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Photo : A Russian serviceman poses for a photo on the American M1 Abrams main battle tank captured amid Russia's military operation in Ukraine, in Kursk Krasilnikov/SPU/SIPA/2503101536
« Vladimir Poutine ne négociera que sous la contrainte ».
Entretien avec Peter Doran
La guerre d’Ukraine a suscité une vague d’inquiétude dans les pays baltes quant aux risques représentés par le voisin russe.
En Ukraine, les perspectives de paix s’éloignent, Vladimir Poutine ne souhaitant pas la fin des combats.
Entretien avec Peter Doran.
Vous avez récemment effectué un voyage d’études en Estonie.
Quelles sont vos principales conclusions ?
J’étais avec un groupe d’Américains, sept personnes au total.
Nous sommes allés à Narva, où 95,7 % de la population est russophone.
Là-bas, nous avons eu des discussions très intéressantes avec des Estoniens de souche et des citoyens estoniens russophones ; cela m’a ouvert les yeux.
Nous avons également assisté à plusieurs réunions d’information organisées par différents services du gouvernement estonien, qui portaient principalement sur les alliances des États-Unis et sur ce que nous appelons l’escalade dans la zone grise russe en mer Baltique, en particulier la « flotte fantôme » russe.
En ce qui concerne les Estoniens russophones de Narva, quelle est votre impression sur leur sentiment face à la situation actuelle ?
Dans quelle mesure sont-ils loyaux envers l’État estonien, par opposition au soutien à l’impérialisme russe et à la « grandeur de la mère patrie » ?
Voir les deux côtés de la médaille m’a ouvert les yeux.
Je n’ai pas eu l’impression que les russophones de Narva aient des loyautés partagées, même si l’un des principaux messages que nous avons entendus est qu’il existe de nombreux mythes sur Narva et sur ce que veulent ses habitants.
Ils ont essayé de minimiser les tensions et avaient une attitude du type « nous voulons juste qu’on nous laisse tranquilles ».
D’après nos conversations sur le terrain, nous avons clairement perçu leur désir de simplement vivre leur vie et d’être laissés tranquilles.
C’était leur message principal et notre sentiment général. Dans le même temps, les Estoniens soulignent que, pour un groupe qu
IL souhaite être laissé tranquille, ils reçoivent beaucoup de subventions économiques du gouvernement estonien.
Donc, comme dirait Bill Clinton, « c’est l’économie, idiot ».
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Dans ce contexte, Narva m’a rappelé, dans un certain sens, une version balte des Appalaches : un endroit qui a souffert d’un déclin économique à long terme et d’un exode rural, et cela se voit vraiment.
Un chiffre qui m’a frappé est que Narva ne compte plus aujourd’hui qu’environ 50 000 habitants, contre environ 80 000 il y a quelques décennies.
Le nombre de personnes qui partent est élevé, et le nombre de celles qui reviennent et ont des enfants est très faible, de sorte que la ville souffre vraiment de cet exode.
Un changement politique important est en cours en Estonie concernant l’identité nationale et l’utilisation de la langue estonienne dans les écoles.
Comment cela influence-t-il la situation ?
L’estonien deviendra la langue principale dans les écoles, mais le changement se fera progressivement.
Par exemple, l’année dernière, pour la première fois, tous les cours de première année ont été dispensés uniquement en estonien, et ce changement va s’étendre aux autres niveaux année après année.
Ainsi, un enfant qui entre en première année aujourd’hui recevra un enseignement uniquement en estonien pendant toute sa scolarité.
À Narva, la plus grande école enseigne actuellement en russe, mais avec le temps, elle aussi devra se convertir ou fermer, et les enseignants devront apprendre l’estonien ou trouver un autre emploi.
Dans ce contexte, nous avons visité une nouvelle école exclusivement estonienne à Narva pendant notre voyage.
Il s’agit d’un gymnase, c’est-à-dire un établissement d’enseignement secondaire, et le bâtiment est magnifique.
Les Estoniens affichent clairement leur intention : « Nous allons créer un établissement de premier ordre pour l’enseignement de l’estonien. »
La fréquentation est facultative, mais les parents qui souhaitent la meilleure éducation pour leurs enfants choisissent cette école.
