TRIBUNE LIBRE
Les « éligibles » refusent l’euthanasie et témoignent de leur rage de vivre

« Nous sommes les éligibles ! » Ce samedi 24 mai, à quelques pas de l’Assemblée nationale, Cyrille et Magali Jeanteur avaient lancé un appel spontané à se rassembler contre le texte visant à légaliser l’euthanasie.
L’objectif : donner la parole à ceux que personne n’a écoutés jusqu’à présent, donner la parole à ces Français vulnérables, malades, âgés ou en situation de handicap qui seraient « éligibles » à l’aide active à mourir en cas d’adoption du texte. Ce samedi après-midi, tous ont témoigné de leur « rage de vivre ». « Aidez-nous à vivre, pas à mourir ! »
« On finit par croire qu’on devrait partir pour soulager tout le monde »
Sous un ciel gris, les Parisiens remarquent quelques fauteuils roulants qui se rassemblent, à deux pas du palais Bourbon.
Rapidement, des dizaines de personnes affluent.
Enfants, adultes et même résidents en maison de retraite se retrouvent.
Chacun échange et partage ses inquiétudes sur le texte sur l’euthanasie, dont les débats viennent d’être clôturés. « Ce texte me terrifie, il est glaçant, nous confie Marie-Caroline Schurr, atteinte d’un handicap moteur depuis sa naissance.
En réponse à ma souffrance, on me propose de mourir ! » Avec détermination, l’ancienne enseignante poursuit : « Avec mon handicap, je rentre dans la catégorie des "éligibles". Ce mot est terrible. Je suis éligible à la mort…
Pourquoi ne suis-je pas plutôt éligible à l’accompagnement ? Pourquoi ne suis-je pas éligible à la vie ? »
Pire, souligne-t-elle : « Avec ce texte, j’ai l’impression d’être un fardeau qui coûte cher à la société. » Oui, concède-t-elle, « mes soins coûtent chers, mais à force de pression sociale, j’ai l’impression que je coûte trop cher. Alors, on finit par croire qu’on devrait partir pour soulager la société.
» Non loin d'elle, d'autres évoquent avec effroi ces considérations économiques.
« Au Canada, désormais, ils se vantent des économies réalisées grâce à l'euthanasie », souffle une mère de famille, inquiète.
Une inquiétude partagée par Louis Bouffard, jeune homme atteint d’une myopathie de Duchenne dont le témoignage a bouleversé de nombreux téléspectateurs de CNews, cette semaine.
« Je refuse une société qui pousse les personnes handicapées vers la sortie, commence-t-il. Aujourd’hui, on me dit que je suis éligible. Éligible, ça veut dire qu’on considère que ma vie vaut moins que celle des autres. »
Et, avec un sourire rayonnant, le jeune homme lance un cri du cœur : « Je voudrais être éligible à l’accompagnement, au soin, à l’amour. Pas à la mort ! Je veux qu’on nous dise que nous avons notre place dans cette société. »
Autour de Louis, la foule se rassemble. Magali Jeanteur attrape un micro et lance le début des témoignages.
Derrière elle, Patrick Hetzel et Philipe Juvin, députés Les Républicains, se mêlent discrètement au rassemblement.
Une deuxième condamnation
Aujourd’hui, aucun de ces « éligibles » ne tente d’enjoliver sa vie. Mais sur leur visage, ce ne sont que des sourires.
Tous veulent vivre ! « J’ai envie de montrer au monde que la vie est belle, que ma vie est belle !, lance Orvedi, étudiant porteur d'un handicap, en classe préparatoire à Henri-IV.
L’euthanasie des personnes vulnérables, ce n’est pas ce que j’attends des députés. J’attends d’eux qu’ils me rassurent sur mon avenir. » « Je viens de passer mes concours. Je veux être éligible à HEC, pas à la mort », conclut l’étudiant, sous de vifs applaudissements.
À côté de lui, Hedwige, atteinte de la maladie de Parkinson, ne mâche pas ses mots : « Ce texte me fait l’effet d’une deuxième condamnation. Quand j’ai appris ma maladie, je me suis sentie condamnée. Et maintenant, je me retrouve condamnée par certains députés qui me disent que ma vie ne vaut rien. Ce texte est comme un pistolet chargé posé sur ma table de nuit, jusqu’à ce que la pression devienne trop forte et que je m’en saisisse… »
Dans la foule, qui grossit chaque minute, un silence s’installe. Des passants, intrigués, s'arrêtent pour écouter les témoignages.
Certains regards, humides, témoignent d’une profonde émotion.
Un des députés présents souffle alors à son voisin : « C’est dommage que les autres [sous-entendu : les députés favorables à l’euthanasie, NDLR] ne soient pas là pour écouter ces témoignages. »
Une standing ovation de quelques minutes conclut le rassemblement. « Je ne pense pas qu’il faut perdre espoir. Il ne faut jamais perdre espoir. Je suis une combattante de la vie », lance avec détermination Marie-Caroline Schurr.
Le vote du texte doit se tenir ce mardi 27 mai.
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Curieuse façon de commémorer l’anniversaire de l’Aktion T4!

De Roland HUREAUX, Agrégé d’histoire:
C’est par un joli mois de mai comme celui que nous connaissons qu’Hitler a conçu en 1939 l’opération dite Aktion T4, un vaste plan d’euthanasie des handicapés physiques et mentaux.
La proposition de loi sur l’euthanasie dont débat aujourd’hui le Parlement français, excluait cette possibilité.
