[LIVRE]
Le rap gangrené par la mafia ?
Ce livre qui brise les tabous !
L’Empire ? Le titre de l’essai publié chez Flammarion par trois journalistes, Paul Deutschmann (rédacteur en chef du site Africa Intelligence), Simon Piel (journaliste au Monde), et Célia Lebur (auteur de Mafia Africa), porte bien son nom, évoquant cet « empire » informel mêlant intérêts criminels et musicaux.
Une enquête au cœur du rap français.
D’un côté, la DZ Mafia, d’obédience algérienne, le Clan Yoda, issu des Comores, et la Black Manjak Family, venue de l’Afrique subsaharienne.
De l’autre, la musique ; le rap, évidemment, la plus vendue et écoutée en France, qui brasse des dizaines de millions d’euros.
De quoi attiser des convoitises de plus en plus voraces.
Déjà, du temps de Frank Sinatra…
Rien de neuf, finalement, sous le soleil noir du show-biz, sachant que de telles accointances ne datent pas d’hier.
Un certain Frank Sinatra en savait quelque chose, lui dont les liens avec le syndicat du crime ne sont plus à démontrer depuis longtemps…
Au Royaume-Uni, il y eut les légendaires jumeaux Kray, anciens boxeurs devenus propriétaires de nombreuses boîtes de nuit, longtemps fréquentées par les stars du moment, dont… Frank Sinatra.
Condamnés à la prison à vie en 1969, leurs liens avec le Swinging London étaient déjà de notoriété publique.
On se doute qu’ils n’étaient pas seulement motivés par le seul amour de l’art.
Les Beatles et les Rolling Stones en savaient quelque chose, même s’étant toujours tenus à l’écart de ces fréquentations douteuses.
De l’autre côté de l’Atlantique, comment faire l’impasse sur Morris Levy, ainsi décrit par ces deux institutions du spectacle que sont Billboard et Variety comme « l’une des figures les plus controversées et flamboyantes de l’industrie du disque » ou tenu, de manière plus abrupte, pour « la Pieuvre », autre petit nom de la mafia ?
Au zénith de sa gloire, dans les années soixante, celui qu’on surnommait « Moishe » est propriétaire de près de cent entreprises différentes, allant des usines de pressage de disques et de nombreux labels musicaux, dont Roulette Records, à des droits d’éditions estimés à plus de cinquante millions de dollars.
En 1990, il est inculpé à la suite d’une enquête du FBI portant sur « une infiltration présumée du crime organisé dans l’industrie du disque ».
Bref, l’exemple vient de haut et, surtout, de loin.
USA : les premières guerres du rap…
Aux USA surviennent de nouvelles musiques, de nouvelles mafias, avec l’explosion du rap, et toujours les mêmes liens incestueux.
Pour en savoir plus, il n’est pas inutile de se reporter au très exhaustif essai de Randall Sullivan, L.A.Byrinthe.
Là, on y apprend les dessous des guerres du rap, entre côte est et côte ouest, de New York à Los Angeles, sur fond de corruption généralisée, de policiers qui, à leurs heures perdues, assurent la protection rapprochée de tel ou tel rappeur richissime et de propositions qui, on le sait, « ne sauraient être refusées ».
Quelques dizaines de morts plus tard, l’enquête piétine encore.
Les indignations de Gérald Darmanin…
Très logiquement, tout cela ne pouvait arriver qu’un jour ou l’autre en France.
Et ce, à des niveaux plus qu’inquiétants, tel que révélé par cet essai des plus inflammables.
Ainsi, nous sommes le 8 mai 2024.
La flamme olympique est attendue à Marseille.
Qui la porte ?
Jul, le rappeur le plus en vue de la ville.
Installé au premier rang des VIP, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, s’étrangle, avant de s’exclamer : « Je ne veux plus jamais être mis devant le fait accompli. »
Mais il a beau fulminer, l’ordre vient de haut. De l’Élysée.
Encore une idée lumineuse d’Emmanuel Macron qui, fan de l’Olympique de Marseille, ne voit pas le problème que peut poser la personnalité de Jul (Julien Mari, à l’état-civil), d’origine corse - détail qui n’est pas sans importance, on le verra bientôt.
