Je longeais la plage, comme presque chaque matin lorsque la marée et le vent s’y prêtent, entre Lechiagat et Lesconil.
Un kilomètre à peine, une poignée de mouettes qui piaillent, l’odeur de goémon mouillé, et cet exercice un peu maniaque que je pratique depuis des années, compter les déchets plastiques.
Les écologistes professionnels m’avaient promis un apocalypse en PVC, des rivages croulant sous les bouteilles et les sacs, des océans transformés en déchetterie flottante.
Or, sur ce ruban de sable qui regarde plein sud, vers le golfe de Gascogne, je ne trouve presque rien.
Trois bouchons, un fragment de caisse à poisson, parfois un vieux bidon, rarement davantage, moins de cinq déchets au kilomètre, certains jours aucun.
Je ne prétends pas faire œuvre de scientifique, encore moins nier la pollution des mers.
Je constate seulement ce que mes yeux voient et que tant d’articles et de rapports semblent ignorer.
Cette dissonance entre l’invocation permanente de la catastrophe et l’expérience concrète, ce décalage entre le sermon et le rivage, dit quelque chose de plus profond, la crise de l’écologie politique.
Non de l’écologie au sens noble, cet art d’habiter la maison commune qu’est la nature, mais de ce petit clergé vert qui a voulu transformer une sensibilité légitime en programme de gouvernement et, plus encore, en religion de substitution.
Cette tentative a échoué, spectaculairement.
Hors des centres villes où pédalent des bobos à lunettes, hors des rédactions et des ONG financées par nos sous, le public décroche, les électeurs s’éloignent, les abonnés se raréfient comme peau de chagrin.
Les trois livres que viennent de publier Cécile Duflot, Yannick Jadot et Pascal Canfin ont au moins ce mérite, offrir une fenêtre sur l’ampleur de cette déroute intellectuelle. Ils se veulent diagnostics, ils sont aveux.
Tous trois tentent de comprendre pourquoi l’écologie politique de gauche est rejetée, et tous trois tournent autour du pot avec une admirable constance, incapables d’envisager l’hypothèse la plus simple, ce rejet n’est pas un malentendu, c’est un jugement.
Il ne suffit pas d’aimer les petits oiseaux, les rivières claires et le tri sélectif pour être aimé en retour.
Encore faut il ne pas haïr la civilisation dans laquelle on vit, ni traiter comme délinquants en sursis ceux qui la maintiennent, paysans, pêcheurs, artisans, classes moyennes motorisées.
Le petit pamphlet de Cécile Duflot, significativement titré Gagnons !, est l’exemple le plus saisissant de cette impuissance à penser.
Soixante douze pages vendues comme une sorte de bréviaire de la victoire future, mais que la critique, même de gauche, a reçues comme une offre de service tardive.
L’ancienne ministre y renie à demi ses frondes passées, se rapproche de la gauche de gouvernement, prend ses distances avec les maximalistes et laisse entendre que, bien conseillée, elle pourrait encore servir.
L’ouvrage n’intéresserait personne si ses lecteurs les plus sévères n’étaient pas eux mêmes des compagnons de route.
Or ce qu’ils lui reprochent, ce n’est pas d’avoir sacrifié la France périphérique sur l’autel des normes, c’est d’avoir mal géré les symboles, de s’être trompée d’alliés, de s’être brouillée au mauvais moment.
Sur le fond, rien ne bouge.
La vision est intacte, celle d’une société sommée de se convertir, de renoncer, de se réduire, le tout enveloppé d’un langage de réconciliation.
On promet une transition non punitive, on finit toujours par punir les mêmes, ceux qui se chauffent au fioul, ceux qui vivent loin des métros, ceux qui prennent leur voiture pour travailler.
L’échec de l’écologie politique se lit déjà là, dans cette incapacité à dire clairement qui paiera et pourquoi, dans ce refus obstiné de regarder l’éthologie réelle des sociétés humaines, leurs besoins, leurs peurs, leur attachement aux continuities.
Le livre de Yannick Jadot, Climat, la drôle de guerre, prétend aller plus loin.
