Algérie : trois questions à Boualem Sansal

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BV. On parle beaucoup de l'Algérie en ce moment, en particulier pour ses championnes olympiques.

 Que pensez-vous des polémiques concernant la boxeuse Imane Khélif et la gymnaste Kaylia Nemour, dont les jambes nues ont été « censurées » par le chroniqueur sportif Hafid Derradji ?

Boualem Sansal. J’ai un vrai souci pour la jeune Kaylia Nemour. 

A Alger on se flatte de sa médaille d’or mais en même temps on s’offusque de la voir montrer ses cuisses. 

Elle doit vite oublier qu’elle est française et se souvenir qu’elle représente l’Algérie, ce que nul ne peut faire à moitié et à ses conditions propres. 

La voilà pleinement embarquée dans la campagne électorale de monsieur Tebboune pour mobiliser la jeunesse algérienne qui a bien besoin de rêver pour oublier la sinistrose ambiante, aggravée par la canicule et le manque dramatique d’eau.

 Son curriculum vitae va être réécrit : on en fera une algérienne à 200% qui a souffert du racisme en France où tout a été fait pour l’exclure des compétitions.

 La voilà sous la protection de l’Algérie. That’s all folks !

 Quant à Imane Khélif, peu importe la couleur du chat pourvu qu’il attrape les souris, pour le pouvoir algérien. 

L’Algérie doit accumuler les médailles d'or avant l’élection de Tebboune, dussent les poings de Khélif écrabouiller ses adversaires.

 

B.V. La relation de la France avec l'Algérie s'est tendue récemment, après que la France a indiqué que l'avenir du Sahara occidental passe par la solution marocaine.

 Comment analysez-vous cette nouvelle tension?

B.S. Tendue, elle l’a toujours été.

 Cependant, là c’est de l’inédit.

 On peut parler de rupture définitive, voire de guerre probable, sous des formes elles aussi inédites. 

Pour le pouvoir algérien, la décision de Macron de reconnaître la marocanité du Sahara occidental est à la fois une humiliation violente et un cadeau du ciel qui lui permet de se dégager du piège dans lequel Macron avait attiré le naïf Tebboune, et que l’on peut résumer par la formule « clôture définitive de la Guerre d’Algérie contre quelques gestes mémoriels » savamment choisis par Stora. 

Or, clore la Guerre d’Algérie et la confier aux historiens, c’est enlever au pouvoir algérien son arme secrète, sa raison d’être.

 C’est grâce à elle qu’il tient le pays dans sa main de fer depuis l’indépendance.

 Les Algériens découvriraient aussitôt que le cygne blanc était un vilain petit canard et tous ces messieurs seraient livrés au tribunal pour falsification de  l’histoire et détournement des instruments de l’Etat (armée, police et justice) au profit de la caste.

Macron a franchi le Rubicon, il ne peut pas revenir en arrière et le pouvoir algérien, maître absolu de la République algérienne démocratique et populaire (RASP), qui a fait de l’indépendance de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) son autre guerre d’Algérie, ne peut pas se dédire. 

Il ne peut pas moins sanctionner la France qu’il n’a sanctionné l’Espagne et le Maroc.

 Il faut croire que la dissolution expresse de l’Assemblée française et les dégâts qu’elle a provoqués chez les professionnels de la politique, ont formidablement inspiré Macron. 

 Eureka ! Il a annulé le marché conclu avec Tebboune sans le moins du monde l’en avertir.

 Peut-être s’est-il dit avec la malice qu’on lui connaît : « Je vais voir comment le vieux Tebboune va s’en sortir avec ses généraux avec la grenade dégoupillée que je leur balance entre les pattes. »

 Lui faire ça, la veille de son élection triomphale en septembre, auréolé de toutes ses victoires olympiques et énergétiques, ça fait mal.

 

B.V. Que peut-on attendre, justement, de la campagne présidentielle qui s'ouvre en Algérie et qui est  marquée par un scandale judiciaire? 

Trois candidats à la candidature sont sous contrôle judiciaire et 68 suspects placés sous mandat de dépôt. 

C’est ce qu’indique un communiqué du procureur général près la cour d’Alger, rendu public, ce lundi 5 août.

B.S. Il n’y a rien à attendre, c’est la cuisine intérieure habituelle. 

Le pouvoir va reconduire Tebboune dans son poste de président de la République. 

Avec la même feuille de route : accroître les bases financières, économiques, industrielles et diplomatiques du pays pour faire de l’Algérie une grande puissance militaire et politique régionale. 

Elle est déjà sur le podium africain, en troisième position derrière l’Afrique du Sud et l’Egypte. 

Au plan interne, il aura à poursuivre le nettoyage politique jusqu’à la disparition de toute activité partisane indépendante dans le pays. 

La question du Sahara occidentale sera considérablement réactivée. 

Un Maroc stable, émergent, soutenu par Israël et la France, et les Etats-Unis (si Trump est élu) est un cauchemar pour les stratèges de l’état-major. 

Les Sahraouis, les islamistes et les séparatistes Touaregs se verront mobilisés pour semer de l’inquiétude et prendre des options.

 La Russie, la Turquie et la Corée du Nord, seront davantage sollicitées pour nous fournir les armes les plus modernes et les munitions nécessaires pour des engagements de forte intensité et de longue durée.


 
 

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