mardi 21 novembre 2023

LE WOKISME EST-IL LE CHEVAL DE TROIE DE L' ISLAMISME ? ( CLÉMENCE DE LONGRAYE )

 

« Le but des woke n’est pas de défendre des minorités mais de déconstruire »

Excellente démonstration des risques encourus par notre société faiblarde face à l’idéologie du wokisme

 

Par Clémence de Longraye


Avec Comprendre la révolution woke (Gallimard), Pierre Valentin livre une brillante analyse du wokisme. 

Revenant aux origines du mouvement woke, le jeune essayiste propose une définition claire du mouvement, explique sa genèse et avertit sur ses risques. Entretien.

Clémence de Longraye. 

Depuis le début du conflit israélo-palestinien, une partie des étudiants prend la défense de la cause palestinienne, allant parfois jusqu’à défendre le Hamas contre Israël. 

Ce 8 novembre encore, à l’ENS, des étudiants organisent une réunion de « soutien au peuple palestinien ». 

Comment analysez-vous ce soutien de la jeunesse woke à la cause palestinienne?

 

Pierre Valentin. 

Tout d’abord, il faut comprendre que, d’après la pensée woke, la figure du Juif est passée de la catégorie de dominé à celle de dominant. 

Selon les théories décoloniales qui occupent une place prépondérante dans le logiciel woke, dès lors qu’Israël – et, par extension, les Juifs – est qualifié de « colon », il est impossible, pour les woke, de considérer les Juifs comme des victimes. 

De plus, on remarque qu’en Occident, les Juifs « se débrouillent mieux que la moyenne », deviennent des « white-adjacent », quasiment des Blancs, et perdent donc symboliquement leur statut de minorité.

 En résumé, les woke avaient le choix entre sacrifier leur théorie et sacrifier leur minorité.

 Ils ont préféré sacrifier les Juifs.

Par ailleurs, le woke, sous l’influence d’Herbert Marcuse de l’École de Francfort, considère que tout est autorisé pour défendre le dominé. 

 Autrement dit, tant qu’on est David contre Goliath, on peut tout faire à Goliath parce qu’on est David. 

On a donc le droit de porter des autocollants parachutistes en référence aux guerriers du Hamas, de ne pas condamner des décapitations de nourrissons ou de participer à des manifestations pro-palestiniennes parce qu’on agit contre le dominant.


 

C. de L. Dans votre essai, vous écrivez que « le wokisme ne cherche pas tant à défendre des victimes qu’à accabler un coupable ». 

Comment cela se matérialise-t-il ?

P. V. Comme on vient de le voir avec la question des Juifs, il est des moments où la défense de la minorité et la défense de la théorie entrent en conflit.

 Dans ces moments-là, je trouve très révélateur que le wokisme choisisse sa théorie plutôt que les minorités.

 Ainsi, pendant longtemps, les woke affirmaient défendre la femme. 

Mais avec l’arrivée du transgenre, ils ont arrêté d’utiliser le mot « femme » pour ne pas froisser les personnes trans et se sont mis à employer des expressions moins valorisantes (personne menstruée, personne avec un utérus…). 

On voit bien là que le but des woke n’est pas de défendre mais de déconstruire. 

En réalité, ce n’est pas un amour du faible ou un amour de l’Autre qui guide leur action, mais le ressentiment à l’égard du dominant.

 

C. de L. Le wokisme n’est-il pas le cheval de Troie de l’islamisme ?

P. V. Il est évident que wokisme et islamisme ne peuvent pas s’entendre sur le long terme. D’un côté, l’islamisme tente d’imposer un mode de vie régi par un code strict. 

De l’autre, le wokisme n’est que négation et déconstruction. 

Pour autant, il existe de nombreux points communs entre les deux mouvements. 

À commencer par une approche très stratégique de l’espace public. Les woke pratiquent le double discours : ce qu’ils vont dire sera compris d’une certaine façon par la plupart des gens et d’une autre par la base militante. 

L’islamisme agit de la même façon avec la taqiya.

Le wokisme, avec sa fascination pour la figure de l’Autre qu’il reporte sur l’islam, est en train de faire de son mieux pour saper les anticorps de l’Occident face à l’islamisation. 

Quand on se plante nous-mêmes un couteau dans le cœur, il ne faut alors pas s’étonner que nos ennemis viennent appuyer dessus. Douglas Murray écrivait : « Tout masochiste finit par trouver son bourreau. » Il semblerait que l’Occident soit en passe de trouver le sien.

