Sommet de l’Élysée: coalition des volontaires ou des bras cassés?
Macron et Starmer (et quelques autres) parlent paix (et poissons) à Paris

Emmanuel Macron réunit à Paris une trentaine de pays alliés de Kiev pour envisager la fin de la guerre en Ukraine et l’après.
Emmanuel Macron et Keir Starmer, les deux chefs des armées les plus puissantes du continent, divergent toutefois sur la sécurité à proposer à l’Ukraine: M. Macron préconise une force de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU sur le sol ukrainien, tandis que M. Starmer privilégie une protection aérienne et maritime sans troupes au sol.
Les deux hommes s’opposent aussi sur un éventuel partenariat de défense entre le Royaume-Uni et l’UE, avec des Européens, notamment la France, conditionnant l’accord à des concessions sur des points liés au Brexit, comme la pêche et la mobilité des jeunes…
Analyse.
Aujourd’hui, les représentants de 31 pays se réunissent à l’Élysée à l’invitation d’Emmanuel Macron.
Leur but ? Discuter des garanties de sécurité que ces pays sont prêts à proposer à l’Ukraine en cas d’une cessation des hostilités entre cette dernière et la Russie.
Il sera question aussi d’un traité de paix élaboré par la France, le Royaume Uni et l’Ukraine qui devrait être soumis par la suite au jugement des États-Unis.
La liste des invités comprend les États-membres de l’Union européenne et certains membres de l’OTAN comme le Royaume Uni, la Norvège et le Canada.
L’objectif ultime consiste à montrer au monde, et surtout aux Américains et aux Russes, que l’Europe et ses alliés sont capables de constituer une force de dissuasion militaire digne du nom et apte dans une certaine mesure à remplacer les États-Unis dans leur rôle de gendarme international.
Après des années d’inertie, d’indécision et de désaccords, la tâche que s’est fixée l’Europe sera extrêmement ardue. Emmanuel Macron et ses convives seront-ils à la hauteur ?

Vivre d’industrie
Depuis la fin de la guerre froide, l’Europe en tant que continent a trop souvent contemplé les conflits armés dans le monde comme une spectatrice ou comme une actrice mineure.
Il est vrai que certains pays – surtout la France et le Royaume Uni – ont participé à des interventions occidentales au Moyen Orient, en Afghanistan ou en Afrique de l’Ouest, mais ces opérations n’étaient pas nombreuses et ne constituaient pas des entreprises européennes, initiées et réalisées par l’Europe.
Il était peut-être naturel que, après les deux guerres mondiales et les tensions de la guerre froide (surtout celles inspirées par la course aux armements nucléaires), l’Europe préfère regarder ailleurs plutôt que de faire face à toutes ses responsabilités en matière de défense et de sécurité.
Le problème, c’est qu’elle a voulu incarner les valeurs de démocratie, de droits de l’homme et de commerce libre sans se doter des moyens de défendre ces valeurs seule par la menace dissuasive ou, si nécessaire, sur le champ de bataille.
Pendant des années – et à l’époque où le Royaume Uni était encore membre de l’UE – trop de temps et d’efforts ont été gaspillés dans la poursuite d’un feu follet : une armée européenne.
Au-delà du fait évident qu’il était chimérique de vouloir créer une force unique à partir des éléments disparates qu’étaient les armées des États-membres, chacune ayant une culture militaire différente et parlant une langue différente, on a négligé une condition préalable essentielle : la coordination d’une industrie de la défense européenne.
Et cette condition préalable elle-même avait une condition préalable : une vision stratégique des conflits de l’avenir qui permette de déterminer quelles armes et quels systèmes de défense il valait mieux construire.
A cet égard, on s’est trompé aussi dans une certaine mesure.
Les deux pays qui possèdent des armées professionnelles aguerries et l’arme nucléaire – la France et le Royaume Uni – ont eu tendance à se focaliser sur la création de forces d’intervention rapides et mobiles, souvent aéroportées, capables de réaliser des opérations antiterroristes, de sauvetage ou de maintien de la paix un peu partout dans le monde.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 a montré qu’une guerre de haute intensité et se passant sur le sol européen représentait toujours un risque important.
C’est ainsi que, à l’heure actuelle, nous sommes condamnés à improviser notre réponse à la situation créée par Poutine et Trump.