Elle a été rétablie par la commission des affaires sociales, puis le 21 mai, par l’Assemblée.
Dans le principe, si la loi est votée, une élimination des handicapés à analogue à celle du IIIe Reich est désormais possible en France.
Si le début officiel de l’opération est le 1er septembre, au commencement de la guerre, la décision avait été prise antérieurement et son exécution préparée tout au long de l’été.
L’opération, pilotée par la Chancellerie, a reçu le nom de code T4 parce que l’ administration dédiée avait été installée dans une villa confisquée à une famille juive au 4 de la Tiergartenstrasse (rue du Jardin des Plantes), une des avenues les plus huppées de Berlin.
C’est là que fut recrutée une équipe restreinte destinée à réaliser cette élimination, dirigée par Philip Bouhler, en liaison étroite avec le Dr Karl Brandt, médecin personnel du führer[1].
Dès avant son accession au pouvoir, Hitler avait ce projet en tête. Il découlait de son idéologie préconisant l’élimination des faibles et des tarés, à la fois pour améliorer la race et pour débarrasser le pays de la charge des improductifs.
Il ne fallait pas trembler pour le faire car, selon lui, le monde appartenait aux forts aptes à surmonter les sentiments de pitié.
Cela n’a cependant pas empêché Hitler de dire aux familles que l’opération visait à infliger « une mort miséricordieuse » à des gens plongés dans la souffrance .
Entre les deux-guerres, l’idée d’une élimination des tarés, portée par la philosophie de Nietzsche[2], était déjà dans l’air du temps, non seulement en Allemagne mais aussi dans le monde anglo-saxon.
Dès 1933, les nazis avaient pris des mesures d ’ « hygiène raciale » : stérilisation obligatoire des porteurs de maladies héréditaires, légalisation de l’avortement dans le cas où un de parents en serait affligé .
Mais pour des raisons politiques, Hitler préféra attendre la guerre pour aller plus loin tout en préparant les esprits par une propagande insistant sur le coût social des handicapés.
A partir de 1938, la même propagande prétendit que des parents de handicapés de plus en plus nombreux écrivaient pour demander leur élimination.
Comme aujourd’hui, on entend de toutes parts des « témoins » déclarant avec le maximum de pathos souffrir de ne pas pouvoir mettre fin aux jours d’ un parent qui souffre.
Dans le plus grand secret
La difficulté à surmonter était la résistance prévisible des familles et des Eglises.
Tout se fit donc dans le secret.
Si l’opération débuta avec la guerre de Pologne, c’est que le régime espérait que le bruit médiatique lié à la déclaration de guerre la couvrirait.
On commença par les enfants : dès le 18 août, une circulaire imposa au médecins et sages-femmes de déclarer ceux qui naissaient handicapés.
Les parents étaient informés de leur transfert dans des unités dispensant des soins spécialisés ; ils devaient signer une autorisation.
L’opération fut très vite étendue aux adultes : furent particulièrement visés les psychopathes, les alcooliques, les infirmes, les faibles d’esprit, les incurables. L’inaptitude au travail était le critère déterminant.
L’opération se fit hors des hôpitaux psychiatriques, dans six centres spécialisés, dont des châteaux isolés, répartis sur tout le territoire.
Les malades y étaient amenés dans des autobus gris aux vitres opaques de la société d’Etat Gekrat. Ignorant leur destination, les familles recevaient plus tard un faire-part de décès pour cause d’épidémie et quelquefois une urne funéraire.
La majorité du corps médical était au courant comme l’a montré le procès des médecins qui s’est tenu à Nuremberg en 1948.
Après avoir essayé les piqures de morphine ou scopolamine, l’administration du T4 jugea plus expéditif le recours au monoxyde de carbone, suivi d’une crémation.
On estime que, pendant les deux années (août 1939-août 1941) où elle se déroula, l’opération fit environ 75 000 victimes.
Mais l’élimination des malades mentaux ou enfants handicapés se poursuivit hors de l’opération T4, dépassant au total les 100 000 victimes.
Le secret presque absolu dans lequel elle fut menée fit que les réactions furent lentes.
D’autant qu’en régime totalitaire, les familles sont isolées les unes des autres et sous surveillance policière.
Quand la chose filtra, des pasteurs protestants et de prêtres catholiques écrivirent à la Chancellerie.
La protestation la plus spectaculaire fut celle de Mgr Clemens-August von Galen, évêque de Munster qui, à l’été 1941, saisit la justice et interpella avec véhémence le gouvernement du haut de sa chaire.
Que l’opération ait cessé peu après est-il l’effet de cette interpellation ou cette phase de l’opération était-elle terminée ?
Toujours est-il que l’évêque fut mis au secret et plusieurs de ses prêtres déportés.
Une autre raison de mettre fin à l’ opération était qu’à l’automne 1941, après l’invasion de la Russie, commençait l’élimination des juifs, d’abord par balle dans les terres occupées de l’ Union soviétique puis, de manière plus « scientifique », dans des camps.
L’Aktion T4 aura servi en quelque sorte à tester ce genre de massacre de masse, prévu lui aussi depuis longtemps.
Le personnel qui avait été recruté pour éliminer les malades mentaux fut en partie transféré dans les camps d’extermination.
[1] Condamné à mort à Nüremberg ; Bouhler s’est suicidé en prison.
[2] Le philosophe a à plusieurs reprises recommandé l’élimination des tarés.
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