Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, dans "Français d'abord" de la première quinzaine de décembre 1997, sur les relations internationales du Front national.
Prononcé le 1er décembre 1997
- Jean-Marie Le Pen - président du Front national ;
- Jean Calmels - Journaliste ;
- Samuel Maréchal - Journaliste
Média : Français d'abord
Texte intégral
Français d’abord : À la fin du mois d’août dernier, vous avez longuement rencontré Necmettin Erbakan, l’ancien Premier ministre turc.
La presse a peu évoqué cette rencontre.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la teneur de ces entretiens ?
Jean-Marie Le Pen : Cette rencontre a été fructueuse, parce qu’elle avait été voulue par l’un et par l’autre.
Lors d’un voyage d’agrément en Turquie, j’ai ainsi pu rencontrer Necmettin Erbakan, président du parti Refah, la plus importante formation politique turque, à l’initiative d’un ami commun.
Erbakan venait d’être renversé par l’actuel Premier ministre, Mesut Yilmaz, qui avait purement et simplement acheté, au sens le plus bancaire du terme, la moitié du groupe parlementaire, soit quarante députés sur quatre-vingt, de Madame Tansu Ciller, l’alliée d’Erbakan afin de renverser la majorité en place et mener une offensive contre le Refan, accusé d’être un parti islamiste.
Pour mieux comprendre cette situation, il faut un peu revenir en arrière.
Depuis Mustapha Kemal Pacha, dit Kemal Attatürk, la règle constitutionnalisée de la Turquie est, non pas la laïcité, mais le laïcisme.
Pour ce qui nous concerne, il nous paraît normal, il nous paraît naturel de pouvoir exprimer ses sentiments religieux.
J’ai eu l’impression, mais on ne peut juger ni d’une situation, ni d’un homme, ni d’une doctrine en parlant, ne fusse que quatre ou cinq heures durant, que Necmettin Erbakan était un islamiste modéré.
Il s’agit en tout cas d’un homme qui réclame ce que nous réclamions il y a déjà quinze ans : c’est-à-dire la liberté de l’enseignement, la possibilité d’avoir aussi un enseignement religieux dans les écoles, un enseignement islamique donc ; ce qui n’a rien d’incongru, je le confesse, en terre d’islam.
Il faut savoir que cette revendication politique vaut au Refah une menace de dissolution, sur poursuite du Parquet. Je crois que c’est une affaire qui va se jouer ces prochains jours.
Il est évident que même dans notre démocratie décadente et totalitaire, si de tels procédés n’ont pas encore été utilisés, nul ne peut dire s’ils ne le seront pas un jour contre le Front national.
Français d’abord : Sur quels autres types de points êtes-vous tombé d’accord avec Necmettin Erbakan ?
Jean-Marie Le Pen : Sur la Nation, tout d’abord.
Necmettin Erbakan est un patriote.
Le refus d’intégrer l’Europe, aussi.
J’ai toujours considéré la Turquie comme un pays ami, un pays allié, notamment à l’époque de la menace soviétique.
Mais, pour autant, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un pays européen, même si la Turquie a une partie de son territoire, petite, il est vrai, en Europe.
À l’évidence, c’est un pays qui fait office de pont entre l’Europe et l’Asie, mais qui n’appartient pas à la culture européenne.
Je suis déjà contre le principe de l’Europe fédérale actuelle.
Mais, même dans le cadre d’une Europe des nations, j’estime que la Turquie n’a pas sa place.
Ce qui n’implique pas une quelconque hostilité à l’égard des Turcs.
De la même manière, si j’éprouve une grande sympathie pour les Russes, je ne crois pas qu’ils doivent entrer dans l’Europe.
La Russie constitue en elle-même une entité suffisamment vaste, suffisamment complexe pour ne pas venir apporter ses problèmes à un ensemble, fut-il celui de l’Europe des nations, qui est déjà confronté à un nombre considérable de contradictions.
Necmettin Erbakan est du même avis et milite contre l’entrée de son pays dans l’Europe, position éminemment compréhensible pour un oriental et un musulman.
Français d’abord : Toujours au sujet des rapports entre la France et la Turquie, pensez-vous, avec le recul, que la France ait bien fait de ne pas se joindre à la Sainte-Ligne, cette coalition chrétienne unissant alors l’Espagne, Venise et le Saint-Siège, lors de la bataille de Lépante, en 1571, laquelle vit la défaite de la flotte ottomane.
