samedi 8 mars 2025

LES PÊCHEURS DE BRETAGNE ! L' INTERVIEW DE LUDOVIC LE ROUX !



LU,VU ET ENTENDU !

Ludovic Le Roux (Les Pêcheurs de Bretagne) : « Il faut réapprendre au consommateur à consommer les produits de la mer » 

[Interview]

Alors que le Sommet des Nations Unies pour l’Océan se tiendra en juin prochain à Nice, la pêche française se retrouve une nouvelle fois dans le collimateur des ONG environnementales. 

Accusée de contribuer à la dégradation des océans, elle fait l’objet de critiques souvent virulentes, alors même qu’elle représente moins de 1 % des captures mondiales

Une attaque disproportionnée selon Ludovic Le Roux, président de Les Pêcheurs de Bretagne, qui dénonce un acharnement idéologique et une vision biaisée de la réalité du secteur.

Dans un entretien pour Breizh-info.com, il démonte les arguments des ONG, revient sur l’extrême réglementation qui encadre la pêche française et souligne les véritables menaces qui pèsent sur la biodiversité marine : pollution industrielle, artificialisation des côtes, exploitation minière et réchauffement climatique

Il alerte également sur la nécessité de défendre la souveraineté alimentaire française, à l’heure où la grande distribution et la restauration collective favorisent toujours davantage les produits importés au détriment du poisson pêché localement.

Face aux interdictions qui menacent certaines pratiques comme le chalutage dans les aires marines protégées, Ludovic Le Roux appelle à un débat rationnel et pragmatique, loin des amalgames et des campagnes de communication trompeuses des écologistes radicaux

 Enfin, il évoque le rôle du gouvernement français et les attentes de la filière pour que ce Sommet de Nice ne soit pas une simple tribune idéologique, mais un véritable moment de réflexion sur l’avenir de la pêche française et la gestion durable des ressources marines.

 

Découvrez l’entretien ci-dessous.

Breizh-info.com : À l’approche du Sommet des Nations Unies pour l’Océan à Nice, la pêche française semble être dans le viseur des ONG environnementales. Pourquoi cet acharnement contre votre profession, alors même que la pêche française ne représente qu’1 % des captures mondiales ?

Ludovic Le Roux (Les Pêcheurs de Bretagne) : Cette question il faudrait plutôt la poser à ces ONG. Elles estiment que la France ne fait pas assez en termes de réglementation et d’exemplarité. 

 Un constat à la fois erroné et naïf. Erroné car la pêche française est l’une des plus contrôlées et régulées au monde. 

Naïf car on n’arrive même pas à aligner les partenaires européens sur les standards français (et nous ne parlons pas que de la pêche). Comment espérer que nos décisions auraient la moindre influence sur les pêcheries chinoises, indonésiennes ou coréennes… 

Empêcher la filière française, c’est vraiment envoyer de la poudre aux yeux des citoyens qui s’engagent sur les sujets environnementaux. 

On ne fait que délocaliser certaines problématiques, et on ouvre la porte à un marché beaucoup moins régulé et respectueux des milieux.

 Résultat : on perd sur tous les tableaux.

 

Breizh-info.com : Vous mettez en avant le fait que la pêche française est l’une des plus réglementées au monde. 

Pourtant, les ONG continuent de l’accuser de jouer un rôle majeur dans la dégradation des océans. En quoi ces accusations sont-elles infondées ?

Ludovic Le Roux (Les Pêcheurs de Bretagne) : Vous l’avez rappelé, la pêche française représente moins d’1% de la pêche mondiale. Inutile d’épiloguer sur le rôle supposé que joue la filière française dans la dégradation des océans. 

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien à améliorer. En trente ans, la pêche française et européenne s’est beaucoup adaptée aux enjeux de préservation de l’environnement : gestion de la ressource, planification maritime, évolution des techniques de pêche… 

L’IFREMER l’a rappelé, les stocks dont proviennent les poissons débarqués en France ne se sont jamais aussi bien portés depuis le début des années 2000. Il faut le dire : dans sa globalité, la biodiversité se porte bien dans les eaux françaises, même s’il y a toujours du travail pour améliorer la situation sur certaines espèces.

 Et surtout : la pêche ne peut pas être désignée comme seule responsable de certaines situations. Les problèmes de recrutement de juvéniles notamment n’ont rien à voir avec la pêche. Il faut envisager ces sujets dans leur globalité.

 

Breizh-info.com : L’interdiction du chalutage dans les aires marines protégées est l’une des principales revendications des écologistes. Pouvez-vous expliquer pourquoi cette mesure serait, selon vous, une erreur ?

Ludovic Le Roux (Les Pêcheurs de Bretagne) : Déjà parce que les ONG ont opéré un tour de passe-passe : elles ont réussi à créer un amalgame dans l’inconscient collectif qui associe le chalutage aux immenses navires usine, à la destruction des océans et à la surpêche. 

La réalité est toute autre. Pour rappel, 98 % des chalutiers adhérents de LPDB, qu’ils soient pélagiques (entre deux eaux) ou de fond mesurent moins de 25 mètres, bien loin des images que montrent les ONG dans leurs campagnes de communication.

Ensuite parce qu’elles oublient que la pêche française est plurielle. 

 Pour que le marché tourne, il faut de la pêche côtière avec des arts dormants et trainants, mais il faut aussi de la pêche hauturière avec de plus gros navires. Ces pêcheries sont complémentaires et permettent de maintenir la stabilité de la filière.

