Lettres de 1914-1918

Depuis quelques années, à défaut d’égrener des rimes – dixit « Ma Bohème », de Rimbaud –, je moissonne des cartes postales anciennes, avec un intérêt particulier pour celles concernant la Première Guerre mondiale, qu’elles proviennent du front, de l’arrière ou encore qu’elles soient écrites après le conflit au cours de visites sur les champs de bataille.
Certaines de ces cartes sont vierges, d’autres pas.
Ce sont précisément ces dernières qui ont un intérêt non seulement historique mais encore authentiquement émotionnel.
Aussi, à l’occasion du 11 Novembre, je voulais vous en faire partager quelques-unes, un peu à la manière de l’excellent ouvrage Paroles de poilus, de Jean-Pierre Guéno.
Précision importante, le courrier des poilus demeure très laconique sur la réalité terrible de la guerre.
La raison en est simple : la censure.
En effet, la correspondance était alors très surveillée.
Il s’agissait de ne pas saper le moral de la Nation en décrivant la situation telle qu’elle était, c’est-à-dire effroyable.
Toutefois, on devine les souffrances des poilus au détour d’une phrase, comme vous pourrez le constater.
Dernier point : pour plus de lisibilité j’ai corrigé les fautes d’orthographe et, parfois ajouté des mots manquants entre crochets, mais j’ai laissé en l’état les tournures de phrases, écrites souvent dans un état d’épuisement physique et nerveux extrêmes.
Quant au courrier reçu, c’était pour eux un rayon de soleil, vous vous en doutez.
***

(À Mr Chatelain – 15e Territorial – 4e compagnie)
« Novembre 1914 (le jour est illisible).
Mon cher Lucien.
Merci de tes cartes. Nous sommes contents d’avoir de tes nouvelles. Nous te souhaitons bon courage avec l’espoir que nous nous reverrons bientôt.
Toute la famille se porte bien. Nous travaillons toujours un peu.
À bientôt de tes nouvelles de ta part. Nous t’embrassons de tout cœur. Ta mère. »
***

(À madame Lejeune à Courcelles par Blassac – Creuse)
« Le 4 novembre 1914.
J’ai reçu tes colis ce matin mais je ne reçois pas de lettres car j’ai changé de section.
C’est 2ème maintenant.
J’ai plus guère d’argent, tu m’enverras un billet [en] lettre recommandée.
Pour le moment j’ai ce qui me faut comme effets et quand j’en aurai besoin je te le dirai.
Je vous envoie une vue des pays où nous sommes.
Tu vois c’est charmant.
Peut-être j’aurai reçu quelque chose quand tu recevras ma carte.
Quant aux mandats carte pas de nouvelles. Votre fils qui vous embrasse.
Bonjour à tous.
Raoul Lejeune. »
(On notera le caractère macabre de la carte postale – et que relève ironiquement le soldat par le mot « charmant » –, exhibant des soldats allemands morts, reconnaissables à leurs bottes.
Notons que jamais une carte représentant des cadavres de soldats français n’aurait été autorisée.)
***

(À Madame ? Thierré Propre – Moulineaux par gr Couronne)
« Le 5 août bre 1915.
Ma chère tante.
J’espère que vous êtes toujours en bonne santé.
Quant à moi je suis tout à la joie d’avoir près de moi ma chère Marguerite et mon cher petit Jean, qui se joignent à moi pour vous embrasser de tout cœur.
Votre neveu Léon (un mot et nom de famille illisibles). »
(La carte est tamponnée par le service de santé – hôpital militaire du Neubourg dans l’Eure.
L’abréviation « bre » à la suite du chiffre du mois peut laisser supposer que le poilu a confondu août avec septembre**.
Quoi qu’il en soit c’est un blessé de guerre.)

***

« Le 26 mars 1916.
Chère (mot illisible).
Deux mots pour vous dire que je suis toujours en bonne santé.
Aussi je désire que ma carte vous trouve en bonne santé à son arrivée ainsi que M et Mme Gaudry et Julien. J’ai reçu votre carte hier et merci.
Nous sommes toujours au repos et j’espère que ça va continuer un petit moment comme cela.
Maintenant je ne vois plus grand-chose à vous dire que de vous envoyer toutes mes amitiés de bien loin.
Un ami qui vous sert cordialement la main et bien le bonjour à M et Mme Gaudry et Julien.
Émile. »
(Lettre ironiquement écrite sur une carte commémorant les trois sièges de la ville de Belfort au XIXe siècle, dont le dernier de 1870-1871 par les Prussiens.)
***

« Le 14 février 1917.
Chère Nièce.
Quelques mots pour te faire savoir que la santé est bonne. Je souhaite que tu sois ainsi. Tu me donneras l’adresse de ton frère. Bonjour à ton père et mère.
Ton oncle qui t’embrasse.
Nanot F. »
(La guerre n’est pas finie, il est inscrit sur la carte : « La Grande Guerre 1914-17 ».)
***

(Nom illisible – 15e infanterie – 9e compagnie – secteur postal 16° 134)
« Le 21 février 1917
Monsieur et Mesdames.
J’ai reçu votre bonne lettre avant-hier, laquelle je m’empresse de répondre puisque c’est avec plaisir que j’ai vu que votre santé était bonne et que France reprenait ses forces.
Pour moi je suis comme vous en parfaite santé.
Pour l’instant je suis au repos mais je ne sais pas pour combien de temps.
La durée sera toujours trop courte d’un côté. Je reçois des nouvelles de chez nous assez souvent. Tout marche à peu près.
Mon frère Maurice doit être en permission de 7 jours ces jours derniers.
`Pour autre rien de nouveau, je suis en bonne santé.
Je désire que ma carte vous trouve tous ainsi.
À France je lui sers affectueusement la main et à vous mes baisers les plus affectueux. »
***