Nous devons développer une vision stratégique commune, servie par une coordination précise de nos forces armées qui seront équipées du matériel nécessaire à l’exécution d’objets communs clairement définis.
Et on doit le faire en un temps record !
A l’Ouest, quelque chose de nouveau
Il y a quelques bonnes nouvelles.
Les dirigeants des deux pays possédant les armées les mieux préparées au combat – Emmanuel Macron pour la France, et sir Keir Starmer pour le Royaume Uni – ont compris l’urgence de la situation et ont pris les devants.
D’abord, en se rapprochant l’un de l’autre ; ensuite, en réunissant les partenaires potentiels d’une « coalition des volontaires » (traduction de l’anglais, « coalition of the willing »).
La réunion d’aujourd’hui a été précédée par deux sommets à Londres, les 2 et 15 mars.
Une autre réunion, décisive, est prévue pour le mois de mai.
En vérité, cela fait longtemps qu’Emmanuel Macron appelle à galvaniser l’industrie de la défense en Europe et à acheter des armements « made in Europe », bien qu’avec un succès mitigé.
Car les Européens ont dû faire face à un paradoxe du type « la poule et l’œuf » : pour stimuler l’industrie de la défense, il faut lui donner des commandes ; mais pour que l’industrie ait la capacité d’y répondre rapidement, il faut qu’elle ait déjà grandi suffisamment.
Par conséquent, des États-membres comme l’Allemagne ou la Pologne ont préféré acheter du matériel américain.
Le président français a pu prendre d’autres initiatives allant dans le bon sens, comme la création en 2018 de l’Initiative européenne d’intervention, une structure rassemblant certains États-membres et le Royaume Uni en vue de la création d’une culture stratégique commune.
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A la différence d’Emmanuel Macron, Keir Starmer est un converti récent à la nécessité de dynamiser notre défense commune.
Mais si sa conversion – provoquée par Donald Trump – est récente, Starmer fait preuve de tout le zèle des nouveaux convertis.
Tandis que la France se donne très peu de marge de manœuvre financière, Starmer, tout socialiste qu’il est, parle de coupes budgétaires même dans la provision des services sociaux afin d’augmenter les dépenses militaires.
En France, on voit rarement un tel courage.
L’autre nouvelle plutôt positive, c’est que l’UE, dans son livre blanc sur la défense, publiée le 19 mars, a pris toute la mesure des difficultés auxquelles l’Europe doit faire face.
D’abord, il n’y est nullement question d’une armée européenne, chaque État-membre étant responsable de ses propres forces armées, de leur doctrine, de leur déploiement et de la définition de leurs besoins.
Le livre blanc reconnaît aussi que l’industrie de la défense n’est pas encore en état de subvenir à tous les besoins de l’Europe.
Parmi d’autres mesures, la Commission va emprunter 150 milliards d’euros sur les marchés de capitaux afin d’accorder des prêts aux États-membres désireux d’investir dans leur défense.
Cet instrument s’appellera SAFE (« Security Action for Europe ») et obligera les emprunteurs à acheter auprès des entreprises de l’UE.
Des exceptions peuvent être faites dans le cas de pays candidats à l’adhésion à l’Europe et de pays ayant signé un « Partenariat de défense et de sécurité » avec l’UE.
Autre mesure financière, la Commission va accorder une souplesse budgétaire aux États-membres concernant leurs dépenses sur la défense, ce qui pourrait leur permettre collectivement d’investir jusqu’à 650 milliards d’euros de plus.
Enfin, il est question aussi de libéraliser le marché de l’épargne pour que jusqu’à 1000 milliards d’euros d’économies de citoyens européens, économies qui « languissent » actuellement dans des comptes bancaires, puissent être investies dans l’industrie de la défense.
L’Union européenne a la pêche enfin ?
En dépit de ces bonnes nouvelles, il y a quand même des grains de sable qui gâchent l’unité retrouvée et l’enthousiasme martial des partenaires européens.
D’abord, il y a des divergences sur le dispositif de sécurité à proposer à l’Ukraine après un accord de paix éventuel.
Emmanuel Macron parle d’une force de maintien de la paix à installer sur le territoire ukrainien sous l’égide des Nations Unies.
Keir Starmer est plus réticent par rapport à l’idée de troupes européennes et autres au sol et évoque plutôt la protection de l’espace aérien et des eaux territoriales de l’Ukraine par des armées de l’air et des marines étrangères.
