mercredi 20 août 2025

LIVRES DE NOS MAISONS : ON A TOUS UN SAS DANS NOS BIBLI OU DANS NOS GRENIERS !

 LU , VU ET ENTENDU !

[LIVRES DE NOS MAISONS] 

SAS, « le héros qui en savait trop »…

 

« Gérard de Villiers était lu par ses amis de la DGSE, par les militaires et même par des membres d’ONG » (H. Védrine).
SAS

Dans les bibliothèques de nos maisons de famille traînent des livres délaissés. 

Leurs auteurs furent célèbres, peut-être… Leur gloire a passé. 

Cet été, BV vous propose de découvrir quelques-uns de ces écrivains ou de ces livres.

 

Les SAS ? 

Nombreux sont ceux à affirmer n’en avoir jamais lu. 

Peut-être bien ; mais tout le monde en a au moins vu. 

Car sa couverture noire, frappée de l’acronyme SAS, pour « Son Altesse Sérénissime », à l’intérieur duquel une femme dénudée brandit une arme à feu, fait désormais partie de l’imagerie populaire.

 Ce graphisme, à la fois simple et imparable, est signé d’un des amis de Gérard de Villiers, Guy Trillat, directeur artistique à Paris Match, qui signera plus tard celui de la série Brigade mondaine, tout aussi définitif.

 

Un écrivain pas tout à fait dans l’air du temps…

À en croire Benoît Franquebalme, dans sa très précise biographie, Gérard de Villiers, Son Altesse Sérénissime, l’écrivain assume : « Une femme belle avec une arme, ça symbolise tout l’univers SAS. 

C’est glamour, érotique. C’est une marque de fabrique.

 Une belle femme attire plus le regard qu’une mocheté ou un thon. » 

 Le ton est donné. Et il n’aura échappé à personne que Gérard de Villiers n’a jamais été tout à fait du genre #MeToo.

 

Après, la naissance du prince Malko Linge, espion contractuel de la CIA, s'inspire du baron Dieter von Malsen-Ponickau. 

Benoît Franquebalme : « Dieter est né en 1928, un an avant Gérard. 

Deux mètres sous la toise, une enfance châtelaine, une carrière dans l’acier, une fortune faite en Amérique, des romances hollywoodiennes avec Zsa Zsa Gabor ou Jane Russell. 

Il rentre en Allemagne à la mort de son père pour hériter du château familial d’Osterberg. 

Le baron claque sa fortune pour entretenir ses vieilles pierres. 

Heureusement, il a du charme et attire les belles aristocrates. 

Après une idylle avec Soraya (l’ex-femme du chah d’Iran), il se marie avec Fiorenza Colonna di Stigliano, issue d’une illustre famille romaine dont était issu le pape Martin V. 

Le mariage est heureux et marqué par les fêtes équestres données à Osterberg.

 Mais le château engloutit tout et Malsen-Ponickau doit même le quitter, à la fin de sa vie. 

Il mourra en 2012. 

» Le portrait tout craché de Malko, la créature, en quelque sorte ; mais aussi celui de Gérard, le créateur, qui, sa vie durant, mena un train de prince avant de mourir au-dessus de ses moyens.

Il s’en va, d’ailleurs, un an après son modèle plus ou moins avoué. 

À ses obsèques, on remarque la présence de Valéry Giscard d’Estaing et de Marine Le Pen. 

Ce qui était un brin risqué, tant la réputation du défunt était sulfureuse. 

Ainsi, dans ses mémoires, Sabre au clair et pied au plancher, c’est de la sorte qu’il se présente, lui et ses ancêtres : « Pour échapper à une vie étriquée en Bretagne, mon aïeul, au début du XVIIe siècle, décida de s’installer à La Réunion, l’île royale de l’océan Indien. 

Le roi lui attribua des terres et il prospéra, ainsi que ses descendants, grâce à la canne à sucre. 

Mon bisaïeul s’était quant à lui taillé une réputation d’homme de bien, chargé de récupérer les esclaves "marrons", c’est-à-dire évadés, sans trop les abîmer.

