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Mathieu Bock-Côté : Emmanuel Macron, patriote de circonstance ?

Les lecteurs qui doutent que la pensée politique – et, si l’on veut, métapolitique – de Mathieu Bock-Côté soit autre chose qu’un républicanisme droitier, libéral-démocrate et conservateur, devraient découvrir dans cette chronique du JDD (12.03.2025) écrite sous le signe des Deux patries de Jean de Viguerie, un assez net démenti à leurs réserves.
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JE SUIS FRANÇAIS
Par
Mathieu Bock-Côté interroge la notion de patrie, invoquée par le président Macron, à la lumière de l’ouvrage « Les deux patries » de Jean de Viguerie.
… Mais la modernité, et plus exactement, la modernité révolutionnaire, est passée par là.
Si elle a conservé la référence à la patrie, tellement sa charge existentielle était forte, elle en a changé le sens, profondément.
C’est un ouvrage qui pourrait éclairer, si on le relisait, les temps présents.
Je parle du livre Les deux patries de Jean de Viguerie, paru en 1998.
Jean de Viguerie y racontait à travers l’histoire de France l’idée de patrie et son basculement, à l’âge révolutionnaire.
La patrie, disait-il, fut d’abord chose charnelle.
Elle relevait des mœurs, de la culture et de l’identité.
La vocation d’un homme était de recevoir sa patrie sous le signe de la gratitude, et de la transmettre, tout en l’améliorant, sous des traits reconnaissables à ses héritiers.
Mais la modernité, et plus exactement, la modernité révolutionnaire, est passée par là.
Si elle a conservé la référence à la patrie, tellement sa charge existentielle était forte, elle en a changé le sens, profondément, en la désincarnant, pour la fixer plutôt sur une définition abstraite, désincarnée, tenant essentiellement dans le culte de la République, passée, en deux siècles, de régime à religion politique.
La patrie ne désignait plus alors un peuple concret, historique, mais un idéal à partir duquel forger, rééduquer, ou réformer une population, un groupe humain, pour accoucher d’un homme nouveau, nu, universel, sans médiations.
Il fallait broyer le peuple ensuite, pour mieux construire une patrie nouvelle, la population d’un pays étant ici transformée en pâte à modeler idéologique.
Emmanuel Macron redécouvre le patriotisme
Ceux qui refuseront cette conversion à une définition strictement républicaine de la patrie seront assimilés à l’anti-France.
Aujourd’hui, ils sont refoulés derrière le cordon sanitaire.
Cette histoire n’est pas exclusivement française.
La Russie, au XXe siècle, est devenue l’URSS.
Les États-Unis ont cessé de se définir par leur matrice culturelle fondamentale, issue des treize colonies, pour devenir un pays messianique, censé devenir le laboratoire d’une humanité nouvelle.
Ils se veulent pourtant très patriotes.
Et pourtant, ce livre, on le connaît bien peu.
Non pas parce que son auteur n’était pas reconnu par la confrérie des historiens.
De l’avis de tous, c’en était un grand.
Mais parce qu’il était d’une autre orientation métaphysique que ses chers collègues, comme il l’a raconté dans un autre très beau livre, Itinéraire d’un historien.
Jean de Viguerie était un catholique de tradition.
Cela ne se pardonne pas socialement.
Emmanuel Macron ne nous avait-il pas dit que la culture française n’existait pas ?
Cet ouvrage, aujourd’hui, trouve une singulière pertinence, au moment où le président de la République découvre un patriotisme qu’il semblait dédaigner récemment encore.
Des deux patries, nous passons aux deux patriotismes.
Emmanuel Macron ne nous avait-il pas dit que la culture française n’existait pas ?
Ne voyait-il pas chez les siens des Gaulois réfractaires ?
N’est-il pas partisan d’une unification toujours plus grande de l’Europe, et ne rêve-t-il pas d’un grand saut fédéral, qu’il croit rendu possible par les circonstances ?
La France au service d’une Europe impériale
Pourtant, je l’ai dit, au moment de plaider pour un réarmement français et européen, il l’a fait au nom du patriotisme.