Plus grave, il y a un différend quant au marché des armements.
Si l’instrument financier SAFE permet à certains partenaires d’avoir accès au marché européen, il serait logique que le Royaume Uni, quatrième exportateur d’armements après l’Allemagne, la France et l’Italie, mais dont BAE Systems est le plus grand fabricant en Europe, puisse conclure un Partenariat de défense et de sécurité avec l’UE.
Mais c’est ici que les rancunes léguées par le départ britannique de l’UE remontent à la surface.
Car du côté européen, négocier un tel partenariat se révèle une bonne opportunité pour renégocier les termes du Brexit.
Des voix se sont élevées exigeant qu’un partenariat soit conditionné à une révision de la politique frontalière à Gibraltar, la création d’un nouveau programme de mobilité pour les jeunes, et un plus grand accès pour les États-membres de l’UE aux eaux de pêche du Royaume Uni.
C’est notamment la France qui insiste sur cette dernière concession, comme si améliorer le plat de poisson devant lequel le citoyen moyen s’attable était plus urgent pour les Européens que de se faire respecter sur la scène internationale à un moment de crise aiguë.
Nous verrons quelles seront les conclusions du sommet d’aujourd’hui, ainsi que les annonces du mois de mai. Pourtant, le plus grand ennemi de l’Europe, à savoir la discorde entre ses partenaires, semble nous menacer encore une fois.
L’objectif de tous est censé être de prendre au sérieux enfin les questions de défense et de sécurité.
Allons-nous montrer au monde que la rivalité entre dirigeants et les chamailleries entre pays sont tout ce dont nous sommes capables ?
Source et Publication : https://www.causeur.fr/sommet-de-lelysee
ET AUSSI

UNE GUERRE PAR PROCURATION
Par Yann Bizien
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UNE GUERRE PAR PROCURATION
Depuis trois ans, nous assistons en direct à « une guerre par procuration » avec son « maître d’œuvre, ses « maîtres d’ouvrage », ses financeurs, nous, contribuables, ses centres de formation militaires et ses industries.

Dans une guerre dite « par procuration », il y a normalement deux belligérants qui se font face et qui se combattent sur le champ de bataille.
Ce sont les « maîtres d’œuvre ». Ils font la guerre.
Ce sont eux qui ont des blessés, des mutilés, des morts et des familles endeuillées.
Ce sont leurs infrastructures qui sont ravagées par les effets des armes. Autrement dit, ils subissent tous les traumatismes de la guerre.
La « guerre par procuration » est normalement conduite, « managée » et pilotée à « distance » par des « maîtres d’ouvrage » associés.
Ils « font faire la guerre » par le régime, le peuple et les armées d’une autre nation.
Les « maîtres d’ouvrage » de cette guerre sont les commanditaires de l’OTAN qui s’est étendue, au fil des années, jusqu’aux portes de la Russie, jusqu’à provoquer son régime.
La guerre par procuration, c’est que nous observons depuis trois ans.
Certes, nous en avons pris l’habitude.
Mais je me permets une petite explication aujourd’hui pour souligner combien la guerre dite par procuration est absolument honteuse.
Que peut ont trouver de moral, en effet, dans une guerre par procuration ?
C’est-à-dire une guerre dont on partage la cause, une guerre que l’on veut, que l’on soutient et que l’on finance, sans la faire, sans perdre un soldat, en regardant les autres tomber sur le champ de bataille ?
Il est parfaitement établi que l’OTAN ne pouvait pas entrer directement en conflit avec la Russie à cause et/ou grâce au pouvoir suprême de l’atome, c’est-à-dire de la Dissuasion nucléaire émanant des arsenaux nucléaires réciproques.
Nous avons donc, à l’est de notre continent, une guerre par procuration entre l’Alliance Atlantique et la Russie, dont une des victimes, au centre, est l’Ukraine et surtout son peuple.
La guerre par procuration permet d’intervenir indirectement dans un environnement complexe ou une présence militaire occidentale n’est pas souhaitable et se révélerait inopérante dans la durée.
L’absence de présence militaire des maîtres d’ouvrage est alors assumée.
Elle permet de garantir l’absence de pertes humaines, un soutien relatif de l’opinion et de limiter les responsabilités.