 On ne leur coupait qu’un jarret sur deux ; ce qui, à l’époque, était considéré comme la marque d’une grande indulgence. »

  Inutile de préciser que notre homme ne donnait pas dans la repentance…

 

SAS pigiste à Rivarol !

Pour autant, Gérard de Villiers, lorsqu’il entame la carrière qu’on sait, est une sorte de déclassé.

 Avant de devenir écrivain, il est journaliste. Et pas n’importe où !

 Il fait ses premières armes à Rivarol, hebdomadaire qui, dans l’immédiate après-guerre, sert de refuge à nombres de ses confrères se trouvant sous le coup d’une peine d’indignité nationale.

 Interrogé sur ce passé, Gérard de Villiers refuse évidemment de s’excuser : « Cela ne me choquait pas. Aujourd’hui encore, je hais les communistes ! »

 

Mais revenons-en à Malko, son héros.

 Dès la fin des années 60, il assure 10 % du chiffre d’affaires de Plon, son premier éditeur. 

Quelques années plus tard, SAS et les collections dirigées par Gérard de Villiers (Brigade mondaine, Blade, L’Exécuteur, Police des mœurs et autre joyeusetés) représentent 80 % des ventes de romans de gare des Presses de la Cité et 30 % du polar hexagonal.

Il n’y a longtemps eu que les snobs pour penser que les aventures de SAS étaient de celles qu’on ne lisait que de la main gauche. 

Certes, à chacune de ses aventures, le cocktail était respecté. 

Sur près de trois cents pages, un érotisme de plus en plus salé au fil des années (dix pages), un zeste de tortures raffinées (dix pages), saupoudré de beaucoup d’exotisme, mais particulièrement bien documenté, à tel point que ces livres de poche pouvaient en remontrer au fameux Guide du routard.

 Le reste ? Des analyses géopolitiques des plus pointues.

 

Une reconnaissance post mortem

Le 30 janvier 2013, le prestigieux New York Times lui consacre ainsi une élogieuse couverture titrée « Le romancier qui en savait trop »

 Il est loin, le temps où l’on passait pour un ballot dans les dîners en ville lorsque, la conversation s’égarant vers la politique étrangère, on citait Gérard de Villiers comme source. 

Les regards se faisaient alors condescendants, tandis que tombaient les avis du genre « Depuis quand les bouquins de cul seraient les égaux des analystes du Quai d’Orsay ? » 

 À l’évidence, ces andouilles ignoraient que Gérard de Villiers comptait parmi les honorables correspondants de nos services secrets et que la CIA se faisait traduire en anglais le dernier SAS avant même qu’il ne soit mis en vente.

 

Ce que confirmera Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères, dans la Revue des deux mondes, en juillet 2014 : « Gérard de Villiers était lu par ses amis de la DGSE, par les militaires et même par des membres d’ONG, bien qu’ils puissent rejeter l’homme, parce qu’il était un scandale pour l’esprit bien-pensant et humanitaire moderne. 

Beaucoup de diplomates le lisaient aussi, en sous-main. » 

L’une des raisons d’une telle estime ? 

Hubert Védrine, toujours : « Tant de journalistes jugent sans chercher à comprendre. Gérard de Villiers, lui, cherchait seulement à comprendre sans jamais juger. » 

Une sentence que nombre de confrères seraient bien inspirés de suivre.

En attendant, si jamais vos beaux-parents vous surprennent en train de dévorer une aventure du prince Malko Linge et vous toisent avec cette commisération hautaine propre à la famille de votre chère et tendre, n’hésitez pas à remettre tout ce joli petit monde à sa place en affirmant qu’il ne s’agit pas d’un banal « bouquin de cul » mais d’une étude géopolitique des plus fines.

 

Le pire, c’est que vous aurez raison.

 Et contre votre belle-mère, de plus ; plaisir d’esthète s’il en est.


Picture of Nicolas Gauthier
Par Nicolas Gauthier 
 
Journaliste à BV, écrivain 
 
 Source :   https://www.bvoltaire.fr/livres-de-nos-maisons

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire