mercredi 4 décembre 2024

C' EST PARCE QU'IL Y A LE CHAOS , QU' IL Y A UNE MOTION DE CENSURE !

 


 REVUE DE PRESSE !

Arnaud Benedetti au Figaro : « La censure ne provoque pas le chaos politique, elle est une conséquence du chaos préexistant »

Entretien par Ronan Planchon.

COMMENTAIRE

Cet entretien d’Arnaud Benedetti, paru dans Le Figaro du 3 décembre, nous semble résumer l’essentiel de ce que l’on peut penser et conclure des événements en cours dans le cadre du système institutionnel français, c’est-à-dire républicain.

 Le moins que l’on puisse dire est que, après deux siècles, ce système ne se solde pas pour la France par un bilan positif, mais bien par son exact contraire : le déclin que chacun constate. 

Dans ce contexte, la Constitution de 1958 représentait sans doute ce qui pouvait se faire de mieux. 

Les détenteurs successifs du pouvoir n’ont eu de cesse, selon leur pente, d’en rogner systématiquement et continuellement les dispositions les plus fortes. 

Cela, pour adapter les institutions à la baisse évidente de leur propre niveau de compétence et/ou de volonté, ainsi qu’à leur désir de fuir leurs responsabilités nationales les plus fondamentales. 

Le personnel politique est aujourd’hui en panne de gouvernants, et le Parlement est devenu une véritable « nef des fous ». 

André Chassaigne et Michel Barnier s’accordaient presque, hier, à l’Assemblée, pour constater la lamentable tenue des débats .

La France est donc déjà entrée dans un futur chaotique, dont on ne peut discerner les développements. Mais on finit toujours par sortir du chaos, par lassitude, épuisement, envie de revivre. 

Même la Révolution française, après dix ans de folie meurtrière et de fureur destructrice – encore inachevées – dut finir par « se donner un sabre ». 

 

 

ENTRETIEN – La motion de censure, qui sera examinée ce mercredi, n’est pas tant la cause de la crise actuelle que le symptôme des errements d’une classe politique qui joue sa survie, analyse Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire

Arnaud Benedetti est  rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire et professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne. Il a également écrit de nombreux livres, parmi lesquels « Aux portes du pouvoir – RN, l’inéluctable victoire ? » (Michel Lafon, 2024).

« Le vrai sujet aujourd’hui n’est pas tant le budget que la préservation du pacte institutionnel qui est le nôtre depuis 1958. « 

LE FIGARO. – En censurant le gouvernement Barnier, le RN ne risque-t-il pas d’apparaître comme le parti du désordre et ainsi perdre le statut de «parti de gouvernement» qu’il cherchait à construire ?

 

Arnaud BENEDETTI. – Le problème fondamental est que le désordre était déjà installé. 

 

Cette lecture qui consiste à voir dans l’adoption de la motion de censure un facteur de chaos tend à occulter surtout qu’elle est d’abord le produit de ce dernier. 

C’est parce qu’il y a chaos qu’il y a censure et ce n’est certainement pas parce qu’il y a censure qu’il y a chaos. 

La situation dans laquelle nous sommes engagés est le stade quasi-ultime d’un long et lent processus de dégradation dont tous les partis de gouvernement sont comptables depuis plusieurs décennies.

 En vendant toutes les souverainetés appartement par appartement, on abîme l’outil politique de telle manière que l’ossature institutionnelle, pourtant extrêmement solide grâce à la Ve République qui a permis à la France de traverser bien des crises depuis plus de 70 ans, en est désormais non seulement fragilisée mais fortement abîmée. 

Les «ingénieurs du chaos» sont bien plus nombreux en fin de compte que les acteurs multiples du moment qui ont eu à jouer ces dernières heures cette tragicomédie parlementaire, qui n’est rien d’autre que le symptôme d’un dérèglement qui s’est opéré sur la durée.`

 Le narratif sur le désordre est hélas la ligne Maginot de ceux qui ont laissé par ailleurs toutes les autres frontières ouvertes à tout vent. 

La vision court-termiste de l’événement visant à imputer des responsabilités immédiates oblitère l’enchaînement des causes qui a conduit à la singularité de ce qui se joue sous nos yeux.

