TRIBUNE LIBRE ET POINT DE VUE .....
Le droit, la force et la réalité: le sens politique du conflit israélo-palestinien
Une tribune libre de Charles Rojzman
Israël / Palestine: l’Histoire n’obéit pas à des logiques morales ou théologiques; elle est tragique, rappelle Charles Rojzman dans ce texte.
Alors que les Israéliens luttent pour exister dans le réel, les Palestiniens se consument dans le mythe, la défaite et la revanche…
« L’histoire n’est pas le règne du bien, mais celui du possible. »
— Raymond Aron
« Ne pas se moquer, ne pas déplorer, ne pas détester, mais comprendre. »
— Spinoza
Le conflit israélo-palestinien est devenu le théâtre symbolique de toutes nos confusions morales et politiques.
Il ne s’agit plus seulement d’un affrontement territorial : c’est une lutte d’interprétations, un combat entre le mythe et le réel.
Chaque camp revendique une légitimité absolue, enracinée dans la mémoire, la foi ou la souffrance, et chacun refuse d’admettre que l’histoire ne s’écrit pas selon les droits mais selon les forces.
Ce conflit traverse jusqu’au cœur du monde juif.
Certains défendent Israël avec une ardeur intransigeante, comme si le destin du peuple juif tout entier dépendait de chaque opération militaire.
D’autres, plus rares, s’identifient aux Palestiniens, croyant prolonger ainsi la vocation prophétique d’un judaïsme moral, universel, héritier de l’expérience des persécutions.
Mais tous, à des degrés divers, sont pris dans la même tension : celle d’un peuple à la fois dans le mythe et dans le réel.
Car nul peuple n’a autant incarné cette ambivalence.
Les Juifs portent dans leur histoire le souvenir d’une promesse divine, d’une élection fondatrice — le mythe d’un lien indestructible entre un peuple et une terre.
Mais ils sont aussi, depuis des millénaires, le peuple de l’exil, de la dispersion, de la négociation avec le monde tel qu’il est.
Ils ont appris à vivre sans pouvoir, à survivre par l’intelligence, la mémoire et la parole — c’est-à-dire à inscrire la transcendance dans le réel.
Leur retour sur la scène politique du monde, avec la création d’Israël, les a contraints à affronter à nouveau cette dualité : redevenir un peuple d’histoire, et non seulement un peuple de mémoire.
C’est pourquoi l’argument religieux ou moral ne peut suffire à justifier Israël.
Invoquer la promesse biblique, c’est oublier que l’histoire ne se fonde pas sur les textes mais sur les faits.
Les Arabes, de leur côté, revendiquent à leur tour une antériorité millénaire, tout aussi mythifiée.
Ainsi, les deux se font miroir : chacun s’appuie sur la transcendance pour nier la légitimité de l’autre.
Le débat s’enlise dans le sacré, et le politique disparaît.
Or l’histoire obéit à une autre logique.
Elle n’est pas morale, elle n’est pas théologique : elle est tragique.
Les nations naissent, vivent et meurent par la force, par la victoire ou la défaite, par le déplacement et la reconstruction.
C’est là le mouvement même du monde.
Si l’Alsace est française, c’est parce que l’Allemagne a perdu.
Si la Prusse orientale et la Silésie sont devenues polonaises, c’est parce que les vainqueurs de 1945 en ont décidé ainsi, et que des millions d’Allemands ont dû quitter leurs maisons, leurs chemins de fer, leurs cimetières.
Les Grecs d’Asie Mineure furent expulsés d’Anatolie malgré deux millénaires de présence.
Les Juifs des pays arabes, du Maroc à l’Irak, durent fuir après 1948, abandonnant leurs biens, leurs langues, leurs souvenirs.
Partout, l’histoire a tranché sans pitié. Aucune de ces tragédies n’a trouvé de réparation, mais toutes ont trouvé un avenir : la reconstruction ailleurs, autrement.
Le droit vient après la victoire, jamais avant.
Il ne crée pas la légitimité, il la consacre.
C’est pourquoi la question israélo-palestinienne ne peut se résoudre par la morale.
Elle suppose la reconnaissance de cette loi tragique : la politique n’est pas la recherche du bien, mais l’art de faire tenir ensemble les survivants de l’histoire.
Israël incarne, mieux qu’aucun autre pays, ce paradoxe : un peuple ancien, façonné par le mythe, qui a su faire retour dans le réel.
Il vit dans la contradiction entre la promesse et la puissance, entre la mémoire et la souveraineté.
C’est là sa grandeur et son tourment.
Ses ennemis, eux, refusent le passage au réel : ils préfèrent la pureté de la cause à la complexité de la vie.
Ils font de la défaite un destin et de la haine une identité.
Ce conflit ne se réduit donc pas à une opposition entre deux peuples, mais entre deux rapports au monde : ceux qui acceptent la réalité tragique de l’histoire et ceux qui s’enferment dans l’innocence imaginaire des victimes éternelles.
Il ne s’agit pas d’excuser Israël ni de condamner les Palestiniens, mais de voir ce que chacun représente dans le théâtre du monde : l’un qui lutte pour exister dans le réel, l’autre qui se consume dans le mythe.
Sortir du religieux, retrouver le politique
Le drame de notre temps tient à la confusion du religieux, du moral et du politique.
Nous persistons à croire que la justice des causes peut suppléer à la compréhension des faits.
Mais l’histoire ne se rédime pas : elle s’assume.
Tant que la paix sera pensée comme réparation, elle restera prisonnière de la faute et de la vengeance.
Le politique commence là où cesse la théologie de la souffrance.
Il suppose qu’on regarde les peuples non pour ce qu’ils ont subi, mais pour ce qu’ils font.
Israël n’est pas innocent, mais il est vivant.
Et c’est peut-être là sa véritable justification : il incarne cette alliance difficile entre le mythe et le réel, entre la mémoire et l’action.
Tant que l’humanité cherchera dans la religion ou la morale la solution de ses conflits politiques, elle restera dans cet âge infantile où l’on croit encore que Dieu ou la pureté peuvent effacer la tragédie du monde.
La maturité des peuples commence quand ils acceptent d’habiter le réel — même quand celui-ci dément leurs rêves.
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