L’autre marée : ce que révèle l’éveil conservateur venu d’Amérique
Je suis arrivé au bar des Brisants après une longue marche sur la dune de Lechiagat, cette longue arête blonde que le vent sculpte sans relâche.
À mesure que j’avançais, la mer s’assombrissait comme une encre qu’on remue au fond d’un pot, et j’avais dans les narines cette odeur d’iode mêlée de varech qui vous suit jusque sous les paupières.
En poussant la porte du bar, j’ai aperçu Claudine derrière son comptoir, attentive comme toujours, avec ce mélange de bienveillance et de vigilance tranquille propre aux femmes qui ont vu passer plusieurs générations de pêcheurs.
Elle m’a salué d’un « vous voilà » qui tient lieu d’accueil et de conversation entière.
J’ai pris ma place habituelle près de la fenêtre, et le café brûlant est arrivé sans que j’aie eu besoin de lever la main.
Sur la table, j’ai ouvert l’enquête de Paul-Henri Wallet dans Le Figaro consacrée au réveil des étudiants conservateurs dans les universités américaines, ce phénomène inattendu qui bouscule les campus où régnait jusque-là la tyrannie molle, mais implacable, du wokisme .
J’ai lu ces portraits de jeunes gens qui se réunissent en cachette dans des sous-sols ou dans des bars du Bronx parce que les administrations refusent de leur accorder des salles.
J’ai lu ce que devient un campus lorsqu’il se transforme en tribunal idéologique, où l’on traque les dissidents comme autrefois on surveillait les suspects politiques.
Et j’ai été frappé par cette vérité simple : les cycles reviennent.
Rien ne reste figé indéfiniment.
Car voici que les étudiants conservateurs américains relèvent la tête.
Voici que les clubs républicains doublent leurs membres.
Voici que Turning Point USA, endeuillé par la mort de Charlie Kirk, reçoit des dizaines de milliers de nouvelles adhésions, comme si la violence avait réveillé quelque chose de plus profond que la peur.
Voici que la nouvelle administration fédérale coupe les vivres aux universités qui ont trop complaisamment servi de refuge à la censure militante.
Le vent tourne, d’abord imperceptiblement, puis avec la régularité d’une marée.
En buvant de petites gorgées de café trop chaud, j’ai pensé à ce que Spengler évoquait dans Le Déclin de l’Occident, cette idée que les civilisations respirent, s’étendent, se contractent, comme de grands organismes.
Toutes connaissent des phases d’hypertrophie morale où un dogme, quel qu’il soit, prétend gouverner les consciences sans partage.
Puis, lorsque ce dogme a trop usé les âmes et trop comprimé la vie, surgit une génération qui en renverse les barrières.
Rien ne dure éternellement dans l’histoire humaine, pas même les inquisitions laïques.
En Europe, ce mouvement n’en est encore qu’à ses balbutiements.
Mais certains signaux sont là, ténus, mais réels, comme des braises sous la cendre.
Je pense à l’Institut Iliade, qui rassemble chaque année une à deux promotions d’une jeunesse studieuse, affamée de culture classique, de profondeur historique et d’enracinement.
Je pense aussi à l’Institut de formation politique, l’IFP d’Alexandre Pesey, qui œuvre dans un registre plus stratégique, formant patiemment ces élites médiatiques et politiques dont l’Europe conservatrice aura besoin lorsqu’elle sortira de son sommeil.
L’un apporte la profondeur, l’autre la technique ; ensemble, ils composent les deux faces d’une renaissance encore discrète, comme le chuchotement d’une marée montante avant qu’elle n’envahisse la grève.
Je lève les yeux. Claudine discute avec deux vieux marins qui sentent la sueur et le large.
Le bar s’est peuplé sans que je m’en rende compte.
Des boomers en ballade rient un peu trop fort, un pêcheur tire lentement sur sa cigarette électronique (quelle misère!), et l’eau du port derrière la vitre continue son lent travail d’assombrissement.
Je me dis qu’il n’y a pas de meilleur endroit pour observer les signes qui montent du monde, parce que rien n’y est forcé, rien n’y est artificiel. Ici, la vie circule comme un vieux courant marin.
Oui, les cycles se succèdent. Oui, tout a une fin.
Même les dogmes qui paraissaient invincibles.
Peut-être que ce qui se lève aujourd’hui sur les campus américains, ce refus du conformisme progressiste, ce désir d’exister en dehors des injonctions idéologiques, traversera un jour l’Atlantique et gagnera nos propres universités.
Peut-être que l’âme européenne, étouffée sous le poids de ses culpabilités fabriquées, retrouvera un jour le goût de la liberté intérieure.
Je termine mon café.
Le vent cogne contre la vitre avec une obstination nouvelle.
En quittant le bar des Brisants, je sens que la nuit n’est pas seulement en train de tomber.
Elle prépare peut-être déjà l’aurore de demain.
Par Balbino Katz
Chroniqueur des vents et des marées
balbino.katz@pm.me
Crédit photo : DR
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