Le succès d’une guerre par procuration repose en grande partie sur la qualité et la motivation du partenaire qui agit sur le plan militaire, ici l’Ukraine, son président, son régime corrompu et ses armées supplétives dopées par l’OTAN, c’est-à-dire les Etats-Unis, jusqu’à l’investiture de Donald Trump, une majorité de pays membres de l’Union Européenne et nous, peuple, contribuables.
Dans une « guerre par procuration », le combat se caractérise par l’absence de nos forces au sol ou par l’invisibilité des ressources militaires mises à la disposition du « maître d’œuvre ».
Les maîtres d’ouvrage fournissent au maître d’œuvre financements, armements, artillerie, chars, avions de combat, capacités logistiques, formations, renseignements, ciblages, conseils stratégiques et tactiques, munitions, obus et missiles.
La guerre par procuration suppose aussi un « contrat de confiance » total entre le maître d’œuvre et les maîtres d’ouvrage. Or, aujourd’hui, la rupture stratégique annoncée et provoquée par Donald Trump est venue altérer ce contrat.
En d’autres termes, nous sommes directement impliqués dans ce conflit depuis février 2022 en tant que maître d’ouvrage associé à d’autres.
Nous avons un rôle évident d’assistance, de soutien et d’appui.
Nos dirigeants occidentaux ne veulent évidemment pas assumer les conséquences de la « guerre par procuration », alors qu’ils en portent aussi une grande part de responsabilité politique.
Ce qui se passe à l’est de notre continent est la plus grande guerre par procuration de tous les temps, celle qui en mis en jeu les plus grandes masses d’argent, sans transparence, et sans contrôle démocratique, celle, aussi qui a fait le plus grand nombre de morts et blessés.
Je n’oublie pas les acteurs non gouvernementaux. Ils sont nombreux.
Le processus de guerre par procuration n’est pas nouveau.
Des exemples de ce type de guerre ont conduit des pays occidentaux à assister un mouvement révolutionnaire (en Libye), des milices locales (1ère guerre d’Afghanistan), l’intervention d’un État (en Côte d’Ivoire) et une coalition sous mandat international (CDEAO pour le Mali, AMISOM en Somalie).
Je souhaite ardemment un cessez-le-feu et la paix à l’est de notre continent, mais les conditions voulues par Emmanuel Macron et la plupart des dirigeants européens, parasitent fortement ce processus, de sommet en sommet, sauf, à ce stade Viktor Orban et Giorgia Meloni.
Car ce processus engagé à l’initiative de Donald Trump est fortement impacté par la stratégie belliciste et orgueilleuse des européens.
Ironie de l’histoire, en voulant la paix avec leurs exigences (troupes européennes au sol et réarmement de l’Ukraine), ils pourraient prolonger cette guerre, autrement, en sortant du cadre de la « procuration », alors que des solutions de paix sont pourtant sur la table des négociateurs qui disposent des cartes essentielles en main dans le rapport de forces et de puissance.
Quand les français auront enfin compris que le président Zelensky cherche à nous entrainer depuis trois ans physiquement dans cette guerre par procuration, nous aurons tous fait un grand pas en avant dans la compréhension de ce qui arrive et nous pouvons le constater avec les difficultés rencontrées pour parvenir à un cessez-le-feu et à une paix qui apparaissent aujourd’hui très éloignés de notre horizon tellement la haine, la rancune, l’orgueil, l’absurdité, les intérêts, les idéologies, le narcissisme, le cynisme et l’hypocrisie des hommes et des femmes (oui, avec Mme Von der Leyen, et oui avec le narcissisme d’Emmanuel Macron) dominent ce processus mental, diplomatique et politique.
Dans toutes les guerres, il y a un élément fondamental qui est celui du soutien, toujours fragile, de l’opinion.
C’est sur l’opinion qu’Emmanuel Macron est en train d’agir aujourd’hui avec son activisme, de sommet en sommet, de point presse en point presse, avec ses fidèles, et cette fameuse « coalition des volontaires » dont on ne sait pas si elle va durer faute de moyens financiers, d’armements, de ressources combattantes et de forces morales nationales.
Je précise que la guerre par procuration a été conceptualisée par l’OTAN et qu’elle figure en bonne place dans sa doctrine, que j’ai étudiée il y a quelques années dans ses écoles.
Par Yann Bizien
VIVE L’UNION des PATRIOTES, VIVE LA FRANCE !
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