Mais Darmanin, lui, sait où il est, le problème : les liaisons dangereuses entre rap et narcotrafic.
D’ailleurs, Jul ne s’éternise pas au pince-fesses donné, le soir même, en son honneur.
Il a beau être flanqué d’une garde rapprochée des plus dissuasives, on ne le sent pas à l’aise.
Un trouble manifeste qui n’étonne que ceux qui ne sont pas dans la confidence.
En effet, la star aux millions d’albums vendus, celui qui emplit les stades, craint pour sa vie.
Racket à tous les étages…
Retour en arrière.
L’homme qui découvre Jul est un certain Karim (dont les auteurs du livre ne divulguent pas le patronyme), issu d’une fratrie bien connue des services de police, pour reprendre l’expression consacrée.
Mais Karim, sortant tout juste de prison et ayant enterré plusieurs de ses proches, victimes de règlements de comptes entre gangs, entend désormais faire dans l’honnête en s’improvisant producteur et patron de label.
C’est donc à lui que Jul doit son fracassant début de carrière.
Seulement voilà, le contrat qu’il signe, parfaitement léonin, ne lui laisse qu’une maigre part des fortunes qu’il commence à engranger.
Comment le renégocier ?
C’est d’autant plus difficile que ce bizness, même si d’apparence officielle, demeure singulièrement opaque.
Et quand, dans ce milieu, on entend reprendre sa liberté, ce ne sont pas toujours les avocats qu’on appelle en premier…
D’où de longs mois durant lesquels l’artiste tente de passer sous les radars, vivant dans une cabane en plein bois, perdue en pleine cambrousse provençale.
La délivrance arrive enfin quand Jul parvient à négocier avec ses vrais patrons, commanditaires réfugiés, qui au Maroc, qui à Dubaï.
Le fait qu’un de ses oncles, corse donc, n’est pas totalement un enfant de cœur aide évidemment à la manœuvre.
D’autres rappeurs, dont Werenoi ou le duo PNL, connaîtront les mêmes « désagréments ».
Car si Jul est protégé par ses amis corses, eux ne bénéficient pas de soutiens aussi « convaincants ».
Le principal levier de chantage ?
Leur sécurité.
Car il y a toujours les « copains d'avant », ceux de la rue, pour venir leur rappeler « d’où ils viennent » et que le gâteau est désormais assez gros pour être partagé.
Après tout, les sacrifices financiers que consentent certains patrons de boîtes de nuit, ceux du rap ne pourraient-ils pas, eux aussi, s’y résoudre ?
Et c’est là que plane encore l’ombre décidément incontournable de la DZ Mafia, du Clan Yoda et de la Black Manjak Family…
Le silence gêné des multinationales du disque…
Et les maisons de disques, dans tout ça ?
À capitaliste, capitaliste et demi, les voyous des cités étant capables d’en remontrer à leur confrères des beaux quartiers.
Autrefois, les précurseurs du rap, IAM ou MC Solaar, étaient assujettis aux règles du show-biz à l’ancienne – à peu près 10 % de l’argent pour eux et le reste pour leurs employeurs.
Mais leurs successeurs, eux, ont appris à compter, préférant livrer un produit fini et ne concédant aux multinationales (Universal, Sony et Warner) que de seuls contrats de distribution – à peu près 10 %, une fois encore.
Leurs représentants français aimeraient bien se rebiffer.
Mais ils ne sont pas les derniers à mourir de peur, n’ayant accepté de témoigner dans cet ouvrage que sous couvert d’anonymat.
Logique : un rival de deal œuvrant dans la musique peut se buter aussi facilement qu’un adversaire officiant dans le deal de drogue.
Nous en sommes là et cela ne remonte pas à hier, tel que plus haut expliqué.
Une seule différence, peut-être : les mafias de jadis avaient tout de même des goûts plus sûrs en matière musicale.
Un affaissement du niveau culturel généralisé auquel Emmanuel Macron, pourtant premier des Français, n’échappe manifestement pas.




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