 Arguer que le chalutage détruit la « petite pêche » pour reprendre leur expression est factuellement faux. Au mieux c’est une incompréhension totale du fonctionnement de la filière, au pire c’est une volonté de tromper l’opinion publique et les décideurs au service d’une idéologie.

Enfin, la notion d’Aire Marine Protégée (AMP) a clairement été dévoyée par les ONG. Une AMP n’est pas synonyme d’exclusion de toute activité humaine. 

Ce n’est pas un sanctuaire impénétrable, et ça ne doit pas l’être. Une AMP se définit avec des objectifs de préservation bien précis. Cela peut-être pour préserver certaines espèces migratoires, pour préserver des fonds marins etc…

 Évidemment qu’une AMP créée pour préserver un récif corallien ou une végétation marine particulièrement fragile entraine mécaniquement une limitation de l’activité humaine (effort de pêche, engins, EMR…). 

Mais il n’y aucune raison d’interdire le chalutage de fonds dans une Aire Marine constituée de fonds vaseux, protégée en raison du passage d’un oiseau migrateur menacé. C’est ce dogmatisme que nous dénonçons. Nous ne demandons pas à pêcher partout tout le temps, nous demandons à ce que nos activités soient régulées avec pragmatisme.

 

Breizh-info.com : Vous soulignez que d’autres facteurs, comme la pollution terrestre, le changement climatique ou l’artificialisation des côtes, sont des menaces bien plus grandes pour les océans. Pensez-vous que ces sujets soient volontairement occultés dans le débat public ?

En tout cas nous le constatons et nous le déplorons. Nous attendons de voir la tournure que prendront les échanges au Sommet des Nations Unies pour l’Océan à Nice en juin prochain, mais on observe que la focale pour l’instant, en termes de communication, est quasi exclusivement sur la pêche.

 Comme si interdire telle ou telle pratique dans les eaux françaises, voire européennes, allait sauver les océans. Il y a d’autres menaces bien plus impactantes. Il faut travailler ensemble à la résolution de nombreuses problématiques et arrêter de rendre la pêche responsable d’une situation qu’elle subit plus que tous.

 

Breizh-info.com : Dans votre communiqué, vous insistez sur l’importance du soutien des consommateurs. Pourtant, la grande distribution et la restauration collective favorisent encore largement les importations, parfois issues de pêches bien moins respectueuses de l’environnement. Comment renverser cette tendance et redonner à la pêche française sa juste place sur le marché ?

Ludovic Le Roux (Les Pêcheurs de Bretagne) : Il faut réapprendre au consommateur à consommer les produits de la mer. Aujourd’hui, les français consomment essentiellement du saumon, du cabillaud et des crevettes.

 C’est dommage car ce sont trois espèces qui ne font pas partie de la production française. Pourtant, nos pêcheurs débarquent chaque semaine des centaines d’espèces différentes. Il y en a pour tous les goûts, il faut rendre les espèces françaises plus accessibles au consommateur. 

Il y a un sujet autour de la visibilité que l’on donne à ces produits, les labels qui peuvent aider les français à se diriger vers les bons produits (Ecolabel Pêche Durable, Breizhmer, Pavillon France…).

 

Breizh-info.com : On parle beaucoup de souveraineté alimentaire en France. La situation actuelle de la pêche française ne montre-t-elle pas qu’il y a une contradiction entre le discours politique et les décisions qui sont prises ?

Ludovic Le Roux (Les Pêcheurs de Bretagne) : Oui c’est indéniable. Il faut que les pouvoirs publics prennent des décisions qui sont le reflet de leurs discours sur ces sujets. 

Nous ne désespérons pas. Si la France veut conserver un tant soit peu une forme d’autonomie alimentaire dans les cinquante prochaines années, le pêche française pourrait avoir un rôle clé à jouer. Surtout dans un contexte où l’on cherche à réduire l’impact carbone de l’alimentation : le poisson est l’une des sources de protéine animale les plus décarbonées. 

 Encore faut-il que l’on donne les moyens à la filière de perdurer, d’avancer, de se transformer pour répondre aux nombreux enjeux du futur.

 

Breizh-info.com : Le Sommet de Nice sera-t-il, selon vous, un point de bascule pour l’avenir de la pêche française ? Qu’attendez-vous concrètement de cet événement et de la position du gouvernement français sur ces questions ?

Ludovic Le Roux (Les Pêcheurs de Bretagne) : Nous attendons de l’État une position forte pour défendre le modèle de pêche français et européen. Nous voulons arrêter la victimisation. Nous n’avons pas à avoir honte de nos pratiques.

 Au contraire, c’est un modèle qui mériterait d’être étendu au monde entier. Si les principales nations de pêche avaient les mêmes cahiers des charges que nos pêcheurs français, la biodiversité marine s’en porterait bien mieux. Mais elle ne serait pas à l’abri pour autant. 

Nous souhaitons que l’UNOC soit le moment où l’on pose les vrais enjeux sur la table pour protéger nos métiers, autant que la biodiversité marine, et la biodiversité en général : pollution terrestre, exploitation minière, développement des EMR, réchauffement climatique etc…

Au SIA, la filière a signé un Contrat Stratégique de Filière avec le Ministère, en présence du Président de la République.

 Nous espérons que les positions qui seront adoptées et les décisions prises dans les mois à venir permettront de déployer les axes de ce contrat : renouvellement de la flotte, formation, durabilité de la filière etc…

Propos recueillis par YV

Crédit photo : Les Pêcheurs de Bretagne.

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