En d’autres termes, est-ce que les intérêts stratégiques de la France seule étaient supérieurs à l’idée qu’on pouvait avoir alors de la civilisation chrétienne et européenne ?
Jean-Marie Le Pen : Il s’agit là d’une question susceptible de donner matière à l’interminables discussions.
Il est vrai que François 1er, rompant en quelque sorte avec la tradition de solidarité des princes chrétiens, avait établi avec le Sultan Soliman le Magnifique un traité visant à contourner le puissant empire de Charles Quint.
Cet accord, notons-le, a duré pendant plus de quatre cents ans…
La France a souvent été coutumière de ces alliances à revers, avec la Russie par exemple, contre les puissances centrales.
En fait, je crois qu’il n’était pas mauvais pour la France d’avoir à la fois passé cette alliance et que les Ottomans aient perdu à Lépantes.
Autrement dit, il ne fait pas avoir tous ses œufs dans le même panier !
Français d’abord : À propos de l’Europe que vous prônez, celle des nations, comment peut-on envisager que des pays souverains dont les intérêts historiques ont souvent été divergents, puissent s’unir ?
Jean-Marie Le Pen : Le rétrécissement du monde par le développement des techniques de transport et de communication nécessite une coordination.
Parce que s’il est vrai que les nations européennes peuvent avoir des intérêts divergents, voire contradictoires, elles participent néanmoins toutes globalement d’une même appréhension des choses, d’une même philosophie, d’une même économie et, par conséquent, présentent malgré tout, des intérêts communs.
Ce sont donc ces derniers qui sont susceptibles de fonder l’Europe des nations.
Lesquelles nations doivent bien sûr conserver une grande partie de leur indépendance et de leur souveraineté pour mener les politiques qui leur paraissent servir au mieux leurs intérêts propres.
Français d’abord : Où situeriez-vous les menaces, les dangers actuels auxquels l’Europe aura à faire face ?
Jean-Marie Le Pen : Le Nouvel ordre mondial, sans aucun doute, projet qui ne cache pas, ou qui cache mal, sa volonté d’en finir avec les nations ou les rapports collectifs existant entre individus, dont, par exemple, la famille.
Français d’abord : Est-il vraisemblable de voir dans ce mondialisme une espèce de cache-sexe du nationalisme américain, ou ce phénomène se situe-t-il à un niveau encore supérieur ?
Jean-Marie Le Pen : Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un cache-sexe du nationalisme américain.
Nous avons évidemment là affaire à des phénomènes très complexes et il n’est pas possible de les résoudre à de simples formules.
L’hégémonie américaine exprime un déséquilibre des forces mondiales et la disparition, provisoire sans doute, de l’ex-Union soviétique ou plutôt de la force de l’Est européen.
Ainsi, tout naturellement, par une espèce de pente mécanique, le pouvoir américain est amené à devenir absolu ; donc, de fait, totalitaire.
Il n’est donc pas souhaitable de se prêter au développement de cette hégémonie en créant un instrument telle l’Europe fédérale, dont on sait à l’avance qu’elle est quasiment aux ordres des États-Unis.
Français d’abord : Ce refus du mondialisme est-il donc le point commun partagé avec les nombreux hommes politiques que vous avez rencontrés ces derniers mois ?
Jean-Marie Le Pen : Oui, entre autres.
C’est le sine qua non de l’alliance. L’ennemi commun, c’est cette hégémonie qui, substantiellement, est hostile à l’idée nationale en général, aux nations en particulier.
Ainsi, les nationaux ont-ils entre eux un corpus de valeurs communes aux civilisations, qu’elles soient chrétiennes ou mêmes musulmanes.
Ces valeurs vont du patriotisme au respect du passé, de l’attachement à la terre à l’amour de la famille et à toutes les valeurs qui en découlent : la solidarité, la charité, l’honneur, le dévouement, le sacrifice, etc.
J’irai même plus loin en disant que cette coalition de nations est parfaitement à même d’aider à rétablir la paix dans le monde.
Français d’abord : Vous avez récemment effectué un voyage en Roumanie. Êtes-vous connu dans ce pays, quelles ont été les réactions de l’homme de la rue ?
Jean-Marie Le Pen : Grâce à la télévision, un homme politique est vite connu et je suis probablement, hormis le président de la République, l’un des hommes politiques français les plus connus au monde.
Parce que, peut-être aussi, le plus ancien !
