REVUE DE PRESSE !
Pierre-Yves Rougeyron : « Le vrai problème est que personne en France ne s’intéresse à l’intérêt national français ». .
Ça ne date pas d’hier !
Pierre-Yves Rougeyron, président du Cercle Aristote, répond ici aux questions de Front Populaire (20 novembre) et, quoique peu novateur, c’est clair, rigoureux, réaliste, donc intéressant.
Les lecteurs de JSF sont familiers des termes de l’analyse que dresse ici Pierre-Yves Rougeyron.
Nous sommes, en l’espèce, sur la même ligne que lui et nous reprenons cet assez bref entretien qu’on lira avec profit.
ENTRETIEN.
Victoire de Trump, risque d’escalade entre l’Ukraine et la Russie, ambitions prédatrices de l’Union européenne et montée en influence des BRICS…
L’histoire s’accélère, et la France semble pour l’heure incapable de trouver sa place dans ce déplacement des plaques géopolitiques.
Où en est-on, et où va-t-on ?
Éléments de réponse avec Pierre-Yves Rougeyron, président du Cercle Aristote.
Front Populaire : À la veille du G20, Joe Biden profite de ses derniers mois à la Maison Blanche pour autoriser l’Ukraine à se servir des missiles longue portée ATACMS pour frapper des cibles sur le sol russe.
Le Royaume-Uni et la France, avec leurs armes respectives, n’ont pas tardé à suivre le mouvement.
Le risque d’escalade est-il bien réel ?
Pierre-Yves Rougeyron : Objectivement, pour entamer la volonté et les marges de négociation de l’administration qui prendra les rennes des États-Unis en janvier, il en faudrait plus selon moi.
Néanmoins, un accident ou un dérapage est toujours possible.
Les Européens vont nuire au processus de négociations car ils deviennent les dépositaires des volontés impérialistes américaines, volontés pour l’instant défaites par le dernier scrutin présidentiel.
Comme tout conflit qui se termine en débandade pour un camp – en l’espèce, les eurocrates et une partie des otaniens –, on sort les fameuses armes magiques qui devraient changer quelque chose et on commence le concours Lépine de la plus belle bêtise.
C’est ce qu’on appelle un tir de déception.
FP : L’adhésion de l’Ukraine à l’UE est dans les tuyaux de celle-ci depuis quelques temps déjà.
Tout comme celle de la Moldavie.
Comment interprétez-vous cette ruée vers l’Est ?
PYR : D’abord, comme un produit de la géopolitique allemande classique imposée par Berlin au reste, avec l’appui du protecteur américain, qui assure les arrières de l’Allemagne depuis 1960.
Ensuite, comme une confrontation dans les zones mixtes entre l’influence germano-américaine et l’influence russe, et de plus en plus russo-chinoise.
Rien qui ne devrait concerner la France.
FP : En Allemagne, la question de l’aide, ou non, à l’Ukraine oriente bien plus le débat politique qu’elle ne le fait chez nous, où le soutien à Kiev est à quelques nuances près un sujet consensuel de gauche à droite.
L’avenir du continent est-il suspendu à ce que décideront les politiciens allemands ?
PYR : En réalité, le débat sur l’aide à l’Ukraine cache une différence entre plusieurs visions sur l’état de l’Allemagne.
Les germano-américains (et tout particulièrement les Verts) sont désavantagés par la victoire de Donald Trump, tandis que les négociations avec l’Ukraine font renaître l’espoir au sein de la CDU que l’Allemagne va pouvoir contenter ses industriels avec une énergie à des prix plus abordables.
L’espoir, aussi, de calmer la grogne des post-soviétiques d’Allemagne de l’Est, et peut-être même pour celle-ci de reprendre la place qu’elle avait sous Gerhard Schröder, quand, à l’image de son chancelier, on peut dire que l’Allemagne touchait de Gazprom comme d’Halliburton.
L’avenir des Européens est dans les accords entre russes et américains.
Il faut espérer que l’Allemagne, qui est dès 2014 l’un des pousse-au-crime de la guerre d’Ukraine, n’arrive pas à s’en sortir comme cela.
De toute façon, l’Allemagne dévisse pour longtemps, ce qui est une chance pour tout le monde.
Mais le vrai problème est que personne en France ne s’intéresse à l’intérêt national français.
FP : Si Donald Trump n’est pas tout à fait un isolationniste, il n’est certainement pas un néoconservateur et ne porte pas l’OTAN dans son cœur.
Comment imaginez-vous son mandat à venir sur le plan géopolitique ?
PYR : Il reprendra les choses là où il les a laissées.
Il reprendra la logique des accords d’Abraham au Moyen-Orient, il renégociera les traités multilatéraux en mode bilatéral pour maximiser l’intérêt américain, il réformera les institutions internationales en imposant l’intérêt américain (l’OTAN notamment).
Il poursuivra le pivot vers l’Asie, ce qui est normal en évitant les confrontations militaires.
FP : On a pu entendre à la faveur de la victoire de Donald Trump la nouvelle ligne des européistes : l’Europe doit désormais être souveraine, et il faudrait la “réveiller”. De quoi ce projet est-il selon vous le nom, et est-il réaliste ?
PYR : Vous pouvez dire souverain un cul-de jatte aveugle, cela ne le rendra ni valide ni voyant.
La souveraineté est une cohérence, or l’Union européenne n’en a pas et ne peut en avoir,
La souveraineté est une énergie créatrice, or l’UE vit de la dévitalisation des nations vivantes.
Il était donc attendu que l’UE tienne ce discours, soit qu’elle redevienne le centre du mondialisme comme sous les années Merkel.
Les opératifs resteront certainement les otaniens qui sont beaucoup plus fiables.
Donc effet géopolitique zéro, mais avec néanmoins deux effets subsidiaires : de nouvelles tentatives fédérales avec à la clé le déclassement du continent, plus de nouvelles restrictions de la liberté d’expression.
FP : Un Occident qui s’agite, une UE de plus en plus prédatrice, un Sud Global et des BRICS qui semblent se solidifier…
Dans ce contexte, de quelle marge de manœuvre géopolitique dispose encore la France ?
PYR : La politique extérieure est avant tout une projection de la force intérieure sous plusieurs formes (pouvoir, contrainte, influence) guidée par un ordonnancement des voies et moyens – c’est-à-dire une stratégie – au service d’un but – l’intérêt national.
La France doit donc en premier lieu souhaiter vivre, et définir son intérêt. Ensuite, reconstruire sa souveraineté juridique et matérielle, c’est-à-dire permettre les moyens de son action stratégique.
Et enfin, elle doit se faire passerelle entre les mondes, en assumant la totalité de son identité : puissance océanique de l’Atlantique, du Pacifique et de l’Océan Indien ; puissance archipélagique ; puissance francophone ; puissance occidentale, mais riche en monde.
Nous en sommes encore loin. ■
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