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Au cœur des villes, la consommation locale n’atteint pas toujours le cœur de la clientèle
Alors que les politiques publiques de soutien aux commerces de proximité sont de plus en plus nombreuses, la consommation locale à parfois du mal à toucher son cœur de cible
Cet article a été initialement publié sur The Conversation.
La désertification des centres-villes est le cauchemar de nombre d’élus de villes petites ou moyennes, mais aussi des habitants.
Car, si pour ces derniers, la fermeture des commerces est mal vécue, ils ont des attentes élevées quant à l’offre qu’ils souhaitent y trouver.
Deux études réalisées au niveau national et sur le territoire du Grand Reims dépeignent un tableau tout en nuances, des mots, des envies et des comportements effectifs des consommateurs.
Pour remédier à certaines fragilités des commerces de proximité et de la consommation locale, et du fait de leurs impacts sur les dynamiques sociales et économiques territoriales, les pouvoirs publics ont mis en œuvre des politiques de soutien et investi des sommes importantes (comme le programme Action Cœur de Ville ou Petites Villes de Demain).
Les formes de ces interventions ont évolué depuis leur lancement, passant d’aides directes aux commerçants à des politiques globales de redynamisation des centres-villes, dont le commerce n’était qu’un élément.
Ces interventions reposent toutes sur l’hypothèse que, face à la croissance des chaines de distribution globalisées et au développement des plates-formes en ligne, la solution réside dans un soutien technico-économique structurel.
Or, en 2023, un rapport de la Cour des comptes a pointé les limites de ces dispositifs, et attiré l’attention sur le besoin « de renforcement de la relation avec la clientèle ».
En effet, le client semble le grand oublié de ces dispositifs de soutien.
La condition nécessaire à leur efficacité, rappelle la Cour, réside dans la capacité à bâtir des offres commerciales créant de la valeur pour les consommateurs.
Pour cela, il faudrait que ces derniers aient « à cœur » de défendre le local et ses offres. Mais qu’en est-il vraiment ?
Les consommateurs sont-ils réellement attachés au « local » ? Et pour quelles raisons ?
Cela revient de poser comme préalable la question de la façon dont le potentiel client comprend le local et le contenu qu’il y met.
En résumé, c’est poser la double question suivante : quels sont les motivations et les freins à la consommation locale ?
Les deux projets de recherche (financés par la Communauté urbaine du Grand Reims) dont nous présentons les résultats ont eu pour but d’apporter des éléments de réponse à ces questions et de proposer des pistes d’action pour les acteurs économiques et politiques.
Les valeurs du local
Le premier projet de recherche a eu pour objectif d’identifier les motivations et freins à la fréquentation du commerce local, ainsi que d’identifier les tendances de consommation locale et leurs déterminants.
À cet effet, nous avons notamment mené une enquête nationale auprès de 1 000 personnes représentatives de la population française.
Nous avons aussi interrogé 300 personnes sur le territoire du Grand Reims dans le cadre d’une enquête locale.
En résumé, notre travail combine une analyse de données textuelles et des mesures d’attitude et de traits psychologiques plus classiques.
Cette analyse confirme un attachement extrêmement profond au commerce local.
Non seulement plus de 80 % des personnes interrogées le considèrent comme important, mais les réactions à sa possible disparition témoignent de son ancrage émotionnel avec des expressions telles que « tristesse », « impression de vivre moins bien », « horrible », « catastrophe ».
Il ne s’agit en outre pas seulement d’une dimension utilitaire (89 %), mais également, et à quasi-égalité, d’une source de plaisir (80 %) et de lien social (75 %).
À lire aussi : Redynamiser les centres-villes par le commerce, c’est possible !
Par ailleurs, l’analyse textuelle révèle les points forts de praticité, de relations, et de spécificité des produits.
En revanche, le prix, le choix et les horaires d’ouverture sont les points de progrès majeurs attendus, avec un souhait d’une généralisation des livraisons, d’accès hybride, mais un fort rejet d’innovations technologiques de rupture considérées comme gadgets.
Par ailleurs, et cela conforte le diagnostic d’un fort attachement, l’intention de consommer davantage local dans le futur est également forte.
L’impact des modes de pensée
Il ressort également de notre analyse que quelques variables psychologiques influencent dans une certaine mesure la consommation locale.
Sans surprise, les personnes identifiant que l’environnement est en danger déclarent, plus que les autres, vouloir consommer davantage localement dans le futur.
De façon plus inattendue, les consommateurs et consommatrices avec modes de pensées rationnels, imaginatifs, ou intuitifs plus développés sont également plus réceptifs à la consommation locale.