Mes adversaires étant très nombreux : par conséquent, je bénéficie là d’un effet de popularité mécanique : ils parlent souvent de moi !
Mais, quand on est en visite officielle, on n’a pas beaucoup de possibilités de flâner.
Il y a nombre de réunions, de meetings, de commémorations, de visites.
Malgré tout, il est possible de voir un certain nombre de choses et d’échanger des idées avec des gens qui vous permettent de mieux évaluer les réactions de la population.
Il y a aussi le ton de la presse qui, en l’occurrence, ne m’a pas paru fondamentalement hostile.
N’oubliez pas que la Roumanie est un pays francophile, de langue dérivée du latin, d’une langue dont on dit qu’elle est plus proche du latin populaire que n’importe quelle autre.
C’est un pays qui sort du communisme et qui traverse une période économique difficile.
Ce Parti de la grande Roumanie auquel nous avons rendu visite est l’un des plus importants, qui compte nombre de députés et de sénateurs.
Il s’agit, de plus, d’un parti de poètes : le sénateur Cornéliu Vadim Tudor, son président, est, lui-même, écrivain et poète.
Paunescu, qui lui, est le plus grand poète roumain a même rallié, en compagnie de tous les membres de son propre parti, celui de Tudor à l’occasion de notre visite.
Français d’abord : Un parti de poètes, c’est merveilleux ! Ça nous change des partis de technocrates !
Jean-Marie Le Pen : Mais la poésie, ça n’est pas seulement merveilleux, ça n’est pas seulement charmant.
Rappelez-vous la révolution irlandaise de 1916 qui fut dirigée par des poètes dont Patrick Pearse.
La poésie est plus que la poésie.
La poésie joue un rôle très important dans la vie en Roumanie.
La poésie est une appréhension du monde, un exercice de spiritualité appliqué à la vie.
La politique n’est rien d’autre qu’une poésie en action. Je suis personnellement frappé par la spontanéité, la vigueur et, comment dirais-je, l’affectivité des dirigeants de ces pays de l’Est.
Manifestement, ils comblent un déficit de relations libres et d’amour.
Sous le joug des dictatures soviétiques, ils ont connu une longue ascèse.
Ils ont une légitime aspiration au bien-être matériel, mais aussi à d’autres sentiments plus élevés.
À ce titre, il serait absolument navrant que ce soit la civilisation de Big Brother, du Mac Do et de la pensée unique qui satisfasse ces besoins.
Français d’abord : Paradoxalement, peut-on estimer que cette chape de plomb communiste les ait longtemps protégés de la culture américaine ?
Jean-Marie Le Pen : Paradoxalement et, très relativement, oui. Si vous vous trouvez dans une prison à Ajaccio, cela vous empêchera probablement d’attraper un rhume…
Français d’abord : Quelle est votre position sur le problème israélo-palestinien ?
Jean-Marie Le Pen : Le peuple palestinien subit un véritable martyre, puisque les droits qui lui ont été reconnus par l’ONU sur sa propre terre ne sont pas respectés.
Il s’agit d’un pays et d’un peuple qui vivent dans une misère affreuse. Plus affreuse encore, serais-je tenté de dire, que celle qui accable l’Irak.
En Irak, il y a un génocide perpétré et mené par les États-Unis avec la complicité de l’Europe ; mais au moins ont-ils conservé un gouvernement, des institutions, une homogénéité nationale. Ils souffrent et meurent… Mais chez eux.
Alors que l’ONU et les nations qui la composent se sont révélées incapables d’imposer une solution juste dans l’ancienne Palestine.
Personnellement, j’ai depuis longtemps reconnu le droit des Israéliens à avoir une patrie, mais ce droit ne peut pas exister s’il n’a pas pour corollaire celui des Palestiniens à avoir une patrie libre et souveraine.
Français d’abord : Et la situation algérienne…
Quand on a de grands problèmes dans son pays, on essaye avant tout de les régler avant de donner des conseils aux autres.
Mais comme la
France est liée, de fait, à ce qui se passe en Algérie, nous constatons
ainsi la faillite de tous les gouvernements français qui se sont entêtés
à soutenir le FLN depuis tant d’années avec l’échec que l’on sait
aujourd’hui.
Je ne sais pas ce qu’aurait donné la solution démocratique.
C’est-à-dire la victoire manifeste du FIS en 1992. Oui… je ne sais pas…
Mais on est démocrate ou on ne l’est pas. Si on est démocrate, on doit considérer que la volonté du peuple fait loi.