Beaucoup d’entre eux parlent russe à la maison, mais reconnaissent que l’enseignement en estonien offre de meilleures opportunités.
Du point de vue de Moscou, refuser aux russophones l’éducation dans leur langue maternelle peut ressembler à une assimilation forcée, l’un des prétextes invoqués pour envahir l’Ukraine.
Qu’en pensez-vous ?
Je suis sûr que Moscou n’est pas satisfait de la situation actuelle.
Mais comme nous le voyons en Ukraine, la doctrine Medvedev, selon laquelle la Russie peut intervenir n’importe où pour « protéger les russophones », est un mensonge éhonté.
Les Russes tuent des Ukrainiens russophones.
La politique linguistique joue donc certainement un rôle en Estonie, mais les Estoniens tiennent bon face aux Russes.
Ils sont vraiment le genre d’alliés dont les États-Unis ont besoin à la frontière de l’OTAN avec la Russie.
La dernière fois que nous nous sommes entretenus, à la mi-février, vous pensiez qu’un traité de paix entre l’Ukraine et la Russie serait signé dans les deux mois.
Trois mois et demi plus tard, l’administration Trump semble dans l’impasse et la Russie semble préparer une grande offensive estivale.
Que pensez-vous des perspectives de paix aujourd’hui ?
J’étais plus optimiste au début de l’administration Trump, mais il est désormais évident que Vladimir Poutine n’a aucune intention de mettre fin à la guerre de sitôt.
Il se battra tant qu’il aura les moyens militaires, financiers et économiques de le faire.
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La stratégie russe qui se dessine est déroutante : Poutine laisse entendre qu’il souhaite normaliser les relations avec les États-Unis tout en poursuivant la guerre.
Cela sera inacceptable pour le Sénat et le Congrès américain.
Vous voyez, Trump ne négocie pas dans le vide, et il est important de le souligner clairement.
S’il veut lever les sanctions, il doit expliquer au Congrès pourquoi cela est dans l’intérêt national des États-Unis ; le Congrès dispose alors de 30 jours pour opposer son veto à cette décision.
Et comme nous l’avons vu, le projet de loi du sénateur Lindsey Graham, qui compte désormais 80 cosignataires, prévoit des sanctions plus sévères à l’encontre de la Russie.
À mon avis, il n’y aura pas de paix tant que Poutine ne sera pas contraint de négocier sérieusement, et cela ne se produira que lorsqu’il n’aura plus les moyens de financer sa guerre.
C’est également mon opinion, et je pense que Trump s’est montré naïf dans ses relations avec Poutine.
Il ne réagit pas aux incitations positives, seulement à la force…
Permettez-moi d’ajouter un point à ce sujet.
En ce qui concerne les sanctions, cela me rappelle une citation célèbre souvent attribuée à Winston Churchill : « Les Américains font toujours ce qu’il faut, mais seulement après avoir essayé tout le reste ». Je crois sincèrement que Trump finira par faire ce qu’il faut.
Nous attendons donc maintenant que Trump sorte le pistolet de Tchekhov et impose des sanctions dévastatrices à la Russie : si vous introduisez un pistolet au premier chapitre, il doit être utilisé au deuxième ou au troisième chapitre.
Si la Russie ne prend pas les menaces au sérieux, vous devez les mettre à exécution, sinon vous perdrez toute crédibilité, et c’est la situation dans laquelle se trouve Trump actuellement.
Qu’en est-il de l’aide militaire américaine à l’Ukraine ? A-t-elle définitivement pris fin ?
L’Europe devra-t-elle supporter seule ce fardeau ?
L’Europe pourrait-elle acheter des armes aux États-Unis et les envoyer en Ukraine ?
C’est désormais le scénario le plus probable.
Tout le monde s’attend à ce que, d’ici le milieu de l’été ou le début de l’automne, l’Ukraine ait épuisé sa dernière tranche d’aide militaire américaine et que l’Europe doive prendre le relais.
Il est question d’une nouvelle allocation supplémentaire, mais le soutien politique en faveur de cette mesure est plus faible qu’auparavant.
Cela pourrait être difficile à faire passer dans le débat actuel aux États-Unis.