Nous interprétons ce résultat comme une capacité chez ces personnes à identifier davantage le concept même de consommation locale ainsi que ses conséquences potentielles.
En revanche, les limites budgétaires, l’orientation matérialiste ou une orientation vers des valeurs conservatrices (vs progressistes) n’influencent pas ces intentions.
Ces résultats ont différentes implications pour l’orientation des politiques publiques en soutien à la consommation locale, mais avant de les détailler, nous présentons les résultats du second projet, qui enrichit les résultats précédents.
Pas une mais des relations à la consommation locale
Le second projet a adopté une démarche d’inspiration ethnographique combinant observations des différents acteurs et entretiens avec des consommateurs de la Communauté urbaine du Grand Reims.
Le but est d’appréhender comment les acteurs comprenaient le terme « consommation locale », et d’identifier des profils types de consommateurs.
Trois éléments distinctifs de la consommation locale sont apparus.
L’origine fait référence au lieu de fabrication ou à l’origine des produits.
Ceci correspond à l’acception la plus immédiate et la plus répandue.
Mais la dimension d’appartenance est une facette également déterminante.
Il s’agit d’un esprit d’unité indiquant une connexion avec les acteurs locaux.
La troisième facette correspond à la notion de relation et à l’incorporation de savoir-faire dans la production.
Sur cette base, quatre profils de consommateurs, basés sur leur approche de la consommation locale sont apparus. Schématiquement, pour les Pragmatiques, la consommation locale correspond à l’origine du produit (associée à la santé, le bien-être), pour les Épicuriens c’est la notion d’intégration qui prime (associée au plaisir, à l’expérience, à la relation), pour les Enracinés, c’est la notion de communauté (avec une volonté forte d’intégration à la vie locale), et les Activistes eux intègrent toutes ces dimensions.
Des résultats à intégrer aux politiques publiques
Ces résultats témoignent à la fois de l’attachement solide des consommateurs à la consommation locale, de leur connexion affective et morale à celle-ci, et donc de son potentiel économique.
Les politiques de soutien initiées par les acteurs politiques locaux ou nationaux ont donc du sens, puisqu’elles peuvent contribuer à cristalliser ce potentiel.
Toutefois, ces résultats témoignent aussi des limites actuelles de ces politiques, puisque des freins structurels forts sont encore présents, et surtout la consommation locale dépasse assez largement la simple origine géographique des produits et s’insère dans des logiques symboliques, relationnelles et émotionnelles variées.
Soutenir la consommation locale requiert de développer une capacité des acteurs à baser leurs stratégies sur une connaissance assez fine de leurs clients, tout comme le font les acteurs globalisés.
En d’autres termes, le « local » ne saurait être un argument en soi, et le développement du professionnalisme en matière de marketing est un impératif.
Le soutien à la consommation locale doit donc passer par des actions de formation ou d'accompagnement à la définition des offres, ainsi qu'à leur mise en place, ce que certains acteurs politiques et économiques ont déjà commencé à faire, avec la mise en place de structures telles que les bureaux du commerce.
Des innovations gadgets inutiles, voire contre-productives
Au-delà de ce soutien organisationnel, deux axes de recommandations opérationnelles émergent de nos analyses.
Le développement de la consommation locale passe tout d'abord par une adaptation des offres.
Les points de friction peuvent être résumés en accessibilité, qu'elle soit économique, ou pratique (horaires d'ouvertures, choix).
Cette adaptation nécessaire peut se heurter à des problèmes structurels de ressource ou de coûts mais est néanmoins impérative.
C'est probablement là que les avancées technologiques peuvent aider, bien plus que des innovations « gadgets » n'apportant aucune valeur supplémentaire aux consommateurs.
Les innovations technologiques doivent également permettre de dégager du temps et des ressources pour la relation client.
C'est également là que le soutien des pouvoirs publics est particulièrement nécessaire.
Le second axe concerne la communication ou la mise en scène des offres. Nous avons vu que les logiques de consommation locale sont diverses.
Il est crucial pour les acteurs de pouvoir déterminer les axes de sens qu'ils veulent privilégier afin de pouvoir rencontrer leurs clients.
Vise-t-on une clientèle focalisée sur l'origine géographique du produit, sur un souhait d'intégration sociale locale, sur le plaisir ?
Ce choix est crucial, car il détermine ensuite la communication et la mise en scène des offres, qui pourra être communiquée sur les réseaux sociaux ou en magasin.
La microbrasserie Beerbliotek (Göteborg, Suède), la librairie BookPeople (Austin, États-Unis) sont des exemples de succès à l'international.
En France, Le Slip Français ou la boulangerie Poilâne sont des exemples de stratégies de communication efficaces.
Source : https://www.sudouest.fr/economie/conso-distribution
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