Et si cette volonté du peuple était islamiste – à en croire les médias, tout au moins –, il fallait donc laisser l’expérience se poursuivre. Je ne connais pas suffisamment Abassi Mahdani, le chef du FIS, pour dire s’il est islamiste « modéré » ou non.
Mais ce dont je suis sûr, c’est que les gens qui votaient FIS n’étaient pas, pour la plupart, des extrémistes islamistes.
Il faudra bien admettre que ces pays sont des pays d’islam.
Moi, je n’ai rien contre l’islam dans les pays d’islam.
Ce que je souhaite seulement, c’est nous ne soyons pas, nous, envahis par l’islam.
Français d’abord : Malgré tout, l’islam est devenu un « problème » français…
Pensez-vous qu’on puisse à la fois obéir à la loi du Coran et à celle de la république, sachant que le Coran est à la fois une constitution et un livre religieux ?
Jean-Marie Le Pen : Il faudra bien, hein !
Oui, si nous sommes un jour au pouvoir, il faudra bien.
Il n’y a qu’une seule loi de la République. S’il n’y a pas compatibilité entre l’exercice de la religion et des lois de la République, il conviendra à d’aucuns de partir dans les pays où une telle situation est compatible.
Les Juifs de France ont donné l’exemple de nombreuses années durant en respectant à la fois leurs rites et la loi républicaine.
Il n’y a donc pas de difficultés insurmontables à la pratique de religions différentes et au respect de la même république.
En république, une minorité ne peut pas espérer faire plier la majorité à sa loi. Sauf par la violence ; ce qui n’est pas une hypothèse à écarter a priori.
Français d’abord : Pour en revenir à notre tour d’Europe, comment jugez-vous la situation italienne et la voie empruntée par Gianfranco Fini, patron de l’Alliance nationale ?
Jean-Marie Le Pen : Nous avons un bon critère de jugement : c’est l’attitude qu’ont ces partis prétendument nationalistes vis-à-vis du Front national.
Or, aussi bien Gianfranco Fini que Jorg Haïder, en Autriche, ont, après un certain nombre de déclarations faites dans la droite ligne de la pensée unique, rompu les relations officielles qu’ils entretenaient autrefois avec nous.
L’attitude des Italiens, en particulier, a empêché les nationalistes, y compris les élus de l’Alliance nationale, d’obtenir un groupe au Parlement européen et les a réduits à une quasi impuissance.
Le « finisme » n’est jamais qu’une voie de garage.
Il y a un certain nombre de gens qui sacrifient leurs idées et leurs objectifs à de fallacieuses victoires électorales.
Quelque fois, je dis à nos amis : « quand on va à Marseille, il vaut mieux commencer la route à pied que de prendre le TGV pour Lille… » Nous préférons être élus que battus.
Mais nous préférons être battus sur nos idées qu’élus sur celles de nos ennemis.
Français d’abord : Certains ont pu penser un temps que la tactique Fini pouvait porter ses fruits, qu’il était envisageable de prendre le système de biais plutôt que de face.
Mais il semble aujourd’hui que l’Alliance nationale de Gianfranco Fini soit en train de passer à la trappe…
Jean-Marie Le Pen : Pour le Front national, ça n’est pas une surprise.
J’ai annoncé tout cela dès le début de ce processus, tant il est vrai que des prémices connus donnent immanquablement des résultats prévisibles.
Tout le monde souhaite avoir une force plus grande. Mais la force réside pus souvent dans l’esprit et les réalités que dans les apparences…
À l’heure actuelle, le Front national pourrait avoir cent cinquante députés.
Mais, pour quoi faire ? Si c’est pour renoncer aux objectifs qu’il s’est donné depuis vingt-cinq ans, il ne ferait, dans le fond, que remplacer l’UDF ou le RPR.
Ce qui, d’évidence, ne servirait à rien.
Pour résumer le parcours de Haïder et de Fini, on pourrait dire que nous sommes confrontés à la maladie infantile du nationalisme européen, pour reprendre une formule demeurée fameuse…
Français d’abord : Dans ce cas, peut-on comparer Fini à Robert Hue, le PCF n’étant plus qu’une force d’appoint électoral du Parti socialiste ?
Jean-Marie Le Pen : Oui et non. Le marxisme a pris d’autres chemins que ceux-là.
Il reste encore très puissant dans l’établissement.