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Un récent sondage montre que 46 % des Américains souhaitent accorder une aide supplémentaire à l’Ukraine, 23 % estiment que l’aide actuelle est suffisante et les 30 % restants pensent qu’elle est excessive et souhaitent la réduire.
Une tranche supplémentaire est-elle donc vraiment si difficile à obtenir sur le plan politique ?
Je ne serais pas surpris que le Congrès trouve suffisamment de voix pour approuver une nouvelle aide supplémentaire à l’Ukraine, mais tout dépendra de la capacité du président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, et de la Chambre à se mettre d’accord.
Pour l’instant, je ne perçois pas le sentiment d’urgence nécessaire pour que cette aide soit adoptée.
Nous devrons donc attendre et voir ce qu’il en est.
Par Henrik Werenskiold
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APKWS contre drones : réponse à bas coût à une menace bon marché
Dans le paysage mouvant de la guerre contemporaine, où des drones coûtant à peine quelques milliers de dollars peuvent endommager, voire détruire, des systèmes d’armement coûteux et rares, les armées doivent relever un défi nouveau : neutraliser efficacement, à un coût acceptable, des véhicules aériens sans pilote souvent rudimentaires mais tactiquement redoutables.
La généralisation de leur usage s’observe sur tous les théâtres : en avril 2024, l’Iran a lancé une attaque directe contre Israël en mobilisant un essaim de drones et de missiles de croisière ; en Ukraine, les forces armées ont récemment frappé le territoire russe en utilisant des drones kamikazes lancés depuis des conteneurs maritimes, contournant les défenses classiques ; au Yémen, les Houthis multiplient depuis 2023 les frappes contre des cibles maritimes et régionales au moyen de drones d’attaque ou de reconnaissance.
Dans ce contexte de prolifération rapide et de sophistication croissante, les solutions classiques de défense aérienne se révèlent inadaptées face à des menaces aussi diffuses qu’agiles.
C’est dans ce contexte que s’impose l’Advanced Precision Kill Weapon System, ou APKWS, un système développé par BAE Systems pour transformer de simples roquettes de 70 mm en munitions intelligentes.
Conçu à l’origine pour offrir aux hélicoptères américains une capacité de frappe de précision à bas coût, l’APKWS s’impose aujourd’hui comme un outil de choix dans la lutte contre la prolifération des drones légers.
Développement des APKWS
L’origine du programme remonte aux années 2000 et à un besoin opérationnel spécifique : doter les hélicoptères d’attaque et les avions d’appui léger d’un armement de précision peu onéreux et faiblement destructeur.
En Irak et en Afghanistan, les plateformes comme l’AH-64 Apache ou l’UH-1Y Venom étaient régulièrement sollicitées pour neutraliser des cibles mobiles de faible valeur, comme des pick-up, des tireurs de mortier ou des combattants isolés.
Utiliser un missile Hellfire dans de telles conditions s’avérait économiquement intenable et militairement disproportionné.
L’APKWS a donc été conçu comme une solution de compromis, en adaptant les roquettes Hydra 70, abondantes dans l’arsenal américain, à une frappe ciblée par l’ajout d’un module de guidage inséré au centre du projectile.
L’arme résultante conserve la simplicité et le coût de la roquette d’origine, tout en acquérant une précision chirurgicale grâce à la désignation laser.
Le système repose sur une technologie de senseurs répartis dans les ailes, capables de capter le faisceau laser réfléchi depuis la cible.
Cette configuration n’alourdit pas le missile et permet une compatibilité immédiate avec les lanceurs existants.
Cependant, ce système n’est pas un « shoot and forget » : il faut un homme dans la boucle à plusieurs niveaux, tant dans la désignation de la cible que dans la décision de tir, ce qui en fait une arme à guidage semi-actif, non autonome.
C’est cela qui permet d’en réduire le coût et le poids.
L’APKWS mesure environ 1,9 mètre, pèse une quinzaine de kilos, et offre une portée de cinq kilomètres depuis une plateforme terrestre, et jusqu’à onze kilomètres depuis un aéronef.
Il peut embarquer différentes charges militaires, notamment des ogives explosives classiques (fusée de percussion) ou des têtes à fusée de proximité.
L’armement est compatible avec de nombreuses plateformes, dont les F-15, ou encore des lanceurs navals et terrestres.