 Et quand bien même nous voudrions nous en tenir à une interprétation à court terme, les incidences récentes de notre vie politique délivreraient d’autres formes de responsabilités dont une grande partie est à rechercher du côté de ceux qui ont exercé le pouvoir : le changement prématuré de premier ministre en janvier, la dissolution, évidemment, la stratégie de l’arc républicain entre les deux tours des législatives ; tous ces ingrédients expliquent un système de contraintes dont Michel Barnier, nonobstant ses grands mérites, ne pouvait se défaire.

 

Cette séquence va-t-elle définitivement ancrer le RN comme un parti « populiste » ?

Le Rassemblement national est un parti à l’ancrage populaire. 

C’est d’abord parce que plus de 60% de son électorat était favorable à la censure qu’il a fait ce choix. 

On ne peut pas davantage exclure que les réquisitions du parquet à l’occasion du procès dit des «assistants parlementaires» auquel fait face Marine Le Pen n’aient pas eu un impact déclencheur sur la décision du RN, même s’il ne s’agit pas là forcément de la «cause racine» de celle-ci.

 Le cœur de la crise démocratique, en passe peut-être de se transformer en crise institutionnelle, est le sentiment parfois fondé des classes populaires et moyennes de n’être pas entendues par le haut, qu’elles suspecteraient d’être entré en sécession. 

Certains commentaires qui accompagnent le choix du RN d’associer son vote au NFP témoignent de cette mécompréhension, qui dit aussi quelque chose des difficultés structurelles du RN à articuler sa fonction tribunitienne avec sa quête de crédibilité pour cranter le résidu de droite bourgeoise dont il pourrait avoir besoin pour accéder au pouvoir. 

Pour autant, une motion de censure est un instrument légitime et propre à la Constitution, comme le 49.3, et ne fait pas de ceux qui s’en serviraient de «dangereux populistes».

 

En votant la censure avec la gauche, le RN ne risque-t-il pas aussi de se mettre à dos une partie de la droite modérée ?

Encore une fois, il convient de sortir d’une lecture instantanée de l’épisode que nous traversons, de ramener à sa juste proportion ce que nous sommes en train de vivre et de ne rien céder à des conclusions par trop hâtives. 

Ce qui constitue le ressenti partiel du moment, le plus souvent au prisme médiatique, n’est pas nécessairement la réalité de demain, et encore moins la vérité de la fin de l’Histoire

J’ajouterai par ailleurs que les leaders d’opinion font de moins en moins l’opinion, qui obéit à des maturations profondes sociologiquement et politiquement. 

L’excès de l’immédiat ne néglige que trop les médiations (l’histoire, le social, les représentations) qui fabriquent les opinions. 

Il y aura censure sans doute et sauf retournement spectaculaire. 

Le vrai sujet aujourd’hui n’est pas tant le budget, même si l’instabilité dans laquelle nous nous installons complexifie notre crédibilité à l’international, que la préservation du pacte institutionnel qui est le nôtre depuis 1958. 

Le risque est que nous entrions dans une instabilité chronique qui rende en effet le pays ingouvernable. Dans un régime à forte présidentialité comme l’est la Ve République, la responsabilité matrice relève du chef de l’État. 

La résolution de la crise est entre ses mains mais elles sont encombrées de ses propres maladresses. 

Entre la dissolution d’un côté et l’artefact du «front républicain» de l’autre, nous payons au prix fort non pas la défense des institutions mais la volonté des gouvernants du moment de survivre à n’importe quel prix, y compris celui consistant à brûler l’esprit même de la Ve République, qui en est le vaisseau amiral. 

Un pays qui n’avait plus que ses institutions comme vertèbres tutrices et qui les voit s’affaisser aussi subitement que dangereusement est un pays qui est en passe de larguer ses toutes dernières amarres. 

La bataille autour de la motion de censure et de ses suites ouvre un champ bien au-delà des controverses partisanes sur cette interrogation.

 Et à ce stade nul ne peut prétendre avoir une réponse claire et durable à ce qui s’apparente au plus grand défi que les institutions ont à affronter depuis près de 70 ans.   ■ 

 
 Source et Publication :  https://www.jesuisfrancais.blog/2024/12/04/arnaud-benedetti
 






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