Mais il ne s’agit pas chez lui, à moins que je ne l’aie mal compris, de défendre l’identité française, de lutter contre la submersion migratoire, de reconquérir les territoires conquis par l’islamisme, de démanteler les forteresses des narco-baronnies qui se multiplient, ou de récupérer la souveraineté confisquée par la technostructure européenne.
Ceux qui plaident pour cela, normalement, on les assimile à l’extrême droite.
Il s’agit de défendre la frontière ukrainienne, ce qui est assurément une noble cause, d’autant que les Ukrainiens, quoi qu’on en dise, se battent moins pour une idée lointaine de l’Europe que pour l’indépendance de leur pays.
Il s’agit aussi, on l’aura compris, de mettre le patriotisme français au service de l’Europe impériale à venir, comme si la vocation historique de la France consistait à mobiliser ses dernières forces identitaires pour se projeter dans une Europe où certains l’imaginent se grandir, et où elle risque plutôt de se dissoudre, une fois pour toutes.■
Par MATHIEU BOCK-CÖTÉ
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Jean de Viguerie, l’homme que j’ai connu
par Pierre de Meuse – 19.12.2019.
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Thibault de Montbrial : « Les incertitudes de l’époque commandent un réarmement militaire, industriel, politique et moral »

Cette tribune est parue dans le Figaro du 10 mars.
Elle ne consiste pas à emboîter le pas au bellicisme arbitrairement ciblé contre un seul pays, ni à profiter des circonstances pour une marche forcée vers un fédéralisme européen délétère – comme l’envisagent Emmanuel Macron et ses homologues européistes – mais à reconstituer de la force française – notamment (mais pas seulement) militaire – pour servir les intérêts de la France dans le nouveau chaos mondial.
C’est une ligne de patriotisme français.
TRIBUNE – Aujourd’hui, l’armée française ne dispose pas des moyens de faire face à une menace ordonnée, alerte l’avocat.
L’urgence est à restaurer une capacité de puissance pour dissuader ceux qui voudraient nous déstabiliser, d’où qu’ils viennent.
Thibault de Montbrial est avocat et président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure.
L’hybridation
conflictuelle, dont les origines peuvent être à l’est, mais aussi (et
surtout ?) au sud, souligne l’importance de la réactivation d’une réelle
défense opérationnelle du territoire.
Après la défaite autrichienne de Sadowa, en 1866, quelques esprits éclairés préconisèrent de doter la France d’une armée suffisamment étoffée pour être au niveau de la nouvelle puissance prussienne. Napoléon III les écouta et promut une réforme ambitieuse.
Las, il se heurta à des résistances corporatistes, des contraintes budgétaires et à la démagogie de certains corps constitués, comme le Sénat impérial ou le Conseil d’État.
La loi Niel, votée en 1868, censée traduire le changement de paradigme, accoucha d’une souris.
La suite est connue : la France se fit étriller en 1870.
La décomposition spectaculaire du cadre international de sécurité dans lequel évolue la France nous contraint à retrouver très vite la puissance militaire et morale indispensable dans le monde qui se profile, où la seule dotation de l’arme nucléaire n’est pas suffisante pour se garantir des menaces qui se multiplient, étatiques ou non.
Quoi que l’on pense de la dramatisation des discours publics européens depuis l’élection de Donald Trump, il est désormais urgent de penser notre sécurité à l’aune de cette nouvelle réalité.
En 2017, à la suite de la démission du chef d’état-major des armées Pierre de Villiers, la France a fini par opérer une remontée tangible du budget de sa défense.
Mais la loi de programmation militaire 2024-2030 doit désormais être sérieusement actualisée.
Tout le défi consistant à ne pas reproduire les erreurs de la loi Niel de 1868.
La comparaison entre nos capacités actuelles et celles de 1990 donne le tournis
L’armée française est aujourd’hui un modèle d’armée complet, mais échantillonnaire.
