L’étude du CEVIPOF, réalisée par Luc Rouban, révèle des évolutions politiques significatives dans le vote des fonctionnaires en France, en particulier lors des élections européennes et législatives de 2024.
Ces transformations s’inscrivent dans un contexte plus large de déclin de la “gauche d’État”, autrefois dominante dans la fonction publique, et d’une montée de la droite, notamment du Rassemblement national (RN).
Ces résultats marquent une rupture avec les tendances historiques et ouvrent la voie à de nouvelles dynamiques politiques.
La fin de la gauche d’État
La “gauche d’État” désigne la tradition historique d’ancrage à gauche des fonctionnaires en France.
Cet héritage remonte à l’après-guerre, lorsque la fonction publique s’est construite autour de la défense des idéaux républicains d’égalité et de justice sociale.
Le secteur public a longtemps été perçu comme un bastion de la gauche, notamment à travers le Parti socialiste et, dans une moindre mesure, le Parti communiste.
Toutefois, cette domination de la gauche sur le vote des fonctionnaires a commencé à se fissurer au début des années 2010, sous la présidence de François Hollande, avec la montée en puissance de politiques libérales et la remise en question des services publics.
Les élections européennes et législatives de 2024 confirment l’accélération de cette tendance.
La gauche, jadis majoritaire dans la fonction publique, a perdu du terrain face à une montée en puissance des droites, y compris l’extrême droite.
Le vote des fonctionnaires, qui se distinguait historiquement de celui du secteur privé, s’est progressivement rapproché de ce dernier, notamment dans le soutien au RN.
Une montée en puissance de la droite
Le RN, en particulier, a fait des percées notables parmi les fonctionnaires, une population traditionnellement réticente à voter pour l’extrême droite.
Aux élections européennes de 2024, le parti obtient 33 % des suffrages dans les trois fonctions publiques (État, territoriale, hospitalière).
Cette progression se retrouve également dans le secteur privé, avec une tendance similaire.
Une autre évolution marquante est l’arrivée du parti Reconquête ! d’Éric Zemmour, qui, bien que moins populaire que le RN, attire une frange plus bourgeoise et identitaire de l’électorat fonctionnaire.
Cela illustre une diversification de l’offre d’extrême droite, qui parvient désormais à séduire aussi bien les classes populaires que les professions supérieures.
Les législatives de 2024 confirment cette radicalisation à droite, mais montrent également un certain recentrage autour des Républicains (LR), notamment grâce à une bonne implantation locale.
L’alliance de certains candidats LR avec le RN sous la direction d’Éric Ciotti a brouillé les frontières entre la droite traditionnelle et l’extrême droite.
Dans l’ensemble, les droites radicales (RN, LR allié au RN, Reconquête !) recueillent environ 31 % des voix dans la fonction publique, un chiffre qui reste stable par rapport aux européennes.
La crise de la gauche radicale
La gauche, notamment la gauche radicale représentée par La France insoumise (LFI), le Parti communiste (PCF) et Europe Écologie-Les Verts (EELV), a subi un net recul en 2024.
Alors qu’elle avait réalisé de bons scores lors de la présidentielle de 2022, la gauche radicale ne totalise plus que 12 % des voix aux européennes de 2024 dans la fonction publique, contre 30 % deux ans plus tôt.
Ce recul s’est accompagné d’une remontée des suffrages en faveur de la gauche modérée (PS-Place publique), qui passe de 8 % à 25 % dans la fonction publique.
Les législatives de 2024 ont confirmé la faiblesse de la gauche radicale.
Réunis sous l’étiquette du Nouveau Front Populaire (NFP), les candidats de gauche (LFI, PCF, PS, EELV) ont obtenu des scores décevants, en particulier dans la fonction publique de l’État (FPE), où ils recueillent 32 % des suffrages exprimés, loin des 38 % atteints lors de la présidentielle de 2022.
Un virage à droite au second tour
Le second tour des législatives a marqué le triomphe des droites, en particulier du RN, qui réalise un score historique dans les fonctions publiques.
Le parti obtient 36 % des suffrages dans la fonction publique de l’État, 39 % dans la fonction publique territoriale et 41 % dans la fonction publique hospitalière.
Ces résultats sont comparables à ceux obtenus dans le secteur privé, où le RN atteint 42 % des voix.
Le “front républicain”, mis en place pour contrer le RN, a fonctionné dans certaines circonscriptions, permettant à des candidats du NFP de l’emporter grâce aux voix d’électeurs opposés au RN.
Toutefois, cette stratégie n’a pas empêché le RN de séduire une part importante des fonctionnaires, en particulier ceux qui avaient voté pour Emmanuel Macron ou s’étaient abstenus au premier tour.
L’étude du CEVIPOF met en lumière un basculement historique dans le vote des fonctionnaires en France, marquant la fin de l’hégémonie de la gauche au sein de cette population.
La montée en puissance du RN et la diversification de l’extrême droite témoignent d’un affaiblissement de l’appareil d’État et d’une demande croissante d’autorité parmi les fonctionnaires.
Si la gauche parvient encore à mobiliser une partie de l’électorat fonctionnaire, elle est désormais concurrencée par une droite de plus en plus radicale, qui s’impose comme une force politique incontournable.
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