[CINÉMA]
Rabia : elles quittent l’Occident pour épouser l’État islamique
Nous sommes en 2013, quelques mois seulement avant la proclamation du califat d’Abou Bakr al-Baghdadi, sur les territoires syriens et irakiens de Daech.
Jessica, dix-neuf ans, et son amie Laïla quittent la France pour Raqqa où – espèrent-elles – les attend un meilleur destin…
Elles comptent, en effet, comme tant d’autres femmes venues du monde entier, rejoindre une « madafa », une sorte de maison-vivier où les soldats de l’État islamique trouvent de futures épouses.
Naïves, Jessica et Laïla s’imaginent rester ensemble : la première s’occupera des enfants que la seconde engendrera avec leur futur époux commun, un djihadiste qu’elles n’ont encore jamais rencontré, si ce n’est sur Internet…
Seulement, les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu ; sur place, elles apprennent que le soldat en question vient d’être tué au cours d’une opération.
Et quand Laïla trouve un nouvel époux, Jessica ne fait soudainement plus partie de l’équation.
Cette dernière va se retrouver seule, coupée de toute attache affective.
Sous le nom de Oum Rabia, Jessica va gravir un à un les échelons hiérarchiques au sein de la madafa, aux côtés de Madame, la gérante des lieux, qui tient d’une main de fer les nouvelles recrues féminines de Daech…
Le djihadisme féminin
Avec Rabia, son premier long-métrage en tant que réalisatrice, Mareike Engelhardt, d’origine allemande, traite un sujet encore inédit au cinéma et peu abordé de façon générale : celui de ces femmes célibataires ou veuves, qui se sont portées volontaires afin d’assurer la reproduction des soldats de l’État islamique.
Un projet cinématographique qui aura nécessité huit ans de préparation et pour lequel la réalisatrice s’est beaucoup documentée, notamment auprès de deux expertes françaises du djihadisme féminin, Céline Martelet et Édith Bouvier, auteurs du livre Un parfum de djihad.
Elles lui ont fait rencontrer plusieurs rescapées des « madafas ».
L’une d’entre elles était, d’ailleurs, présente sur le tournage en tant que consultante.
Contrairement au récent Rebel, d’Adil El Arbi et de Bilall Fallah, qui était sans doute mieux maîtrisé globalement mais qui avait tendance à vouloir cocher toutes les cases, Rabia se concentre sur un seul sujet, sans trop d’artifices, et s’y tient jusqu’au bout.
Le récit nous montre comment une ingénue de dix-neuf ans (incarnée par Megan Northam), issue d’une riche démocratie occidentale, va se trouver, par emprise sectaire, une raison d’être dans un « projet divin ».
Le film montre comment, de victime innocente, elle va peu à peu se muer en bourreau de la pire espèce, en délatrice des moindres incartades, véritable policière des mœurs, au point d’approuver la mise à mort d’un homosexuel ou l’amputation de deux voleuses.
Heureusement, la cinéaste a le bon goût de laisser la violence hors champ et de nous épargner ce genre d’images.
Dans le rôle de la gérante de maison, impitoyable et enivrée de son pouvoir, Lubna Azabal donne enfin toute la mesure de son talent.
Elle que l’on connaît pour son engagement antisalafiste, à travers notamment les films Rebel et Amal, un esprit libre, accepte d'incarner un rôle terrifiant et pour le moins inattendu, aux antipodes de ses convictions et de sa personne – c’est à cela que l’on reconnaît les grands comédiens.
Un postulat simpliste
Malgré les qualités de son film, Mareike Engelhardt commet la même erreur que Marie-Castille Mention-Schaar avec Le Ciel attendra, qu’André Téchiné avec L’Adieu à la nuit ou que Sou Abadi avec Cherchez la femme : elle se borne à croire que l’embrigadement des jeunes est intrinsèquement lié à un problème affectif.
La cinéaste déclarait, en entretien : « Pour des jeunes qui grandissent dans des familles avec un manque affectif énorme, qui sont traumatisés par mille choses qui peuvent leur arriver, d'abus sexuels, de peur, il y en a plein qui sont en grande souffrance, et ce sont des victimes très faciles pour ce genre d'organisme. »
En défendant ce postulat simpliste, pour ne pas dire naïf, Mareike Engelhardt sous-estime son adversaire et passe totalement à côté de la critique islamiste de la modernité et de l'individualisme libertaire, qui est l’une des raisons majeures de la séduction des idées salafistes parmi la jeunesse.
L’Occident ne règlera pas la question du prosélytisme islamiste tant qu’il refusera de reconnaître la crise de valeurs que traversent nos démocraties.
Thématiques :
État islamique
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