 

C. de L. Peut-on dire que la génération woke est une génération du ressenti ?

P. V. Effectivement, les woke vont dénoncer tout ce qu’ils perçoivent comme étant une offense contre une catégorie protégée.

 Mais attention, le ressenti n’est sacralisé que lorsqu’il va dans le sens de la théorie.

 Autrement dit, le ressenti de la mère d’Enzo (adolescent tué pour un « mauvais regard », l’été dernier, NDLR) ou celui de la mère de Lola (fillette torturée et tuée en octobre 2022, NDLR) n’ont pas lieu d’être et sont des ressentis dits « fascistes ».

À ce sujet — [Livre] Le wokisme, cheval de Troie des entrepreneurs islamistes
 

C. de L. Vous parlez d’une « filiation » entre Mai 68 et le mouvement woke. Quel est ce lien ?

P. V. Bien évidemment, il existe des divergences assez significatives entre Mai 68 et le wokisme.

 On est passé de « Il est interdit d’interdire » à tout peut être interdit pour ne pas offenser. Pour autant, on ne peut pas nier le lien entre ces deux mouvements.

Premièrement, les baby-boomers de Mai 68 doivent se demander pourquoi leur génération, qui a été d’une taille et d’une cohérence interne inégalées, s’est effondrée aussi rapidement d’un point de vue idéologique. Ensuite, les générations de Mai 68, quand elles décrivent le wokisme, parlent surtout d’un mouvement puritain. 

Certes, le wokisme est un mouvement puritain. 

Mais pas seulement, c’est aussi un mouvement hédoniste. De plus, quand les soixante-huitards avaient vingt ans, ils théorisaient le « jeunisme », soit le fait que les jeunes avaient toujours raison. 

Aujourd’hui, ils ont plus de cinquante ans et des jeunes leur disent qu’ils ont toujours tort. 

Peuvent-ils s’en plaindre ? Il n’y a rien de plus « boomer » que de dire « OK, boomer », en somme.

 

C. de L. Comment expliquer l’émergence du wokisme à l’aube du XXIe siècle, période pendant laquelle les inégalités n’ont jamais été aussi peu marquées ?

P. V. C’est le paradoxe de l’égalité de Tocqueville. Quand les inégalités se réduisent, alors toutes les inégalités résiduelles apparaissent comme scandaleuses. 

Seuls les pays qui savent ce que signifie le terme « trans » sont accusés de transphobie ; seules les entreprises qui repeignent en juin leur logo aux couleurs LGBT sont accusées d’être homophobes ; seules les nations qui s’agenouillent devant Black Lives Matter sont accusées de racisme. 

On utilise un microscope de plus en plus grand pour analyser un phénomène de plus en plus petit et s’en offusquer en faisant encore plus de bruit.

 

C. de L. L’émergence du wokisme ne s’explique-t-elle pas également par la crise de sens que traverse notre époque ?

P. V. On dit souvent que la nouvelle génération est une génération matériellement très privilégiée, ce qui est vrai. 

Mais on oublie de parler de la crise de sens qu’elle traverse. Cette jeunesse vit dans un monde en grande fragmentation.

 Face à cela, elle retrouve paradoxalement une unité avec le wokisme. Il s’agit d’une unité négative contre un ennemi commun : l’homme blanc hétérosexuel de plus de cinquante ans et catholique.

 

C. de L. Vous soulignez les nombreux paradoxes du wokisme. Ceux-ci ne vont-ils pas contribuer à son autodestruction ?

P. V. Si, je le pense. Mais la question n’est pas : est-ce que le wokisme s’autodétruira, mais quand ? 

Toutes proportions gardées, le communisme aussi était voué à imploser sous le poids de ses contradictions, mais beaucoup auraient préféré que ce soit avant les goulags.

 On peut croire que le mouvement woke va s’autodétruire, mais quels en seront les dégâts ?

 Aujourd’hui, par exemple, on préfère que nos mathématiques soient décolonisées, plutôt qu’elles soient exactes. Mais alors, comment nos avions ou nos ponts tiendront-ils, avec des mathématiques décolonisées ? Le serpent se mord la queue mais nous l’avons autour du cou…

C. de L. Que peut-on proposer contre le wokisme?

P. V. Il y a une soif spirituelle qu’on ne peut pas négliger. 

On ne peut pas se contenter de la négation de la négation. 

Il faut proposer une alternative spirituelle, un récit commun qui offre une belle vision du bien, du vrai et du juste, et pas seulement de la rationalité.

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Boulevard Voltaire

 
 
 
 

 

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