaient exprimées à bas bruit tout au long du pontificat. 

Tout d’abord au sein même du Vatican, puisque le fossé entre le pape et la curie était réel, puis dans plusieurs pays.

Les catholiques polonais ont ainsi reproché à Rome de mettre sous le boisseau l’héritage de « leur » pape Jean-Paul II. 

De leur côté, les catholiques chinois persécutés ont vu comme une forme de trahison la signature d’un accord entre le Vatican et les autorités communistes en 2018. 

Quant aux catholiques américains, ils n’ont guère accepté les critiques du pape François contre le libéralisme.

 Les prises de position en faveur de l’homosexualité ont aussi suscité des réserves en Asie (la sexualité y est une question privée ou taboue), voire une franche opposition comme sur l’ensemble du continent africain.

 Enfin, les élections de Donald Trump, de Giorgia Meloni, de Viktor Orban ou encore de Javier Milei révélaient le fossé entre les conceptions politiques du pape, notamment en matière de migrations, et la dure réalité du résultat des urnes.

 

Ranimer l’esprit réformateur

Quant à l’Europe, elle est apparue comme l’angle mort du pontificat. 

Même si son soutien aux institutions européennes n’a pas fait débat, le pape estimait que l’Église était par trop « eurocentrique ». 

Ses déclarations, tout comme l’ensemble de sa politique, révélaient au grand jour le basculement d’une Église globale vers le sud, sur fond de ressentiments entretenus contre l’Occident. 

Ce rejet s’est exprimé par sa volonté de ne visiter que des pays situés aux périphéries du monde (Centrafrique, Paraguay, Albanie, etc.) au détriment des grandes nations. 

Sa politique étrangère tournée vers la Russie, la Chine et l’islam ajouta à l’incompréhension et suscita bien des oppositions.

Que restera-t-il donc des réformes du pape François ?

 L’avenir dira si sa volonté de revoir la constitution hiérarchique de l’Église par le biais de la synodalité et de la collégialité s’imposera. 

Par cette réforme, le pape a voulu ranimer l’esprit réformateur du concile Vatican II : celle d’une Église en marche.

 Étonnamment, le pape argentin en a fait un concile de rupture quand son prédécesseur a souhaité inscrire l’événement dans la continuité de la tradition de l’Église.

 En agissant de la sorte, François prit le risque de rouvrir un débat épineux que l’Église avait eu tant de peine à refermer.    

■  CHISTOPHE DICKÈS

Signalons aux lecteurs de JSF que Christophe Dickès est aussi l’auteur de deux livres importants sur Jacques Bainville :

  • Jacques Bainville, l’Europe d’entre deux-guerres, Godefroy de Bouillon, 1995.
  • Jacques Bainville – Les lois de la politique étrangère, Bernard Giovanangeli Éditeur, 2008 ; 2e édition revue et corrigée chez L’Artilleur, 512 p., 2021.
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  • Mort de François : la disparition d’un pape d’autorité qui a transformé l’Eglise… sans les fidèles

    Le pape François au balcon principal de la basilique Saint-Pierre, le 25 décembre 2024.

    Entretien avec Jean-Baptiste Noé.

     

    Ce bref entretien – une première analyse fine et sans complaisance de circonstance – est paru dès hier lundi 21 avril dans Atlantico 

     Il est plutôt axé sur la politique internationale du pape François 

    Mais sans négliger les aspects ecclésiaux ou doctrinaux, de ce pontificat sur lequel, dans l’ordre politique, nous avons porté nous aussi dans JSF sur des points importants des jugements critiques, ou même de franche opposition.  

     

    Atlantico : Un mois après la fin de son hospitalisation pour une grave pneumonie, le pape François est mort à l’âge de 88 ans, en ce lundi de Pâques. 

    Que peut-on dire du temps qu’il aura passé en tant que souverain pontife ? 

    Quels sont les plus grands accomplissements et les faits les plus marquants de son règne ?

     

    Jean-Baptiste Noé :  De son pontificat, je retiens quelques images qui resteront probablement dans l’histoire. 

    D’abord, la rencontre avec le patriarche russe Kirill à Cuba (février 2016).

     C’était la première fois que le patriarche de Moscou rencontrait le pape. 

    Une rencontre dans un lieu hautement symbolique : l’aéroport de La Havane, au cœur de cette île communiste qui a joué un rôle tragique tout au long du XXsiècle. 

    La bonne entente entre Rome et Moscou s’est ensuite brisée sur la guerre d’Ukraine. 

    Ensuite, le voyage en Irak, sur les pas d’Abraham (mars 2021). 

    C’était la première fois qu’un pape se rendait à Ur, dans cet Irak brisé depuis la guerre de 2003.

     Les défis sécuritaires étaient énormes et pourtant les autorités irakiennes sont parvenues à organiser ce voyage, qui a réconforté tous les chrétiens d’Orient. 

    Enfin, le voyage en Mongolie (septembre 2023). À la frontière entre la Chine et la Russie, deux pays que les papes aimeraient visiter, dans une zone périphérique du monde, où la communauté catholique est très peu nombreuse. 

    Le pape François a souvent fait l’objet de critiques, au sein de la communauté chrétienne. 

