TRIBUNE LIBRE !

Un métier de chien
Par Jean Dutourd
Un métier de chien
« Il était une fois un imbécile, qui avait un chien nommé Perdreau.
Ce chien était comme tous les chiens, c’est-à-dire qu’il ne jugeait pas son maître et lui était raisonnablement attaché.
Il lui rendait les services que rend un chien.
Il grognait quand il voyait un individu à l’allure inquiétante.
Il aboyait quand quelqu’un sonnait à la porte.
Un jour, deux types à moto descendirent de leur engin et s’avancèrent d’un air menaçant vers l’imbécile qui les regardait venir avec un sourire imbécile
Il croyait qu’ils venaient lui demander du feu.
En fait, ils voulaient lui prendre son portefeuille. Le chien ne s’y trompa pas,
Il leur sauta dessus en hurlant et les mit en fuite.
L’imbécile criait « Perdreau. viens ici !
Messieurs, pardonnez lui, il n’est pas méchant. Ah, la sale bête !
Tu vas voir la tournée que tu vas prendre Les deux voyous sautèrent sur leur moto et partirent très loin.
L’imbécile corrigea le chien qui n’y compris rien, mais n’en continua pas moins à aimer son maître, car les chiens sont fatalistes.
Ils savent que les hommes ont des réactions illogiques.
Il y eut plusieurs incidents de ce genre.
Chaque fois que le chien croyait faire son métier de chien, l’imbécile lui tapait dessus et se confondait en excuses auprès des chenapans, voleurs, assassins et bandits de tout poil que mordait le malheureux animal.
Il disait que celui-ci était idiot, sanguinaire, et qu’il n’arrêtait pas de commettre des bavures.
Il est vrai, hélas, que le chien, quelques fois, mordait d’innocents passants qu’il prenait pour des malfaiteurs.
Le mot de bavure était bien trouvé, s’appliquant à un chien. L’imbécile s’en gargarisait.
On a beau être un chien, et plein de bonne volonté, on finit par se lasser de recevoir des coups.
Le chien Perdreau se lassa. Cela se sut assez vite dans le quartier.
L’imbécile habitait un pavillon.
Une nuit un cambrioleur escalada le mur.
Le chien entrouvrit un oeil, dans sa niche, et le referma incontinent.
Le cambrioleur cambriola en toute tranquillité.
L’imbécile s’arracha les cheveux et corrigea le chien, lequel reçut philosophiquement sa correction, n’étant pas à une inconséquence près de son patron.
Une autre nuit, ce fut un autre cambrioleur qui vînt.
Ce cambrioleur-là avait un surin, qu’il plantât dans la bedaine de l’imbécile, qui en mourût.
En partant, l’assassin caressa le chien en disant: « Bon toutou! ».
Le chien pensa « Voilà la première parole aimable que j’aie entendue depuis longtemps »
Cette petite histoire est celle des Français et de leur police, ils battent leur chien depuis trente ans, et ils s’étonnent, aujourd’hui, que le chien ait des états d’âme
Par Jean Dutourd

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