Juillet 2022, au café de Flore.
– Début du mois de juillet, juste avant la canicule. La température
avoisine tout de même les trente degrés. Il est 14 h 15, je suis assis,
comme à mon habitude, sous la véranda du café de Flore, où je termine de
déjeuner. J’échange quelques plaisanteries avec le remarquable et
unique Monsieur Bernard lorsque mon téléphone se met à vibrer. C’est une
journaliste de Sud Radio qui souhaite obtenir un commentaire politique
pour le caler en ouverture du journal de la matinale du lendemain. Le
thème : la motion de censure déposée par la Nupes… Je décline poliment.
Je serai déjà sur la route des vacances. Je lui donne rendez-vous à la
rentrée… même si je sais que pour moi, il n’y aura pas de rentrée. Il
n’y en aura plus. J’arrête le « commentaire politique ». Fini les
chroniques dans Valeurs actuelles, dans L’Incorrect, ou dans la RPP (Revue politique et parlementaire). Fini les débats du lundi sur Sud Radio, fini les interviews politiques,
BFMTV, Radio Notre Dame, France Info, France Culture… J’arrête. Je
décide, en cet été 2022, de revenir à mes premières amours, les lettres
et les arts…
Un peu plus loin, sur ma gauche, deux femmes, jolies,
bourgeoisement vêtues, la trentaine bien entamée, aussi blondes l’une
que l’autre, que j’avais tout d’abord crues américaines, parlent
politique. « Elle n’aurait pas pu être élue, de toute façon… » – « Tu te
rends compte, répond l’autre, l’œil inquiet, la bouche crispée, cela
aurait signifié la ruine du pays… » Et la première de poursuivre, du tac
au tac : « Et celle de la démocratie ! » Trois mois après l’élection
présidentielle, les Français en parlent encore… Certaines lignes ont
bougé, surtout après l’élection de 89 députés du Rassemblement national
au Parlement – hors scrutin proportionnel. L’inquiétude de la classe
bourgeoise demeure palpable.
J’écoute d’une oreille distraite leurs propos de table et je m’interroge
: Marine Le Pen aurait-elle réellement pu ruiner le pays et malmener la
démocratie ?
Je veux dire, plus que ne l’a fait Emmanuel Macron ? Je
suis davantage inquiet d’une démocratie fragmentée, incapable d’aucune
alternance, ni à droite ni à gauche. « Tu imagines, l’extrême droite au
pouvoir ? », reprend alors la première. « Ouh là là, mon Dieu, non. Tout
mais pas ça ! » L’extrême droite ! Le mot est lâché ! Le voilà l’ogre
politique qui effraie tout le monde.
Elles se lèvent, me saluent d’un petit sourire élégant et discret, et se
dirigent vers la porte sans se douter un instant que c’est à un
chroniqueur d’extrême droite qu’elles viennent de l’offrir, ce sourire
courtois et innocent, à un de ceux qui réfléchissent à la « ruine du
pays » et à la « guerre civile ». Le téléphone vibre de nouveau.
C’est
un ami, journaliste américain, Robert W., de passage à Paris. Il est à
deux pas. Je l’invite à me rejoindre. À peine assis, une fois passées
les formules de sympathie, ses premiers mots sont pour Éric Zemmour. Le
feu follet, comme il l’appelle. Ses propos résonnent dans tout le café
(les Américains parlent toujours très fort, sans que je comprenne bien
pourquoi…)
– Je t’ai lu tu sais, durant cette campagne, depuis Washington. Tu n’as finalement pas beaucoup écrit sur lui ? Pourquoi ?
Il ne me laisse pas le temps de répondre et enchaîne :
– Il faut que tu écrives un livre. C’est important. Il faut un debrief.
Ce qui s’est passé en France durant cette campagne est décisif. Il y a
eu un tournant. Malgré l’échec, malgré les échecs, il y a eu un
tournant.
– Un livre sur Zemmour ? Ah non, Bob, je n’ai pas envie du tout… En
plus, il est sympathique comme garçon… Je n’ai absolument pas envie de
le saquer.
– Si, tu dois le faire. Tu dois le saquer. Ce n’est pas lui, ce sont les
idées. Et pas seulement sur Zemmour. Tu dois écrire sur la droite après
Zemmour.
– J’ai écrit. Dans la RPP, j’ai publié trois papiers intitulés : « À
droite, tout doit disparaître 1. Reconquête 2. LR 3. Le RN. »
– Oui, je sais, j’ai lu ça aussi. Ce n’est pas suffisant. Il faut que tu
développes, que tu creuses, que tu expliques. Et surtout, il faut que
tu parles de l’extrême droite.
Je lui raconte l’histoire des deux bourgeoises, aussi charmantes
qu’effrayées à l’idée que l’extrême droite prenne le pouvoir en France.
– Mais c’est ça ton sujet. C’est Marie-Chantal ! Il faut que tu
expliques à Marie-Chantal ce qu’est l’extrême droite française...
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