Il existe des vérités politiques que l’on ne découvre jamais vraiment dans le bruit métallique des plateaux télévisés, mais dans le silence prosaïque d’une cuisine.
C’est en tout cas là que je me trouvais, ce matin, en malaxant un jambon persillé à la manière bourguignonne, dans cette vapeur de gelée tiède où les souvenirs flottent comme des feuilles de laurier.
À côté de moi, posé sur la table en bois, mon ordinateur affichait l’article du Point consacré à Nicolas Battini, à son alliance naissante avec le Rassemblement National, et à ce basculement corse que Paris regarde sans comprendre.
Il y a, dans cette affaire, une intelligence stratégique que peu de commentateurs saisissent, faute de connaître la Corse autrement que comme un décor de vacances.
Nicolas Battini et ses compagnons ne se trompent pas: la Corse vote massivement à droite lors des élections présidentielles ou législatives, mais sa politique locale reste dominée par une mouvance nationaliste dont la fragmentation interne a affaibli l’efficacité.
Chercher un effet de masse, une crédibilité administrative, une capacité à peser dans les institutions, n’est pas un reniement, c’est un retour à la raison.
L’île, depuis trop longtemps, se contente de symboles, alors que le pouvoir réel s’exerce dans les exécutifs, dans les budgets, dans les alliances et les coalitions.
Ce rapprochement avec le RN n’est pas un accident, c’est l’aboutissement d’une analyse froide: il n’existe plus, aujourd’hui, de majorité possible en Corse sans un parti nationaliste fort.
Les nationalistes corses le savent.
Le RN le découvre.
Et c’est précisément ce qui fait de l’accord Battini, non un détail local, mais un laboratoire politique.
D’un côté, un mouvement corse qui cherche une colonne vertébrale, une stabilité électorale, une visibilité nationale.
De l’autre, un parti jacobin par tempérament, régionaliste par accident, et qui rêve depuis vingt ans d’exister sur une terre qui lui résistait.
Cette fois, la greffe prend, car chacun corrige ses défauts, l’un la francophobie traditionnelle du nationalisme corse et l’isolationnisme, l’autre son jacobinisme pavlovien.
Longtemps, le RN s’est comporté comme un géant au pied lourd, ignorant les identités régionales au nom d’un nationalisme abstrait.
Les propos hostiles répétés de la famille Le Pen envers la Bretagne en témoignent: une méfiance instinctive envers les peuples enracinés, une préférence systématique pour les identités de papier.
La Corse offre aujourd’hui au RN une chance de sortir de cette impasse et de montrer qu’il n’est plus prisonnier de ses obsessions centralisatrices.
Un détail que les journaux parisiens feignent d’oublier, mais que les lecteurs de Breizh-Info connaissent bien: la première analyse sérieuse de ce rapprochement, c’est ici que nous l’avons faite.
Avant Le Point, avant les gazettes parisiennes, avant les commentaires tardifs et prudents, nous avions souligné que la Corse n’était pas un appendice folklorique, mais un territoire où les plaques tectoniques politiques sont en mouvement.
Nous avions expliqué que la question corse n’était pas soluble dans le misérabilisme ou dans la rhétorique pénitentielle, mais dans la recomposition des droites.
Et nous avions noté que le centre de gravité nationaliste glissait lentement vers une droite culturelle, civilisationnelle, préoccupée moins d’indépendance que de continuité.
Le Point découvre aujourd’hui ce que nous avions déjà observé: Battini n’est pas un marginal pittoresque, c’est un stratège comprenant parfaitement que, dans une île où les clientèles sont structurées et où les scrutins proportionnels favorisent les blocs solides, l’alliance avec un parti national n’est pas une concession, mais une accélération.
Le RN, quant à lui, gagne ce qu’il n’a jamais su construire: une implantation, un ancrage humain, un langage local.
En s’associant avec une figure identitaire issue du terrain, il rompt avec la caricature qui le collait depuis trente ans, celle d’un parti sourd aux nations régionales, hostile aux particularismes, prisonnier d’un nationalisme administratif plus parisien que réellement français.
Dans les vapeurs aromatiques de ma marmite, je repensais à ce tournant.
En cuisine, les préparations lentes ont cela de commun avec la politique, qu’elles récompensent la patience, la vision et l’association juste des ingrédients.
Un accord n’est rien sans un dosage.
L’alliance corse du RN n’est pas un mélange improbable, c’est une cuisson lente qui, après des années d’échecs, donne enfin un résultat cohérent.
La Corse n’a jamais été un territoire docile, et ce n’est pas demain qu’elle le deviendra.
Mais elle est, aujourd’hui, un miroir où se reflète quelque chose de plus large: l’effondrement de l’ancien clivage droite, gauche, nationaliste, autonomiste.
Dans cette recomposition, seuls les partis capables de comprendre les identités locales sans les dissoudre dans un discours jacobin pourront espérer peser.
Nicolas Battini l’a compris, le RN semble l’apprendre, et la Corse sert, malgré elle, mais peut être à son avantage, de scène à une recomposition qui, demain, pourrait bien s’étendre au continent.
Le jambon persillé refroidissait doucement quand j’ai achevé la lecture de l’article du Point.
Mais la pensée, elle, continuait de mijoter.
En politique comme en cuisine, il faut savoir reconnaître les bonnes alliances.
Et parfois, il faut saluer ceux qui, contre les habitudes, osent enfin travailler avec les forces réelles du pays plutôt que contre elles.
Par Balbino Katz
Chroniqueur des vents et des marées
balbino.katz@pm.me
Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.
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