Là encore, nous avons affaire à un autre paradoxe, qui montre d’ailleurs l’irréalité de la démocratie française : le PCF qui n’a plus d’influence sur le peuple, la conserve sur l’intelligentsia, l’éducation nationale et les médias.
Mais il y aurait tant à dire sur le sujet… Il y aurait tant à dire, aussi, sur le Front national, troisième force politique de France, qui est traité comme le sont les partis d’opposition dans les pays totalitaires.
Français d’abord : Quels contacts conservez-vous en Italie ?
Jean-Marie Le Pen : En Italie, nous venons de soutenir la naissance d’un « Fronte national ».
C’est-à-dire d’un Front national italien ayant pris les mêmes structures, le même programme que nous.
Mais nous attendons un peu de savoir de quelle façon se déroule sa mise en place, cette dernière semblant connaître un certain nombre de difficultés, malgré de nombreuses adhésions et un évident soutien populaire. De telles structures sont évidemment délicates à mettre en place.
Français d’abord : Continuons notre tour d’Europe. Comment d’expliquer que la flambée nationaliste allemande des Republikaners de Franz Schoenhuber soit soudainement retombée ?
Jean-Marie Le Pen : La potentialité de ce mouvement était la même qu’en France.
Si les Republikaners ne se sont pas développés aussi bien que le Front national, c’est pour deux raisons. La première, qui n’est pas négligeable, est que les services secrets allemands ont tout fait pour envenimer les difficultés inhérentes à la création d’un jeune mouvement.
La seconde relève de bisbilles personnelles et internes, le plus grand danger de tout parti politique.
Par l’influence que nous pouvons exercer dans tous ces pays européens, nous nous efforçons d’essayer de rapprocher les uns et les autres et les différentes factions en présence.
Nous y avons un intérêt direct, ayant un impérieux besoin d’alliés au sein du Parlement européen afin de créer un groupe assez puissant qui puisse proposer une alternative au magma fédéraliste régnant actuellement en cette enceinte.
Français d’abord : Quels rapports entretenez-vous avec ces nouveaux partis nationalistes qui émergent dans les urnes, que ce soit au Danemark ou en Norvège ?
Jean-Marie Le Pen : Je pense qu’en Norvège, ce nouveau parti est d’ores et déjà acquis aux thèses « finistes », à croire les quelques propos déplaisants qu’ils ont eus à notre égard.
C’est un signe qui trompe rarement.
C’est le test… Être hostile au Front national est généralement la première exigence exprimée par ceux qui donnent les visas politico-médiatiques.
Français d’abord : Et quid de l’Angleterre ?
Jean-Marie Le Pen : En Angleterre, nous sommes limités par un mode de scrutin qui ne permet pas la représentation des britanniques dont les idées sont proches des nôtres.
Si, comme les Anglais l’ont promis, ils se ralliaient à la proportionnelle pour les élections européennes, il ne serait pas impossible que certains milieux de l’aile nationale du Parti conservateur puissent faire un bout de chemin avec nous.
Français d’abord : Vous parliez tout à l’heure des persécutions dont le Front national était victime. Est-ce une spécificité française ?
Jean-Marie Le Pen : Ce le fut un temps ; mais, aujourd’hui, les nationalistes sont de plus en plus persécutés en Europe.
Sans doute fait-il y voir la main de Big Brother…
Pour autant, dans la majeure partie des pays d’Europe de l’Est, le nationalisme fait figure de véritable, de seule alternative aux forces internationales. C’est en tout cas vrai chez les Serbes, les Croates, les Roumains, les Slovaques, les Hongrois.
C’est là que, plus que jamais, se situe la seule ligne d’opposition, la seule ligne de fracture. La vie n’est d’ailleurs qu’opposition.
Ce n’est pas un conflit que j’annonce, ce conflit étant permanent.
Français d’abord : Êtes-vous optimiste quant à l’issue de ce combat ?
Jean-Marie Le Pen : Pour commencer, si je pensais vraiment que ce combat était perdu d’avance, je ne serais pas là à répondre à vos questions, et j’aurais abandonné la politique depuis longtemps. D’ailleurs, je n’ai même pas le droit de le penser.
Donc, par conséquent, je ne le pense pas. Je crois que la vie commence toujours demain et que la partie n’est véritablement achevée que lorsque le sifflet de l’arbitre sépare les joueurs.
Rien n’est encore joué.
Les nationalistes ne sont pas sans forces parce qu’ils sont arc-boutés sur les réalités, sur la vie, sur la vitalité, le sentiment de la survie, de la volonté, du bonheur, de la paix, de l’ordre.