L’ancien candidat à la présidentielle raconte sa peur, il confesse le grand renoncement, il fustige le ton moralisateur de ses amis, il s’inquiète du « backlash » contre l’écologie, il s’alarme d’une France caniculaire qui voterait massivement pour l’extrême droite.
Un peu comme ces généraux de 1914 qui, découvrant les mitrailleuses ennemies, réclamaient davantage de panache au lieu de revoir leurs plans de bataille.
L’ouvrage a été accueilli par une salve de critiques, souvent issues de son propre camp, qui lui reprochent tantôt son ralliement implicite au centre, tantôt son alarmisme stérile, tantôt sa prose indigeste.
J’y vois pour ma part autre chose, une forme de fatigue civilisationnelle. Jadot diagnostique correctement quelques symptômes, la lassitude des classes populaires face à la culpabilisation permanente, le fossé entre militants urbains et ruraux, la dérive vers le slogan.
Cependant il ne tire pas la conclusion qui s’impose, si son discours ne passe pas, ce n’est pas seulement qu’il serait mal empaqueté, c’est qu’il heurte de plein fouet des instincts biologiques et sociaux.
On peut demander à un peuple des efforts, on ne peut pas lui demander de se sacrifier unilatéralement pour une cause abstraite, tandis que l’on ouvre sans limites ses frontières, que l’on renonce à toute maîtrise démographique, que l’on nie jusqu’à l’existence des peuples comme formes vivantes.
On lui explique qu’il faut consommer moins de viande, mais jamais moins de béton, moins de routes, moins de flux migratoires.
L’écologie politique refuse obstinément de voir l’homme comme un animal territorial, attaché à un milieu, à des formes de vie, à une continuité historique.
Le troisième opus, Gagner le combat du Pacte vert, de Pascal Canfin, pousse jusqu’à la caricature cette déconnexion du réel.
On y trouve tous les ingrédients de la technocratie bruxelloise, coulisses de négociations, acronymes, pactes, deals, graphiques implicites, le tout cuisiné dans une rhétorique de révolution verte.
L’ancien ministre s’y présente comme l’architecte d’une Europe qui sauverait le climat tout en augmentant la compétitivité.
Les critiques soulignent le caractère indigeste du récit, sa tendance à tronquer les citations, son absence de chair.
Au delà des maladresses littéraires, c’est l’imaginaire même qui frappe.
Le vivant disparaît derrière les normes, la mer derrière les règlements sur les rejets, les campagnes derrière les tableaux Excel sur les émissions agricoles.
Les paysans deviennent des variables d’ajustement, les peuples du Sud des élèves récalcitrants qu’il faut convaincre, tout au plus dédommager.
Oswald Spengler, que la Nouvelle droite française a sorti de l’oubli, avait déjà pressenti ce moment où les grandes constructions intellectuelles, épuisées, se détachent de la vie et se mettent à tourner à vide.
L’écologie politique de gauche en est là, à sa phase crépusculaire.
Elle parle toujours de nature, alors qu’elle ne connaît plus que le droit, la communication, les alliances électorales.
Elle invoque sans cesse le vivant, mais elle le nie partout, dans les corps, dans les sexes, dans les peuples.
Elle recouvre le réel d’un filet de concepts, « racisé », « inclusif », « décolonial », qui finit par étouffer ce qu’elle prétend protéger.
Au Guilvinec, les marins ne lisent ni Duflot, ni Jadot, ni Canfin.
Ils se lèvent à des heures où les sénateurs dorment encore, ils regardent le ciel, la houle, les courants, ils savent où se tiennent les poissons et ce que deviennent les quotas.
Leur écologie est d’abord une pratique, une prudence, un art de durer.
Ils ne supportent déjà plus qu’on les désigne comme des prédateurs du vivant, eux qui ont appris à en respecter les cycles.
Les agriculteurs des terres intérieures vivent la même chose, sommés d’entrer dans une transition pilotée depuis des bureaux, culpabilisés par des urbains qui n’ont jamais tenu une pelle ni soigné un veau.
Les trois livres dont il est question ici, sous des formes différentes, témoignent d’un même malentendu, la conviction qu’il suffirait de corriger le message, d’adoucir la punition, de mieux vendre le Pacte vert pour que le peuple suive enfin.