L’apparition massive de drones bon marché à partir du milieu des années 2010, qu’ils soient commerciaux, militaires ou artisanaux, a bouleversé les équilibres tactiques.
Du Liban au Donbass, en passant par les attaques houthies en mer Rouge, ces petits appareils se sont imposés comme des vecteurs de renseignement, de harcèlement, voire d’attaque directe.
Leur capacité à saturer les défenses existantes, combinée à leur faible coût de production, a mis en évidence un déséquilibre structurel : les missiles antiaériens classiques, coûteux et conçus pour des cibles plus importantes, sont inadaptés à cette nouvelle menace.
Dans ce contexte, l’APKWS a été réévalué pour des missions de lutte anti-drones, en particulier contre les appareils pesant de 5 à 600 kg.
Rôle opérationnel
Son efficacité dans ce rôle repose sur plusieurs qualités essentielles : un coût modéré, une précision élevée grâce au guidage laser, une compatibilité multisupport et une capacité de frappe limitée en termes de dommages collatéraux, ce qui est important pour des interceptions au-dessus des zones densément peuplées.
Sa mise en œuvre peut se faire selon un schéma de coopération entre deux plateformes : l’une désigne la cible au moyen d’un pointeur laser (soldat au sol, drone d’observation ou hélicoptère équipé) et l’autre tire le projectile.
Des essais récents ont ainsi vu l’emploi de désignateurs portables et de systèmes de désignation embarqués, avec des résultats probants face à des cibles volantes de petite taille.
Sur le terrain, plusieurs exemples récents attestent de l’usage croissant de l’APKWS contre les drones.
En mer Rouge, certains bâtiments de l’US Navy, tels que l’USS Carney, ont utilisé des lanceurs de pont équipés de ces missiles pour intercepter des drones en approche.
En Irak et en Syrie, les forces spéciales américaines ont monté l’APKWS sur des véhicules tactiques légers, tirant sur des drones iraniens ou leurs équivalents.
L’aviation de l’armée de terre, pour sa part, a utilisé des hélicoptères Apache, les cibles étant désignées soit par les capteurs embarqués, soit par des opérateurs au sol, notamment des contrôleurs aériens avancés.
Afin d’augmenter encore son efficacité contre des drones de petite taille ou à trajectoire imprévisible, l’APKWS a récemment été doté d’une fusée de proximité.
Cette capacité permet une détonation à courte distance de la cible, augmentant la probabilité de neutralisation sans nécessiter un impact direct.
D’autres évolutions sont en cours, comme l’intégration à des plateformes terrestres modulaires, la montée en puissance de systèmes navals autonomes, ou l’association à des capteurs de ciblage assistés par intelligence artificielle.
Comparé à d’autres solutions, l’APKWS se distingue par sa capacité à combiner précision, faible coût et flexibilité d’emploi.
Le Coyote Block 2, plus sophistiqué, offre une autonomie d’interception, mais à un coût supérieur.
Le système Iron Dome, efficace, mais conçu pour des menaces balistiques, reste peu adapté aux engagements de drones, même si le récent ajout d’une capacité laser (Iron Beam) améliore la performance globale du dispositif.
Quant aux brouilleurs, comme le Dronebuster, ils sont non létaux et vulnérables au durcissement électronique des drones.
L’APKWS s’inscrit donc dans une logique de complémentarité au sein des défenses multicouches, offrant aux forces un outil simple, rapide et efficace dans une gamme de scénarios variés.
Adaptation de l’armement
L’APKWS est un bon exemple de l’adaptation d’un armement existant aux défis du champ de bataille moderne.
Il ne remplace pas les systèmes lourds ou stratégiques, mais comble un vide critique entre les défenses légères non létales et les missiles de grande puissance.
Dans une guerre de plus en plus agile, marquée par la dispersion, la saturation et l’innovation tactique, il apporte ce qui fait souvent défaut : la bonne munition, au bon moment, pour la bonne cible.
Cependant, les États doivent acquérir la capacité de mener ce genre de projets d’armement (« upgrader » rapidement et à faible coût des systèmes existants en utilisant des technologies existantes) rapidement et dans un cadre budgétaire raisonnable, depuis l’expression du besoin jusqu’à la mise en service opérationnel.

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