Ce sont là des forces considérables.
Ceux qui considèrent l’avenir sur un mode exclusivement matérialiste et économiste peuvent être soit optimistes ou pessimistes selon les positions sur lesquelles ils campent. Ils pensent que les déséquilibres sont tels que les pays dont nous faisons partie seront contraints de se soumettre.
Nous pensons, tout au contraire, qu’il y a d’autres forces que l’économie qui puissent jouer : les forces politiques, spirituelles, affectives.
Tout cela nous permet de continuer à raisonnablement espérer.
C’est d’autant plus vrai que de tout temps, les prévisions des économistes se sont toujours avérées fausses.
Français d’abord : Nous en arrivons donc au projet « Euronat »…
Jean-Marie Le Pen : Euronat, c’est à la fois l’Europe des nations et l’Europe des nationaux.
Il s’agit d’une structure de coordination et de travail, destinée à permettre et accroître la connaissance, les échanges entre nos différents partis.
L’objectif étant évidemment de définir des stratégies communes. Tous nos homologues européens souhaitent qu’Euronat se mette en place.
Le problème est de savoir où et quand cela pourra se passer.
Où, parce que malgré la bonne volonté d’un certain nombre de pays, ils ne pourront être appelés à nous rejoindre en raison des antagonismes historiques qui les opposent les uns et les autres.
Voilà pourquoi j’estime que la France est toute désignée pour accueillir le premier congrès d’Euronat.
C’est la France, pour commencer, qui a eu l’initiative de cette démarche
C’est ensuite elle qui, sentimentalement et géographiquement, est la mieux placée pour pouvoir inviter tout le monde.
Mais il y a également des problèmes financiers : un congrès mondial coûte de l’argent.
Un tel congrès ne pourra pas avoir lieu avant l’été prochain, mais il est raisonnable de penser que la première réunion constitutive pourrait être organisée entre septembre 1998 et mars 1999.
Français d’abord : Quels seront les pays membres d’Euronat ?
Jean-Marie Le Pen : La Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie, la Serbie, la Bosnie, la Croatie, l’Espagne, le Portugal, pour commencer.
Mais également l’Italie et quelques autres, j’espère.
Français d’abord : Vous avez pu réunir des Serbes, des Croates et des Bosniaques sans qu’ils ne s’étripent…
Jean-Marie Le Pen : Nous les avions déjà invités et ils avaient accepté de venir lors de notre congrès à Strasbourg.
Le Croate Dobroslav Paraga et le Serbe Vojislav Seselj étaient d’accord pour cohabiter.
Malheureusement, le Gouvernement français a refusé d’accorder un visa à Seselj.
Si celui-ci, comme je le crois, est élu à la présidence serbe dans quelques semaines, la France aura une fois de plus bonne mine !
Cela dit, je ne prétends surtout pas assurer à moi seul la réconciliation des Serbes et des Croates.
Ils ne sont d’ailleurs pas sur le point de se réconcilier, mais au moins peuvent-ils prendre conscience d’avoir un ennemi commun.
Et pour eux, le simple fait d’accepter de se retrouver éventuellement au sein de la même organisation constitue un premier pas vers la paix et la compréhension.
Je ne me suis jamais fait d’illusions sur la facilité qu’il y aurait à réunir des mouvements nationalistes qui, sur certains points, ont parfois de cruelles divergences
. Il n’empêche que je demeure confiant. Les batailles qu’on est sûr de perdre à tout coup sont celles qu’on ne mène pas…
Français d’abord : Quelles seront les conditions requises pour intégrer Euronat ?
Pour peu qu’il y ait un parti sérieux dont le programme se rapproche ou coïncide avec le nôtre, nous les inviterons.
Nous n’attendrons pas, pour faire Euronat, que tous les pays d’Europe aient un grand mouvement national comparable au Front national.
Nous voulons tout d’abord que les gens se connaissent, qu’ils se parlent, qu’ils fassent des échanges de réservistes, de parachutistes comme nous l’avons fait avec certains pays, d’étudiants, de jeunes, de commerçants.
Pour des nationalistes, avouez que cette démarche est tout à fait originale et démontre que nous n’avons pas d’œillères et que nous ne sommes ni fermés à aucun échange international, ni possédés par « la haine et l’exclusion », comme on dit.
Croyez-moi, vous n’avez pas fini d’entendre parler d’Euronat !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire