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Attentat de Romans : trop souvent, « on oppose malade et terroriste », regrette un expert

« Malade mental » ou « terroriste », qu’est-ce qui a poussé Abdallah Osman Ahmed à perpétrer ces actes qui ont coûté la vie à deux personnes et blessé cinq autres, le 4 avril 2020 ?
C’est la question à laquelle tente de répondre le tribunal durant ce procès pour assassinats et tentatives d’assassinats en lien avec une entreprise terroriste et pour lesquels le prévenu encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
Un angle qui se démarque
Ce mardi 5 novembre, la cour d’assises de Paris entendait le docteur Daniel Zagury, expert psychiatre, venu présenter son rapport sur l’état mental de l’accusé.
Contrairement à l’expert psychologue qui plaidait quelques minutes auparavant pour une abolition du discernement, il a développé une position plus complexe, qui refuse d’opposer le « malade mental » au « terroriste ».
Son rapport, dense et nuancé, décrit un homme dont la fragilité psychique, qui avait été établie dès 2018 après une hospitalisation aux unités psychiatriques, se serait nourri de ses convictions religieuses devenues d’abord refuge, puis solution à son mal-être.
« Ce qui, au départ, est une souffrance intime a trouvé une réponse empruntée à l’idéologie », analyse-t-il.
Arrivé en France en 2016, l'accusé originaire du Soudan, fils d’agriculteur « qui n’a jamais manqué de rien », aurait vu son isolement et sa paranoïa s’aggraver pendant le confinement, alors qu’il avait soudainement arrêté la prise de médicaments.
Il n’aurait « pas supporté » cette solitude qu’il associait au mode de vie français : « Ici, on doit manger, travailler, dormir tout seul », avait-il déclaré durant une audition.
Un profil fragile mais pas seulement
Le psychiatre écarte rapidement toute dimension psychopathique car Osman Ahmed, dit-il, « ne présente pas de personnalité perverse ».
En revanche, au moment des faits, il souffre d’un « état délirant incontestable » marqué par des hallucinations auditives et une angoisse croissante de persécution, comme ont pu le décrire certains témoins qui l’ont vu avant les faits.
Ces voix, précise l’expert, « ne lui ont jamais commandé de contre-attaquer ».
Mais dans sa fuite en avant, il a « emprunté sa réaction au vécu d’angoisse psychotique à l’idéologie islamiste ».
Pour le psychiatre, ces actes doivent être replacés dans leur contexte.
N’ayant chez l’accusé aucun signe antérieur de radicalisation, il estime qu’ils sont à voir comme un épisode isolé, mais en même temps représentatif de ce que l’on observe aujourd’hui : des passages à l’acte qui naissent de l’interaction entre la fragilité psychique et une idéologie islamiste accessible.
La psychiatrie, souligne-t-il, « se ridiculise » quand elle prétend pouvoir à elle seule expliquer ces phénomènes.
La maladie n’explique pas tout
Pour étayer son propos, l’expert invoque Gilles Kepel et sa notion de « djihadisme d’atmosphère », développée en 2021 dans Le Prophète et la pandémie.
Il décrit des sujets qui « s’auto-radicalisent en se saisissant de quelque chose qui flotte dans l’air du temps, et s’en servent comme d’un support pour leur mal-être ».
Chez le prévenu, considère-t-il, cette radicalité ne s’enracine pas dans un engagement religieux structuré, mais dans la rencontre entre une psychose et un discours disponible.
« Il devient un vengeur de l’islam dont il est le bras porteur », résume-t-il.
Si le docteur Zagury parle d’un « caractère irrécusable de l’aspect délirant qui l’a poussé à commettre ses actes », il réfute la dimension « exclusive ».
Un crime commis dans un état psychotique, mais dont les revendications religieuses « ne peuvent être considérées sans signification », conclut-il en regrettant qu'on « oppose malade mental et terroriste comme si on n’arrivait pas à penser l’intrication des deux registres ».
Pour ces raisons, il conclut à une altération du discernement, fournissant à la cour des éléments qui pourraient permettre à la cour de trancher sur la responsabilité pénale d’Abdallah Osman Ahmed.


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