Les efforts réalisés ces dernières années, qui ont permis de réparer certaines carences et d’engager des crédits sur de nouveaux champs de conflictualité comme le cyber ou le spatial, sont réels mais insuffisants.
La comparaison entre nos capacités actuelles et celles de 1990 donne le tournis.
En 1990, la France disposait d’une armée de terre à 280.000 hommes, 880 chars, 4.700 blindés et 500 hélicoptères.
L’armée de l’air, elle, alignait 450 avions de combat.
Quant à la marine, elle offrait deux porte-avions, 6 SNLE (sous-marins nucléaires lanceurs d’engins), 6 SNA (sous-marins nucléaires d’attaque), 18 frégates de premier rang.
Aujourd’hui, l’armée de terre dispose de 77.000 hommes, 200 chars, 1.200 blindés et 180 hélicoptères ; l’armée de l’air, de 185 avions de chasse et la marine, d’un porte-avions, 4 SNLE, 8 SNA et 15 frégates de premier rang.
Encore faut-il ne pas rentrer dans les détails parfois cruels de la disponibilité technique opérationnelle.
De fait, l’armée française ne dispose pas des capacités pour faire face à une menace ordonnée.
S’il est important de coordonner certains savoir-faire avec nos voisins européens, la nouvelle donne contraint la France à reconstruire d’urgence des compétences telles que la défense sol-air multicouches (urgence vitale), les drones, la capacité à frapper en profondeur, la guerre électronique ou le transport stratégique.
Il faut aussi rétablir la capacité à durer, en constituant des stocks d’équipements, de matériels et de munitions disponibles en quantité bien supérieure.
Ces différents besoins impliquent une remontée forte de la production industrielle militaire, et donc un renforcement conséquent de notre Base industrielle et technologique de défense (BITD).
L’heure des vraies priorités budgétaires va peut-être sonner
De la montée en puissance de cette « économie de guerre » résulte une double conséquence, dont beaucoup semblent encore ignorer l’impact.
D’une part, elle ne peut se faire sans une diminution drastique des normes (ESG, CSRD, CS3D, droit des marchés publics et autres) qui pèsent directement ou indirectement sur l’industrie de défense.
L’exception normative nécessaire est au moins du même ordre que celles qui ont permis de traverser la crise du Covid, de réussir les Jeux olympiques ou de reconstruire Notre-Dame en cinq ans.
D’autre part, l’effort attendu paraît difficile à vision budgétaire constante.
Une dette est une dette, et quels que soient les éléments de langage d’une Commission européenne (dont il faut surveiller par ailleurs les libertés prises avec les compétences d’attribution du traité de l’Union), la France ne pourra pas engager l’effort nécessaire en conservant à la fois intacts un « modèle social » à bout de souffle et une pression fiscale déjà insupportable.
En clair, l’heure des vraies priorités budgétaires va peut-être sonner.
La situation implique également de penser la sécurité de notre territoire à l’avenant.
L’hybridation conflictuelle, dont les origines peuvent être à l’est, mais aussi (et surtout ?) au sud, souligne l’importance de la réactivation d’une réelle défense opérationnelle du territoire.
L’articulation entre l’armée de terre et la gendarmerie et le rôle des réserves sont autant d’enjeux majeurs.
La population doit également être associée, avec un programme de Sécurité civile adapté pour créer une indispensable capacité de résilience collective.
il ne s’agit surtout pas de préparer une guerre contre tel ou tel pays.
Les incertitudes de l’époque commandent un réarmement structurel rapide sur tous les plans : militaire, industriel, politique et moral. Il faut le dire et le répéter plus encore : il ne s’agit surtout pas de préparer une guerre contre tel ou tel pays.
L’objectif consiste à restaurer une puissance globale capable de dissuader ceux qui, à l’est ou au sud, seraient tentés d’exploiter le contexte international dérégulé qui se profile pour utiliser la force d’une manière ou d’une autre afin de peser sur les intérêts de la France. ■
Par THIBAULT DE MONTBRIAL
Source et Publications : https://www.jesuisfrancais.blog/2025/03/15/

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