Les petites fiches de Libération
Ce n’est plus du journalisme, c’est de la délation.
Un art perdu, certes, mais dont certains semblent vouloir ranimer la flamme à force de zèle idéologique.
Dans les colonnes de Libération, naguère journal de Sartre et des luttes ouvrières, s’étale désormais à intervalles réguliers une liste noire de militants, élus ou sympathisants du Rassemblement national, coupables d’avoir émis, un jour ou l’autre, une opinion hors du cadre.
On n’investigue plus, on fiche. On ne débat pas, on surveille. On ne contredit pas, on dénonce.
Les journalistes de Libé ne s’en cachent même plus.
Ils traquent la phrase de travers, le commentaire déplacé, le « like » suspect, avec une application maniaque qui fleure bon les méthodes du KGB.
Christian Pérez, Michèle Alozy, Jean-Yves Le Boulanger, autant de noms épinglés, non pour leurs projets politiques ou leur action publique, mais pour des propos tenus parfois des années auparavant sur des réseaux sociaux.
Ce ne sont pas les idées qui sont contestées, mais les individus eux-mêmes qu’on tente de marquer d’une tache indélébile.
Il s’agit moins ici de protéger la démocratie que de maintenir un certain monopole moral, en excluant les mal-pensants du champ du dicible.
On se croirait dans une république populaire, où la pensée officielle s’impose à coups de dénonciations publiques.
Car la gauche française a toujours eu la passion des dossiers.
Des petits papiers, des fiches, des archives : c’est sa manière de gouverner le réel.
On se rappelle les charrettes du Comité de salut public, les soupçons des cellules staliniennes, la terreur douce des comités de vigilance.
À droite, on pense, on agit ; à gauche, on classe, on suspecte, on purge.
Le réflexe bureaucratique est ancré jusque dans les mœurs éditoriales : à chaque élection, les chiens de garde du progressisme ressortent leurs malles de citations approximatives, de captures d’écran et de confidences anonymes.
Le soupçon devient système.
Et puis, au sein même du Rassemblement national, il est des personnages falots dont la mission semble être d’alimenter la meute.
Jean-Philippe Tanguy, député à l’air sévère de surveillant de pensionnat pour jeunes garçons, en est l’exemple le plus parfait.
Toujours prompt à se désolidariser, à se dresser sur ses ergots dès qu’un propos sent le soufre, il donne volontiers des gages à la presse de gauche, comme pour s’excuser de siéger là où il siège.
Le type même du « collabo mou », pour reprendre la formule de Roland Jaccard.
Lorsque Libération sort ses fiches, il est déjà en train d’approuver mollement, tête basse et mine grave, tel un Caius Détritus perdu dans la Rome des modernes, heureux de nuire aux siens tant qu’il peut gagner le regard approbateur de ses adversaires.
Il ne combat pas la police de la pensée, il l’assiste.
À sa manière, discrète et veule, il en est le supplétif.
Et pourtant, que trouve-t-on dans ces fameuses révélations ?
Quelques propos grossiers, des maladresses, des likes douteux sur Facebook.
Voilà donc ce qui fait trembler la République ?
Un emoji « mort de rire » apposé à une image provocatrice, un hommage maladroit à un vieux royaliste ou à un dictateur sud-américain, quelques relents soraliens dans les tweets d’un militant de province.
Ce n’est plus du maccarthysme, c’est du vaudeville.
Quand Patrick Yvars, ancien commissaire de police, conteste la version officielle du 17 octobre 1961, il n’ouvre pas des camps, il exprime une opinion et en démocratie, cela devrait suffire à le protéger.
Et si Thibaut Monnier mentionne Pinochet, ce n’est pas qu’il rêve de miradors, mais peut-être qu’il lit autre chose que les brochures de Terra Nova.
La vérité, c’est que ces dénonciations en boucle trahissent une faiblesse.
Elles révèlent le manque de munitions idéologiques de ceux qui les brandissent.
Faute de démonter les arguments du RN, on préfère discréditer ceux qui les formulent.
Faute de combattre sur le terrain du réel — insécurité, identité, pouvoir d’achat — on reste dans l’incantation morale, cette morale de pacotille, réduite à des indignations rétrospectives et à des micro-scandales.
On tente de masquer par la chasse aux sorcières une incapacité à comprendre ce qui travaille la société française en profondeur.
Il est d’ailleurs significatif que la société, elle, n’y prête guère attention.
Ce ne sont pas les colonnes de Libération qui structurent l’opinion du peuple, mais les faits qu’il expérimente chaque jour : sentiment d’abandon, violences endémiques, immigration incontrôlée.
C’est cette réalité-là, brute, sans vernis, qui forme la base des convictions populaires — pas les indignations artificielles des éditorialistes.
Les chiens de garde peuvent bien aboyer à chaque « dérapage », la caravane passe.
Elle passe vite, et elle ne regarde plus derrière elle.
Comme aurait pu écrire, il existe des époques où les forces du devenir sont telles que les remparts du passé se fissurent de toutes parts.
Ceux qui croient préserver l’ordre ancien à coups de listes d’infamie n’ont pas compris que la digue cède déjà sous la pression du réel.
Leur zèle ne retarde pas l’histoire : il la rend simplement plus méprisante à leur égard.
Par Balbino Katz — chroniqueur des vents et des marées —
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