L'Institut pour la justice (IPJ) publie une étude fouillée sur « L'emprisonnement ferme, peine centrale mais sanction marginale ».
Chiffres des tribunaux à l'appui, l'IPJ démontre que « le laxisme de la justice n’est pas un mythe ».
La peine de prison, pourtant centrale dans notre système pénal, est trop rarement prononcée...
En cause, une « carcérophobie
» judiciaire et des lois qui encouragent le recours à des peines
basses. Pierre-Marie Sève, directeur de l'Institut pour la justice,
revient pour BV sur ce fiasco.
Clémence de Longraye.
Les meurtriers présumés du jeune Élias,
poignardé à la sortie de son entraînement de football ce 24 janvier,
sont connus des services de police et en état de récidive.
Ils n’ont
pourtant jamais fait l’objet de mesures d’enfermement.
En quoi cette
affaire illustre-t-elle le laxisme de la Justice, et notamment le
laxisme de la Justice des mineurs ?
Pierre-Marie Sève. Cette affaire démontre le laxisme
judiciaire - en particulier lorsqu’il concerne la Justice des mineurs -
à plusieurs points de vue.
D’abord car les deux principaux suspects du
meurtre d’Élias sont des mineurs connus de la Justice.
Un des deux mineurs avait déjà été « condamné
» à une mesure éducative en 2023 et les deux avaient été présentés à un
juge en octobre dernier pour vol avec violence, mais ils n’avaient pas
encore été condamnés.
À cette occasion, le parquet avait demandé la
détention provisoire, mais elle n’avait pas été retenue par le juge
d’instruction.
Si sa durée est variable, cette détention provisoire peut durer jusqu’à un an.
Si la remarque est facile a posteriori,
la décision de ce juge de ne pas envoyer ces mineurs en prison a donc
probablement coûté la vie d’Élias, puisqu’ils seraient sans doute encore
en prison.
En réalité, si la mort d’Élias a de multiples causes, il est clair
que la Justice des mineurs est un domaine particulièrement idéologisé.
Sous le prétexte – bien réel et justifié – que les mineurs doivent être
traités différemment des majeurs, toute la philosophie de cette Justice
est extrêmement hostile à la punition.
C. d. L. Un adolescent de 17 ans vient d'être condamné à quatre mois de prison avec sursis
et 150 euros d’amende après avoir percuté un policier dans le Bas-Rhin
en avril dernier, après un refus d'obtempérer.
Cette infraction est,
tout comme les attaques au couteau, extrêmement récurrente et semble
pourtant punie avec peu de sévérité.
Que montre votre étude à ce sujet ?
Et quelles sont les conséquences de ce manque de sévérité des juges ?
P.-M. S. Notre étude permet de mesurer, avec
certaines nuances bien sûr, la sévérité de la Justice pour chaque délit
contenu dans le Code pénal.
En compilant et analysant les chiffres
publiés par le casier judiciaire national, on se rend compte que la
Justice est, en moyenne, très peu sévère.
Pour les refus d’obtempérer, par exemple, qui créent un désordre
social immense, sans parler des morts et des blessés parmi les forces de
l’ordre, la prison ferme n’est prononcée que dans 23,9 % des
condamnations (ce qui ne compte même pas les affaires classées sans
suite ou celles où les auteurs n’ont pas été retrouvés !).
Et encore, au
sein de ces 23 % de peines de prison ferme, 84 % sont des peines
entièrement aménageables, donc pour lesquelles, la plupart du temps, les
condamnés n’entrent même pas en prison.
Enfin, alors que le Code pénal
prévoit une peine de deux ans de prison, la peine moyenne est de sept
mois, soit 29 % de la peine maximale proposée par le Code pénal.
Dans
ces conditions, la sanction paraît bien lointaine pour les délinquants
en herbe qui auraient presque tort de se priver…
C. d. L. La surpopulation carcérale ne peut expliquer à elle
seule le faible taux d'incarcération. Comment comprendre que les
délinquants ne soient condamnés qu’à 18,97 % de leur peine encourue et
que la prison soit devenue l’exception ?
P.-M. S. En réalité, depuis 1994, le Code pénal ne
propose que des peines maximales, alors que le Code Napoléon proposait
jusque-là aussi des peines minimales (en dessous desquelles le juge
pouvait descendre, mais en motivant sa décision).
Le Code pénal de 1791
donnait des peines fixes pour chaque infraction…
Mais depuis le
renversement complet de ce principe en 1994, un juge idéologue (il y en
a, quoiqu’ils soient minoritaires) a donc tout le champ libre pour
prononcer des peines ridiculement basses.
Il faut dire que ces peines particulièrement basses correspondent
également au message qu’envoient les députés depuis de nombreuses
années.
Ce sont les députés qui ont modifié l’article 132-19 du Code
pénal (Christiane Taubira était garde des Sceaux) pour y inscrire que « toute peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours
»…
Ce sont encore les députés qui ont mis en place l’aménagement quasi
automatique de toutes les peines de moins d’un an par l’aménagement ab initio
(Rachida Dati était garde des Sceaux).
Plus urgent que la réforme du
statut des magistrats, il faut donc que les Français votent pour des
candidats et des partis engagés à répondre au besoin populaire de
sévérité pénale.
Nous n’y sommes pas encore.
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