Emmanuel Macron a reproché aux parlementaires d’avoir été « irresponsables » en censurant le gouvernement Barnier.
Ce qui démontre de sa part soit un grand cynisme soit une grande naïveté.
Dans le langage courant, dire de quelqu’un qu’il se conduit de
manière responsable signifie qu’il est réfléchi, sérieux, qu’il prend en
considération les conséquences de ses actes avant d’agir.
On dit
également de quelqu’un qu’il est responsable lorsqu’il doit rendre
compte de ses actes à une autorité supérieure.
Les deux sont évidemment
fortement liés : c’est le plus souvent parce que l’on a des comptes à
rendre de ses actes que l’on se conduit de manière sérieuse et
réfléchie.
Il suffit d’avoir cela à l’esprit pour se rendre compte qu’il est
vain d’espérer qu’une assemblée parlementaire puisse se conduire de
manière responsable, si ce n’est par accident et pour un temps très
court.
Une assemblée ne peut pas se conduire de manière plus responsable que
chacun des membres qui la composent.
Or le propre du groupe est de
diminuer le sens des responsabilités de chacun de ceux qui le composent.
Chacun, n’étant qu’une petite partie du tout, ne se sent qu’une toute
petite responsabilité dans les agissements ou les décisions de
l’ensemble ; l’attention que nous portons spontanément à notre
réputation tend rapidement vers zéro dès lors que nous nous sentons
noyés dans la masse ; ajoutez-y l’effet d’entraînement propre au groupe
par une sorte de communication électrique des passions, et c’est ainsi
que nous pouvons faire, collectivement, des choses que nous serions
morts de honte d’accomplir si nous étions seuls ou avec juste deux ou
trois personnes.
C’est ce qu’on peut appeler l’effet stade.
Prenez des gens
ordinaires, aimant et pratiquant normalement la morale et la bienséance,
fripons en détail et en gros très honnêtes, comme dirait Montesquieu,
rassemblez-en un grand nombre et donnez-leur un objet de passion commun,
comme une équipe à soutenir, et vous obtiendrez une foule de
supporters, c’est-à-dire une espèce d’animal collectif braillard,
grossier, au mieux ridicule et au pire dangereux.
Une assemblée parlementaire nombreuse n’est pas si différente.
Comme l’a fort bien dit James Madison : « Dans toutes les assemblées
très nombreuses, quels que soient ceux qui les composent, la passion ne
manque jamais d’arracher le sceptre à la raison.
Si chaque citoyen
athénien avait été un Socrate, chaque assemblée athénienne n’aurait
encore été qu’une foule. »
Notre actuelle Assemblée nationale n’est
certes pas composée de Socrate.
Comme toute chambre parlementaire, elle
abrite en son sein nombre d’éminentes médiocrités, mais en plus elle
comporte désormais une forte minorité qui a fait du rejet passionné de
toute modération et de toute civilité sa marque de fabrique.
Attendre qu’elle se comporte de manière « responsable » est donc
aussi niais que d’attendre d’Emmanuel Macron qu’il s’interdise les
petites phrases insultantes.
Une assemblée parlementaire est par nature irresponsable, et c’est
bien pour cela qu’il ne faut jamais, au grand jamais, lui confier la
direction du pays.
La fonction propre d’une assemblée parlementaire est, premièrement,
de parvenir à des compromis législatifs acceptables, qui tiennent compte
des multiples intérêts et préjugés présents au sein d’une société et,
secondement, d’obliger le gouvernement à s’expliquer publiquement sur
son action.
Elle peut contribuer à rendre le gouvernement responsable,
mais elle ne peut pas agir à sa place ni être responsable à sa place,
dans tous les sens du mot.
Ce qui signifie que l’actuelle chienlit va, bien évidemment, se poursuivre.
Cela signifie aussi que la vraie, la grande irresponsabilité a été de
dissoudre sur un coup de tête et, avant cela, de tout faire pour rendre
l’alternance impossible.
La situation actuelle n’est pas un accident, elle est la culmination logique du double quinquennat d’Emmanuel Macron. ■
Par ARISTIDE ANKOU
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