« 19 avril 1918
Cher filleul.
Je réponds à ta carte du 29 mars qui m’a fait plaisir de te savoir en bonne santé.
Moi aussi pour le moment la santé est bonne aussi.
Je te dirai qu’en ce moment je me trouve en grand repos au camp.
Depuis mon arrivée en Orient on avait pas quitté le front.
Tu parles d’une cuite qu’on a pris les premiers jours car là-haut on en trouvait pas.
Enfin pour le [moment] ça va très bien.
Je serai content de voir ma famille mais d’un côté je suis mieux ici que sur le front là-bas. Je finis en te serrant la main.
Pepiot François. »
(Destinataire inconnu – La carte est écrite par un soldat français depuis Salonique et représente le général Sarrail avec ses officiers d’ordonnance.)
***

« Verdun, le 8 mai 1918.
Chère Julie.
Merci de votre jolie carte qui m’a fait un grand plaisir, car ça rappelle les bons souvenirs du pays et de la famille, quand on est isolé, quand on est si loin les uns des autres.
Lucien m’a écrit ces jours-ci, il me dit que ça va mieux.
Moi aussi j’ai été malade, j’ai eu un commencement d’angine mais ça va mieux.
Vous embrasserez bien Marcel qui doit s’ennuyer de son oncle qui ne le fait plus enrager.
En attendant le plaisir de vous voir je vous embrasse très fort.
Émile Leroux.
Je ne sais pas si Oscar serait parti au front car je lui ai écrit il y a quelques jours et il ne m’a pas répondu. »

« Verdun, le 21 juillet 1918
Cher frère.
Merci de ta chère petite carte qui m’a fait un grand plaisir d’avoir de tes nouvelles, car je m’ennuyais de ne pas en avoir, car tu me répondais aussi.
Je te dirais que c’est tout de même malheureux et bien pénible de venir si près de l’un et l’autre et ne pas pouvoir se voir.
Mais je suis content pour toi que tu as pu voir ta femme et passer de bons moments pour oublier les jours passés de tristesse et aussi pour Marcel qui a dû être bien content d’embrasser son père et toi de l’embrasser ton cher enfant.
Je suis en bonne santé.
Ton frère qui t’embrasse de bien loin.
Émile Leroux. »
(Si la bataille de Verdun commence le 21 février 1916 et s’achève le 18 décembre de la même année, des combats s’y déroulent avant et après, avec une bien moindre intensité évidemment.
Même chose pour Le Chemin des Dames.
Par exemple, c’est en mars 1916 que le poète Guillaume Apollinaire est blessé à la tête dans ce secteur du front alors que la bataille sinistrement célèbre débutera le 16 avril 1917.)
***
L’arrière, quant à lui, semble s’accommoder de la guerre qui dure, oubliant que sur le front des hommes meurent pour lui : « La guerre n’était plus considérée comme un fléau ; de temps en temps, on apprenait bien que le fils d’Untel ou l’époux d’Une
Telle était mort déchiqueté, brûlé, assommé, étouffé par là-haut, dans les tranchées lointaines, mais ces morts inévitables étaient considérés comme la rançon de la prospérité générale en attendant la victoire finale »
(Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918).
Voir ce courrier d’un homme de l’arrière qui paraît si désinvolte, écrit qui plus est sur une carte humoristique :

« 18 mars 1918.
Mon cher Vaisse.
J’ai été à la foire de Lyon, cela ne vaut pas à Paris.
On a été secoués vendredi, les deux derniers sont malades, ils ont eu froid dans la cave.
On ne s’en fait pas. Vous ai-je dit que Jalaben (nom difficilement lisible) est venu me voir ?
J’ai vu à Pontoise l’officier qui était à Clermont, qui vous avait loué son appartement.
Je ne me rappelle plus son nom, il est à la 5e division de cavalerie, qui y est au repos.
Recevez mes nombreuses amitiés.
(Signature illisible)
Faudra m’apporter des carreaux huilés si cela continue, il y en a eu de cassés vendredi dans la maison. »
***

Puis le temps passe et les lieux de mémoire deviennent des lieux de promenade :
(À Mlle J. Conchard – Le Châlard – Haute-Vienne)
« Souvenir d’une promenade.
Christiane. »
Nous sommes alors en juillet 1935, dans quatre ans la Seconde Guerre éclatera…
À la mémoire de tous ceux de 1914-1918…
Par Charles Demassieux
Source : https://ripostelaique.com/lettres-de-1914-1918.html
(** Un lecteur, Henri, a donné cette explication : « « L’abréviation « bre » à la suite du chiffre du mois peut laisser supposer que le poilu a confondu août avec septembre.
» Non ! Ce n’est pas une erreur.
Jadis, les gens écrivaient les mois en chiffres romains (II pour février, VI pour juin, VIII pour août, et à partir de septembre VIIbre (car VII = « sept »), octobre VIIIbre (car VIII = « huit », « octo » en latin), novembre IXbre, décembre Xbre (car X = dix », « decem » en latin).
Je le sais pour avoir consulté moult et moult états-civils lors de recherches généalogiques. »)
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