[UNE PROF EN FRANCE]
Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir

Nous sortons du carême et fêtons joyeusement Pâques avec moult chocolat.
Soyons donc un peu légers.
Vous avez peut-être vu circuler des vidéos intitulées « sortie de classe ».
Le concept est simple : les élèves doivent réussir à sortir de classe sans que l’enseignant ne le remarque.
C’est évidemment un sport collectif. Quand une classe est un petit joueur, elle laisse sortir un élève.
Quand elle accède à un degré de maîtrise et d’audace plus élevé, elle fait sortir une rangée.
Quand elle est légendaire, elle organise la sortie des élèves avec leur table, à partir du coin de la salle le plus opposé à la porte.
Sans complaisance envers mes collègues, j’avoue avoir souri en suivant en vidéo la performance de deux garçons qui, méthodiquement et de façon assez astucieuse, ont ainsi traversé la salle entière avec leur table sans que le professeur ne remarque quoi que ce soit, dans une revisitation facétieuse du fameux « 1, 2, 3…soleil ! »
Mais j’avoue que cela me paraissait un peu gros, et que je doutais que cela pût se faire sans la complicité du professeur… jusqu’à ce que ma fille me raconte ce qui s’était passé dans sa classe.
Lycée privé, élèves sympathiques, classe de première : l’épée de Damoclès de Parcoursup rend un certain nombre de choses plus faciles, dont la discipline.
Effectif raisonnablement chargé, pour une classe de lycée : 35 élèves.
Rien qui doive mettre en difficulté un professeur chevronné en 2025.
Le cours de sciences commence.
Ma fille est au fond de la classe, à l’avant-dernier rang, dans une salle plus longue que large.
Le rang devant le sien est occupé par cinq garçons, qui font tous plus de 1,80 m.
Tout à coup, alors que le professeur note quelque chose au tableau, elle voit l’un des garçons reculer sa chaise, se glisser sous la table, et s’allonger sur le sol.
Fatigué, il avait décidé de faire une sieste !
Ses camarades se sont discrètement rapprochés pour dissimuler le trou laissé par sa disparition furtive, ont allongé leurs jambes au-dessus de lui pour ne pas le gêner et il a pu dormir ainsi dans un confort relatif.
Une demi-heure après, il s’est doucement relevé, un léger mouvement de ses camarades a fait reparaître sa place, qu’il a reprise, sans qu’à aucun moment le professeur ne s’aperçoive de quoi que ce soit.
Évidemment, cela a été filmé, et le professeur n’a pas non plus vu les téléphones sortis pour immortaliser l’événement, dont la drôlerie a davantage intéressé la classe que le cours de science dispensé au tableau.
Sommes-nous si concentrés sur ce que nous faisons, en tant qu’enseignants, que l’on puisse ainsi modifier notre environnement sans que cela attire notre attention ?
Ou ce professeur a-t-il abandonné ses fonctions premières et s’est-il transformé en hologramme débitant un cours automatique, sans prise en compte des humains qui l’entourent ?
Cela me rappelle une anecdote ancienne, datant du temps où j’enseignais dans un lycée de la banlieue nord de Paris.
En passant près d’un des Algeco qui ornaient notre belle cour, j’avais aperçu par la fenêtre deux élèves voilées en cours.
À la récréation, je m’étais étonnée auprès de ma collègue, une jeune femme charmante qui entrait dans la carrière de professeur d’anglais.
Elle m’avait répondu qu’elle ne les avait pas vues… Elles étaient au deuxième rang…
À l’époque j’avais pensé qu’elle mentait, simplement.
Aujourd’hui, je me dis que ses yeux n’ont peut-être pas transmis l’information à sa conscience.
La lâcheté brouille la vue…l’indifférence aussi.
Deux maux qui touchent bon nombre d’enseignants, malheureusement.
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