Patrimoine : l’Institut Robuchon lâche son grand projet à Montmorillon (Vienne)

Le patrimoine est souvent présenté comme un levier de développement local, un ciment identitaire et un héritage vivant.
Dans un département comme la Vienne, riche d’abbayes, de châteaux et de cités médiévales, les projets patrimoniaux ne manquent pas, mais encore faut-il qu’ils aboutissent.
Ces dernières années, plusieurs d’entre eux ont connu des fortunes diverses et certains peinent à tenir leurs promesses.
Le dernier en date est celui de Montmorillon : un projet de restauration architecturale et de gastronomie d’envergure nationale, porté par le nom prestigieux de Joël Robuchon et finalement abandonné, en ce mois de juin 2025, après onze ans d’espoirs et d’efforts.
Un projet Robuchon aux allures de mirage
Lorsqu’en 2014, Joël Robuchon annonça son intention de créer à Montmorillon, réputé pour ses macarons, un centre consacré à la gastronomie française, l’enthousiasme fut immédiat et irradia bien au-delà des frontières de la Vienne.
Le chef étoilé, natif de Poitiers, ne souhaitait pas ouvrir un simple restaurant mais bien ériger un pôle d’excellence rural articulé autour de la formation, de l’hôtellerie, de la culture culinaire et de l’innovation.
Hôtel, restaurant d’application, espace muséographique, centre de formation : le projet était à la fois ambitieux et novateur.
Estimé à près de 65 millions d’euros, selon La Nouvelle République, il bénéficia rapidement du soutien du conseil départemental, de la région et de l’État.
En 2017, le permis de construire fut même délivré pour réhabiliter la Maison-Dieu, somptueux monastère hôpital fondé au XIe siècle, immense, classé bien sûr, censé accueillir ce projet innovant.
Cependant, la mort brutale du chef, en août 2018, bouleversa la donne.
Malgré les déclarations rassurantes des collectivités et le soutien affiché de la famille Robuchon, qui souhaitait que le projet survive à son initiateur, la mécanique s’enraya.
Un nouveau schéma fut esquissé : l’Institut Robuchon serait désormais réparti sur trois sites, à Montmorillon, à Chasseneuil-du-Poitou et au Futuroscope, avec des fonctions distinctes.
Cependant, les retards s’accumulèrent, les coûts augmentèrent et l’enthousiasme initial laissa place au doute.
Le 3 juin 2025, la décision tomba : « L’Institut Robuchon ne se fera pas sur le site de Montmorillon », annonça Guillaume de Russé, président délégué du conseil départemental, chargé des grands projets.
C’est ainsi tout un pan d’espérance qui s’effondre pour la commune, qui voyait dans cette initiative un moteur de redynamisation et une chance de valoriser l’un de ses joyaux patrimoniaux.
Le bâtiment, désamianté et curé en 2024, reste désormais sans avenir.
Alain Pichon, président du conseil départemental, espère encore trouver un repreneur pour le site.
Une piste sino-américaine serait actuellement à l’étude, selon Guillaume de Russé.
Un historial du Poitou qui peine à marcher
À Monts-sur-Guesnes, l’ambition est d’une autre nature mais non moins symbolique.
Le château du bourg, entièrement restauré, devait accueillir le 6e « Historial de France », consacré à l’histoire du Poitou et à ses figures emblématiques comme Aliénor d’Aquitaine.
Le projet, soutenu par le département, la région, la SAS Aliénor, la DRAC et d’autres partenaires publics, mobilisa 10,5 millions d’euros.
En 2022, lors de son inauguration, le lieu suscite l’enthousiasme : scénographies immersives, animations en costumes, cadre architecturale envoûtant.
L’historial entend ainsi incarner un lieu vivant de culture et de transmission.

Château de Monts-sur-Guesnes © Eric de Mascureau
Pourtant, très vite, le tableau s’est assombri.
Le château, qui devait pourtant profiter de l’attrait des sites proches du Futuroscope, de l’abbaye de Fontevraud ou encore du Val de Loire, n’attire pas assez de public.
En 2022, l’historial attire un peu plus de 16.000 visiteurs, chiffre qui chute à environ 14.000 en 2023, puis reste stable en 2024.
Cette fréquentation, jugée trop faible, n’arrive pas à couvrir les coûts d’exploitation, malgré la qualité des contenus.
Le bilan financier n’est alors guère positif : un déficit cumulé de 150.000 euros en trois ans et une dépendance totale aux subventions départementales.
« C’est un véritable gouffre qui survit sous perfusion d’argent public », dénonce l’opposition.
Depuis 2021, plus de 1,8 million d’euros ont été versés par le département pour soutenir le site.
Certains critiquent aussi la localisation, jugée finalement trop excentrée des grands axes touristiques.
Face aux critiques, le sénateur Bruno Belin, principal soutien du projet, continue de défendre sa pertinence : « Quand on a envie de se battre pour un territoire, parce qu’on y croit, parce qu’on s’y donne, parce que ça fait vingt ans qu’on est en responsabilité, il y a toujours des solutions et des espérances », a-t-il déclaré.
Afin de relancer l’intérêt du public, l’équipe de l’Historial, dirigé par Céline Roncière se disant « très confiante pour cette saison », mise sur une série de nouveautés (parcours inédits, banquets historiques et ouvertures nocturnes) afin de permettre aux visiteurs de continuer à voyager dans le temps pour mieux découvrir le Poitou.

Machine de guerre utilisée à Monts-sur-Guesnes
© Eric de Mascureau
Il est difficile de concilier ambition culturelle, équilibre économique et ancrage territorial.
Cependant, ils rappellent aussi que l’investissement dans le patrimoine n’est jamais vain : même fragiles ou imparfaits, ces lieux sont porteurs de valeurs, d’histoire et d’idées qu’il reste possible à promouvoir.
À condition de tirer les leçons du passé, le patrimoine peut encore être un moteur d’avenir pour la Vienne, comme partout ailleurs en France.

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