Or la crise est ailleurs, elle est anthropologique. L’écologie politique s’est construite contre la civilisation européenne, contre son histoire, contre ses rythmes, contre ses enracinements, non avec eux.
Elle a voulu substituer à l’amour concret des lieux une culpabilité généralisée, à la fidélité à un pays un sentiment d’appartenance abstrait à l’humanité, à la mesure paysanne des choses une comptabilité carbone aussi sophistiquée qu’inintelligible.
Je le vois sur cette plage qui me sert de laboratoire à ciel ouvert.
Ce qui fait la beauté de ce bout de côte, ce n’est pas son absence de déchets, c’est la forme du rivage, la lumière qui change, le silence qui n’est jamais tout à fait silencieux.
L’écologie véritable commence là, dans ce consentement au réel, dans l’acceptation des limites naturelles, dans le respect des cycles, et aussi dans la reconnaissance lucide de ce que nous sommes, une espèce animale, douée de raisons certes, mais prise dans des lois de reproduction, de territoire, de compétition.
Une politique écologique qui nie ces données, qui refuse de penser la démographie, l’urbanisation, les flux humains, ne se préoccupe pas du vivant, elle gère un récit.
C’est ici que se joue la différence entre une écologie de gauche, telle qu’elle s’exprime dans ces trois volumes, et une écologie enracinée dans le vivant.
La première veut refaire l’homme, l’arracher à son appartenance, le réduire à un consommateur rééduqué, solvable, contrôlé.
La seconde commence par regarder comment les sociétés fonctionnent réellement, comment les familles se constituent, comment les métiers s’inscrivent dans des paysages, comment les peuples défendent leurs frontières, matérielles et symboliques.
Non pour sanctifier l’existant, mais pour ne pas prétendre reconstruire la maison en ignorant son plan.
Les Duflot, Jadot, Canfin ne comprennent pas pourquoi leurs campagnes patinent. Ils déplorent la montée d’un vote qu’ils abominent, ils accusent les médias, la fatigue, les réseaux sociaux.
Ils ne voient pas qu’en voulant faire de l’écologie un vecteur de transformation totale de la société, ils l’ont détachée de ce qui la rendait aimable.
L’amour des oiseaux, des rivières, des haies, des paysages, ne conduit pas naturellement à l’adoration d’un Pacte vert écrit à Bruxelles ni à l’acceptation joyeuse de taxes et de normes tombant d’en haut.
Il conduit plutôt à protéger ce qui est à portée de main, ce qui nourrit, ce qui enchante, ce qui relie.
L’écologie politique telle qu’ils la promeuvent est inutile parce qu’elle est désincarnée, elle se situe dans un au delà du vivant, dans une morale abstraite, dans une liturgie de rapports et de COP.
L’écologie authentique, celle qui pourrait réconcilier les peuples européens avec leur milieu, se situera ailleurs, au croisement de la biologie, de l’éthologie, de la mémoire des lieux et des métiers.
Elle ne parlera plus de rééduquer les hommes, elle parlera de les réaccorder à la réalité.
Elle sera moins bruyante, moins moralisatrice, moins bavarde, et beaucoup plus attentive.
Elle comptera les plastiques sur la plage, certes, mais aussi les enfants dans les écoles, les exploitations qui ferment, les ports qui se vident, les oiseaux qui disparaissent ou reviennent.
En attendant, les pamphlets verts se succèdent, comme ces vagues trop petites qui meurent avant d’atteindre le pied de la dune.
Ils roulent leurs phrases, ils invoquent le climat, ils promettent la révolution et ne produisent que de la lassitude.
Pendant ce temps, le vent tourne, au sens propre comme au figuré.
Les peuples, qu’on croyait acquis à cette religion douce, commencent à se souvenir confusément qu’ils sont des formes de vie parmi d’autres, et non des variables dans un modèle.
Le jour où l’écologie se remettra au service du vivant, et non au service d’idéologies hors sol, alors peut être la plage, la forêt, le bocage redeviendront des maîtres plus crédibles que les tribunes et les plateaux télé.
Par Balbino Katz
Chroniqueur des vents et des marées
balbino.katz@pm.me.
Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.
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VIDÉO : https://www.youtube.com/watch?v=DJA_SPhYe3w
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