    Sa façon de gouverner, sa gestion (jugée “autoritaire”) ont pu engendrer d’importantes tensions. 

    Que faut-il en dire ? Dans quelle mesure faut-il penser du règne de François qu’il a pu être entaché par ces griefs ?

    François est un homme qui aime le pouvoir et qui l’a exercé avec vigueur. 

    Contrairement à Benoît XVI, qui n’était pas un homme de gouvernement, François a fait preuve d’autorité, souvent même d’autoritarisme. 

    Il a bousculé le gouvernement de l’Église, en renvoyant des cardinaux installés, en nommant des personnes aux compétences flasques.

    Un exemple de cette gouvernance forte, le nombre de motu proprio signé par le pape. 

    Le motu proprio, en français « de son propre mouvement », est un acte juridique, qui émane uniquement du pape, par lequel celui-ci gouverne l’Église, sans passer par le gouvernement.

     C’est un mode de gouvernement direct, par lequel un pape impose une décision. 

    François en a signé 73 durant son pontificat, soit une moyenne de 6 par an.

     Par comparaison, Benoît XVI en a promulgué 13 et Jean-Paul II 32 (soit 1,2 par an).

    À cela s’ajoutent de nombreuses nominations personnelles qui bien souvent n’ont pas respecté la tradition historique, comme dans la nomination de certains cardinaux et évêques.   

     

    Réforme de la Curie, justice sociale, migrants, “périphéries”… 

    Le pape François se démarque. Il a fait des conservateurs ses principaux opposants et, dit-on, a eu tendance à désacraliser la fonction. 

    Pour le meilleur ou pour le pire, à l’heure où une partie de l’Europe semble se “déchristianiser” ?

    C’est un homme complexe, qui ne peut pas se réduire à une dichotomie entre conservateur et progressiste.

     Il a un logiciel intellectuel qui a été forgé dans les années 1950-1970 et qu’il a eu du mal à actualiser. 

    En témoigne son obsession pour les migrants. 

    C’est un vrai sujet, et un drame humain incontestable.

     Mais il en parle au regard de son histoire personnelle : celle de sa famille, venue d’Italie en Argentine.

     Or, les migrations du XXIsiècle n’ont rien à avoir avec celles des Européens qui se sont rendus en Amérique latine. 

    Sa fixation sur la messe en forme extraordinaire également, dont les restrictions ont créé plus de problèmes qu’elles n’ont apporté de solution.

     Il n’a pas toujours pris la mesure des réalités de la jeunesse européenne. 

    Au cours de son pontificat, une grande partie du monde catholique est tombée dans une indifférence prononcée à son égard. 

    Contrairement à Benoît XVI, ses livres ont été des échecs en librairie.

     Même les catholiques ne se sont pas intéressés à ses publications.

     La participation aux audiences générales n’a cessé de décroître, obligeant les médias du Vatican à des plans télévisés de plus en plus resserrés afin de camoufler une place Saint-Pierre de plus en plus vide. 

    Nous sommes très loin de la ferveur qui régnait sous les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI.   

    En Italie, par exemple, nous avons assisté à une désaffection constante, avec une véritable rupture lors de la crise covid.

     Nombreux sont les Italiens à ne plus être revenus à la messe après les restrictions. 

    L’insistance perpétuelle sur le social, les migrants, l’écologie, a donné l’impression d’un pape gestionnaire d’une ONG et aligné sur les grands discours mondiaux ; là où beaucoup de catholiques attendaient des paroles spirituelles et des propos théologiques. 

    François a été plus politique que théologique, et cela a fini par lasser même ses fervents soutiens.

     Il n’a pas de véritable successeur. Jean-Paul II et Benoît XVI avaient su susciter des générations de prêtres, ce n’est pas le cas de François. 

    Il restera d’ailleurs de son pontificat cette grande énigme : le fait qu’il ne se soit jamais rendu en Argentine. 

    Sa popularité dans son pays d’origine était faible, il n’a pas laissé un très bon souvenir à Buenos Aires.

     Cela explique en partie son refus de visiter son pays. 

    La grande partie de son pontificat a également été vécu de façon curieuse, avec deux papes puisque Benoît XVI, retraité au sein du Vatican, a continué à exercer une grande influence.

     Chacun a pu constater que cette situation n’était pas bonne.   

     

    Que dire, également, de la gestion financière du Vatican sous François ?

    Le processus de réforme profonde initiée sous Benoît XVI a été poursuivi et en partie achevé.

     C’est un dossier à mettre au crédit de François. 

    Il a nommé des personnes tout à fait compétentes pour assainir les finances, pour couper avec les investissements véreux et pour faire adopter les standards internationaux. 

    C’est un travail de l’ombre qui échappe au grand public, mais qui était absolument indispensable. 

    Ces résultats ont en partie été permis par l’intense travail du cardinal australien George Pell (1941-2023), qui était en charge des questions économiques.

     Au successeur de François de poursuivre ce redressement financier.   ■ 

     

     JEAN-BAPTISTE NOÉ

    Par Jean-Baptiste Noé

    Jean-Baptiste Noé, docteur en histoire, est rédacteur en chef de Conflits.

     

 




 

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